EESC : un statut qui rapproche les écoles de l'entreprise

Cécile Peltier Publié le
EESC : un statut qui rapproche les écoles de l'entreprise
HEC a été la première école consulaire à endosser le nouveau statut EESC. // ©  HEC
Autonomie, agilité et diversification des sources de financement. Tels sont les trois principaux bénéfices attendus du statut d'EESC. Un peu plus d'un an après son adoption par HEC, bilan d'étape avec les six écoles pionnières, en amont de la conférence EducPros du 23 février.

Attendu comme le Messie pour répondre aux nouveaux défis des écoles consulaires, le statut d'EESC (établissement d'enseignement supérieur consulaire), créé fin 2014 par la "loi Mandon", est désormais une réalité juridique pour six établissements d'enseignement supérieur. Logiquement, HEC, pour qui il a été conçu, a ouvert le bal le 1er janvier 2016, aux côtés de TBS (Toulouse business school), suivies par GEM (Grenoble École de management), l'ESDL (École supérieure de design des Landes) à Mont-de-Marsan, BSB (Burgundy School of Business, ex-ESC Dijon), et plus récemment l'école d'ingénieurs Estia (École supérieure des technologies industrielles avancées) de Bidart. Et si les écoles de management sont pour l'instant majoritaires parmi les nouvelles EESC, le statut s'adresse à tous les établissements consulaires.

Une vingtaine d'autres écoles devraient leur emboîter le pas. ESCP Europe et Audencia ont d'ores et déjà déclaré leur volonté de s'engager dans l'aventure.

Une aventure qui demande aux établissements et à leur tutelle consulaire de porter un projet de développement commun, tout en voyant leurs relations évoluer. "La CCI Bayonne-Pays-basque est une chambre dynamique de taille modeste. Elle a vu avec l'EESC, l'opportunité de donner à l'Estia, qui s'est beaucoup développée ces dernières années, une plus grande agilité dans son fonctionnement et de nouveaux outils de développement", illustre Patxi Elissalde, directeur général de l'école d'ingénieurs.

UNE GESTION FACILITÉE

En conférant aux écoles une personnalité morale, le nouveau statut leur offre une autonomie et une souplesse de fonctionnement proches de celles d'une société anonyme, bien qu'à but non lucratif. Les premières à s'être lancées en mesurent déjà les bienfaits, notamment en matière de ressources humaines : "Avant, quand HEC devait recruter un chercheur international, elle devait obtenir les autorisations du président et du bureau de la CCIP-Île-de-France et justifier la nécessité de sortir de la grille de rémunération en vigueur à la chambre. Aujourd'hui, l'école embauche qui elle veut, avec des circuits de décision courts", illustre Philippe Reymond, directeur des financements publics et des affaires institutionnelles de l'école de management.

Nos relations contractuelles sont beaucoup plus directes et donc plus efficaces. (P. Reymond)

Un constat qui vaut aussi en matière de commande publique. "La procédure à laquelle nous sommes soumis est un peu allégée, puisque nous n'avons plus les circuits contraignants d'un établissement public, et toutes nos relations contractuelles sont donc beaucoup plus directes, et donc plus efficaces", poursuit Philippe Reymond. Cette nouvelle souplesse de gestion a des effets positifs sur l'ensemble de l'organisation : "Par exemple, quand il s'agit de créer une chaire ou de réaliser une prestation pour le compte d'une entreprise, c'est beaucoup plus facile." 

Plus "responsabilisante", la nouvelle organisation pousse davantage à "innover". "En témoigne la rapidité avec laquelle avance le chantier de Nouvelle Maison des carrières de HEC", se réjouit le directeur.

UN EFFORT D'ADAPTATION

L'EESC, un remède miracle ? Si, au sein des premières écoles à s'être lancées, les choses commencent à se roder, l'EESC - y compris à HEC - reste par bien des aspects encore en chantier. Car le passage au statut de EESC implique de faire évoluer la gouvernance, la comptabilité, le statut des personnels, le tout doublé d'un processus administratif assez lourd.

En devenant des structures autonomes sur le plan juridique, les écoles ont dû par exemple se doter des services supports nécessaires à leur fonctionnement (services financiers, comptables et RH). Et former leurs personnels à ces nouvelles missions.

Des changements importants, qui ne se font pas sans difficultés. "L'EESC induit beaucoup de changements. On devient une structure totalement privée et les logiques financières, comptables et RH évoluent. On rentre dans une dimension complètement nouvelle qui nous oblige à tout revoir, sachant qu'il n'y a aucun élément de référence sur lequel s'appuyer. Ce qui n'est pas toujours évident..." reconnaît le directeur général adjoint de GEM, Jean-François Fiorina.

Avec une complexité supplémentaire à prendre en compte pour les établissements : les personnels disposent de 15 ans pour décider s'ils souhaitent conserver leur statut consulaire ou passer sous le régime de droit privé de l'EESC. D'un endroit à l'autre, la configuration varie. Si à l'Estia, ils ont tous choisi de rejoindre l'EESC, dans d'autres écoles, ils ont opté pour une mise à disposition, et ailleurs les deux cas se présentent.

