Élections des présidents d'université : des personnalités pas si extérieures

Morgane Taquet Publié le
Élections des présidents d'université : des personnalités pas si extérieures
L'élection du prochain président de l'université de Picardie Jules-Verne tourne au feuilleton en raison du vote des personnalités extérieures. // © 
Alors que de nombreuses universités ont renouvelé leurs conseils d'administration lors du premier semestre 2016, le droit de vote accordé aux personnalités extérieures, une disposition introduite par la loi de juillet 2013, vient peser sur le scrutin dans certains établissements.

"Sans la loi Fioraso, Mohammed Benlahsen serait depuis longtemps élu président de l'université de Picardie Jules-Verne à Amiens." Fabrice Guilbaud, maître de conférences en sociologie et membre de la section Snesup de l'établissement, explique ainsi le feuilleton de l'élection du président de l'université.

Alors qu'en mars Mohammed Benlahsen a été majoritairement élu par les enseignants et les étudiants, Michel Brazier, le président sortant, a bénéficié du soutien de quatre personnalités extérieures. Résultat : les deux candidats obtiennent l'égalité absolue par deux fois (16 voix chacun). Et la situation se retrouve bloquée.

Si le cas d'Amiens est singulier – avec seulement deux listes candidates –, il est emblématique des conséquences d'une disposition de la loi Fioraso : le vote des personnalités extérieures à l'élection de la présidence de l'université.

Depuis juillet 2013, la loi a entériné le fait que les huit personnalités extérieures, trois nommées par les partenaires de l'université (organismes, collectivités...) et cinq par les membres du conseil d'administration (membres élus et personnalités nommées), votent désormais pour élire le président de l'université.

CHAQUE VOIX COMPTE

Avec cette nouvelle disposition, les premiers mois de cette période électorale chargée ont vu quelques rares cas d'élections prendre un tournant inattendu. À Toulouse 2, c'est la question de la parité qui agite l'élection de Daniel Lacroix. Afin de respecter la parité inscrite dans la loi Fioraso, le processus d'élection de cinq personnalités extérieures s'est transformé en un véritable casse-tête chinois. Contestant la régularité de la procédure, la liste opposée a saisi le tribunal administratif.

Autre cas à Paris 13. Début mars, les listes soutenues par le Snesup ou opposées à la liste de Jean-Pierre Astruc sont arrivées en tête chez les personnels dans les élections aux conseils centraux. C'est le vote, début mai, des personnalités extérieures couplé à celui des étudiants qui a fait pencher la balance en faveur du vice-président en charge des relations avec la Comue USPC à Paris 13. Lors de l'élection des cinq personnalités extérieures, si elle n'a pas obtenu la majorité chez les personnels enseignants-chercheurs et BIATSS, la liste de Jean-Pierre Astruc est arrivée en tête grâce au vote unanime des étudiants. Ce résultat ne satisfait pas le Snesup qui regrette "une situation sans précédent : pas un président d'université actuel n'[ayant] été élu sans majorité dans les collèges des personnels".

Une voix d'une personnalité extérieure ou une voix étudiante compte autant que celle d'un personnel.
(J.-P. Astruc)

Jean-Pierre Astruc n'est pas de cet avis. "Une voix d'une personnalité extérieure ou une voix étudiante compte autant que celle d'un personnel", martèle-t-il. Pour le nouveau président, "certes, les personnalités extérieures peuvent faire pencher la balance. Mais, dans le cas de Paris 13, cela n'a pas été déterminant, puisque le vote des personnalités extérieures s'est reparti entre plusieurs listes. Leur vote a simplement amplifié ma victoire", juge-t-il. Jean-Pierre Astruc a finalement obtenu vingt voix lors du vote du conseil d'administration, contre douze pour Christophe Fouqueré, une pour Geetha Ganapathy-Doré et un bulletin blanc lors de l'élection, le 18 mai dernier.

Fin mai, un premier recours pour conflit d'intérêts sur trois des cinq personnalités extérieures élues a été rejeté par le tribunal administratif, qui s'est déclaré incompétent à statuer.

des "abstentions bienveillantes"

À l'Upec, dans un climat électoral tendu par le projet de fusion avec l'université de Marne-la-Vallée, le vote des personnalités extérieures a pesé... aussi par sa neutralité. Arrivé en tête lors des élections dans les collèges des enseignants et enseignants-chercheurs, le président sortant Luc Hittinger (pro-fusion) a finalement été battu par Olivier Montagne (anti-fusion), avec dix-neuf voix contre douze et un blanc. 

À l'alliance des listes anti-fusion autour d'Olivier Montagne, s'est additionné le vote défavorable ou neutre de certaines personnalités extérieures à la candidature de Luc Hittinger. Une analyse nuancée par le nouveau président Olivier Montagne : "Je n'ai pas connaissance des votes des membres du CA mais, dans un contexte de débat entre deux options, je crois savoir qu'il y a eu des abstentions bienveillantes, qui semblent témoigner d'un certain respect du projet universitaire." 

UN SCRUTIN PLUS POLITISÉ

Une neutralité qui n'a pas eu cours à Amiens. "Habituellement, les personnalités extérieures suivent l'orientation du scrutin. Seulement, dans le cas d'Amiens, les quatre personnalités extérieures nommées sont venues se poser en arbitre de l'élection, et sont allées contre la logique du vote, alors qu'un candidat s'était largement dégagé", regrette Fabrice Guilbaud.

Ainsi, si le vote des personnalités extérieures n'est pas forcément décisif, il renforce un jeu politique déjà très présent dans l'élection des présidents. "Le risque est de voir le scrutin se politiser encore davantage", craint Fabrice Guilbaud. "Qu'il y ait une représentation de la société civile, c'est une bonne chose, mais qu'ils aient autant de pouvoir, notamment celui de pouvoir inverser une élection pose problème", estime le maître de conférences, qui plaide pour un retour à la situation antérieure.

Qu'il y ait une représentation de la société civile, c'est une bonne chose, mais qu'ils aient autant de pouvoir [...] pose problème.
(F. Guilbaud)

À Amiens, le feuilleton électoral n'est pas clos. Début juin, les deux candidats avaient finalement trouvé un accord de gouvernance bicéphale : à Michel Brazier la présidence de la commission académique, à Mohammed Benlahsen la présidence du conseil d'administration. Mais cette cohabitation inédite n'aura peut-être jamais lieu.

À la veille du scrutin, une des personnalités extérieures élue au conseil d'administration a démissionné, incitant le rectorat à placer l'université sous l'administration provisoire de Christian Morzewski. L'université devra donc encore élire début septembre un remplaçant à cette fonction avant de procéder à l'élection du prochain président. Le siège d'une personnalité extérieure décidément bien exposée.

Élections des présidents : mode d'emploi
Depuis la loi Fioraso de juillet 2013, le conseil d'administration comprend entre 24 et 36 membres (contre 20 à 30 auparavant), dont 8 personnalités extérieures (7 à 8 auparavant), qui participent désormais à l'élection du président d'université.

Certaines d'entre elles seront nommées par les partenaires de l'université (organismes, collectivités...), d'autres (au plus 5) par les membres du conseil d'administration (membres élus et personnalités nommées). La parité hommes-femmes doit être assurée.

Le président de l'université est élu à la majorité absolue des membres de ce conseil d'administration.
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