OBJECTIF : DIVERSIFICATION DES FINANCEMENTS

Mais l'EESC a aussi et surtout été conçu  pour permettre aux écoles de diversifier leurs sources de financement dans un contexte de diminution des ressources publiques (en particuliers consulaires) et de concurrence effrénée. Ainsi, en créant l'EESC, la CCI dote l'école d'un capital constitué des actifs qu'elle lui aura transféré : les moyens d'exploitation, la marque, voire même l'immobilier et le foncier pour les mieux pourvues.

Selon les résultats de la négociation entre l'école et sa tutelle, la corbeille de la mariée est plus ou moins garnie. Si la tutelle consulaire a "fait cadeau" du patrimoine foncier et immobilier à HEC, BSB ou l'Estia, TBS n'a pas – pour l'instant – récupéré les "bijoux de famille". "Obtenir le patrimoine immobilier, à condition qu'il soit en bon état, change la présentation de votre bilan et vous donne des arguments lorsqu'il s'agit par exemple d'aller négocier un prêt devant un banquier", se félicite Stephan Bourcieu, le directeur général de BSB.

Même s'il interdit la distribution de dividendes aux actionnaires, dont la CCI reste majoritaire, le nouveau statut permet par ailleurs l'entrée au capital d'acteurs extérieurs qui seront représentés au sein du conseil d'administration.

L'OUVERTURE DE CAPITAL, UN PROJET

Pour l'instant, dans la plupart des établissements, ce volet démarre à peine et la très grande majorité des actions, et donc des voix aux conseils d'administration restent entre les mains des CCI. Mais les choses devraient bouger dans les prochains mois. Plusieurs écoles, dont TBS et BSB ont placé l'ouverture de leur capital à l'agenda 2017.

On rentre dans une dimension totalement nouvelle qui nous oblige à tout revoir, sachant qu'il n'y a aucun élément de référence sur lequel s'appuyer.
(J.-F. Fiorina) 

Avant de se lancer, l'école doit conduire, avec l'aide de cabinets spécialisés, un travail de valorisation des actifs de l'école qui permettra de déterminer le montant d'une action. Un exercice inédit, qui, de l'avis des directeurs concernés, demande une bonne dose d'expérimentation.

Après avoir examiné plusieurs scénarios, BSB a opté pour "une valorisation basse" ne prenant en compte que "l'actif net" (les ordinateurs, les chaises, les tables, et les bâtiments qui représentent la quasi-totalité des 11 millions d'euros du prix de l'école), mais excluant l'immatériel (la marque, le fonds d'enseignement...) et les 7,5 millions de travaux prévus. 

"Nous ne voulions pas d'une évaluation spéculative. L'idée était d'avoir le bilan le plus consolidé possible et de rester dans le concret afin de rassurer nos investisseurs et les banques. Si un fonds d'investissement souhaitait réinvestir, nous referions une évaluation supérieure", confie Stephan Bourcieu, le directeur général de l'ESC dijonnaise.

LES ACTEURS LOCAUX, DES CIBLES DE CHOIX 

L'école bourguignonne devrait être la première à ouvrir en juin prochain son capital à cinq acteurs locaux : à deux banques (Caisse d'Épargne de Bourgogne-Franche-Comté et Banque populaire Bourgogne-Franche-Comté), à deux dirigeants d'ETI (entreprises de taille intermédiaire) locales, et au président de l'école en personne, qui souhaite s'engager à titre individuel. Autant de fidèles soutiens qui investiront d'abord dans une logique de développement territorial, la possibilité d'une plus-value à la revente n'étant pas exclue en cas de croissance de l'école.

Si tous les établissements misent d'abord sur les acteurs locaux, elles regardent plus loin. TBS envisage ainsi d'aller toquer à la porte de Bpifrance et ne s'interdit pas à l'avenir d'aller démarcher des entreprises parisiennes.

À GEM, Jean-François Fiorina a identifié deux autres investisseurs potentiels : les grands groupes, soucieux de mutualiser leur université d'entreprise avec l'école. Mais aussi les géants du web – Cisco, Microsoft ou autre Facebook –, qui pourraient être intéressés par la possibilité d'utiliser les écoles comme laboratoire pour leurs innovations. 

En élargissant leurs sources de financement et en professionnalisant leur modèle de gouvernance et de gestion, l'EESC donne aux écoles les moyens de se projeter dans l'avenir. "Notre horizon stratégique passe de quelques mois à trois ou cinq ans, avec la possibilité d'envisager des montages financiers, via des fonds propres, ou en empruntant", se réjouit Stephan Bourcieu. De quoi affronter la concurrence, dans un secteur de plus en plus globalisé.

Marché de l'éducation et stratégies financières, prochaine #confEP
Dans un contexte budgétaire global difficile, de nouvelles manières d'investir dans la formation et de nouveaux acteurs privés apparaissent dans le secteur de l'enseignement supérieur. Qui sont ces nouveaux acteurs, quels sont leurs objectifs à court et à long termes, et, surtout, comment interagir avec eux pour le bénéfice de son établissement ?

Le 23 février, la conférence EducPros sera dédiée aux nouveaux business models du secteur éducatif, avec de nombreux retours d'expérience de nouvelles initiatives pour collecter des fonds et investir intelligemment.

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Cécile Peltier | Publié le