Université : quand le manque de moyens mine le quotidien

Marie-Anne Nourry Publié le
Université : quand le manque de moyens mine le quotidien
Un amphithéâtre de l'université Toulouse 3 Paul-Sabatier // ©  Lydie Lecarpentier / R.E.A
Vétusté des locaux, obsolescence du matériel, décuplement des tâches… Avec les restrictions budgétaires, les enseignants, enseignants-chercheurs et étudiants, qui ont vu leur quotidien impacté, dressent un portrait à charge de l'institution. Témoignages alors que les syndicats appellent à une journée d'action le 5 mars pour défendre les conditions de travail et d'études dans l'enseignement supérieur.

"Peintures qui s'effritent", "cafétéria infestée de cafards", "absence de chauffage en hiver", "coupures d'électricité à répétition". Les enseignants, enseignants-chercheurs et étudiants qui ont répondu à l'appel à témoignages d'EducPros sur le manque de moyens des universités ne pèsent pas leurs mots.

"Je dois enseigner dans des salles dénuées du moindre équipement un tant soit peu 'moderne', déplore une maître de conférences de Paris 8. Je suis déjà bien contente quand ma salle a des tables et des chaises en nombre suffisant, des fenêtres qui ouvrent et ferment normalement et du chauffage. Mais, au-delà de ces éléments de confort basiques, l'absence systématique de vidéoprojecteur, de connexion Internet, de sonorisation m'oblige à faire mon cours sans jamais pouvoir m'appuyer sur autre chose que ce que j'écris au tableau ou que je distribue sous forme de photocopies noirâtres (qui nous sont de plus en plus rationnées)."

"La moitié des cours est destinée à régler des problèmes techniques", le matériel étant souvent "vieux de vingt ans", déplore de son côté un doctorant à l'université de Strasbourg. "Entre le temps d'enseignement et le temps pour s'occuper de réparer les ordinateurs, il ne reste que très peu de créneaux pour se concentrer sur les recherches."

"Des bullshit jobs chronophages"

"Alors que notre métier se répartissait auparavant entre l'enseignement et la recherche, il est aujourd'hui divisé en trois parties : l'enseignement, la recherche et l'administration", observe un enseignant-chercheur en linguistique. La multiplication des activités est une conséquence directe du manque d'effectifs. Et à défaut de pouvoir se concentrer sur leur cœur de métier, les universitaires se plaignent de devoir tout faire, plus vite et logiquement moins bien.

À cela s'ajoute une "explosion des bullshit jobs chronophages" liée à l'absence de personnel administratif : construction des emplois du temps, gestion des paies des vacataires, etc. Un professeur de l'université Paris-Ouest Nanterre-la Défense dépeint ainsi "un gonflement des tâches supplémentaires comme la direction de mémoires de master ou les commissions pédagogiques de demandes d'admission en L2 et L3 (facilement plus de 1.000 dossiers par an)".

"Les animaliers ont tellement de travail que nous devons nous-mêmes nous occuper de nos animaux tous les jours", poursuit une doctorante de Paris-Sud. Sans compter les tâches ménagères : "Elles sont tellement mal réalisées que nous devons les faire nous-mêmes."


Alors que notre métier se répartissait auparavant entre l'enseignement et la recherche, il est aujourd'hui divisé en trois parties : l'enseignement, la recherche et l'administration.

Des horaires à rallonge

Multitâches, les enseignants, enseignants-chercheur, doctorants ont vu leurs journées s'allonger au fil des dernières années. Un président d'université évalue "entre 80 et 90 heures" le temps qu'il consacre hebdomadairement à son travail, tandis qu'un professeur indique n'avoir "pratiquement plus de week-ends ou de vacances, au mieux quinze jours au mois d'août".

"D'un point de vue personnel, ce contexte m'a empêché de prendre un congé parental, témoigne un Prag (professeur agrégé de l'enseignement du second degré) de l'université de Nantes. Prendre un tel congé ou refuser les heures complémentaires, c'est les faire porter à ses collègues déjà surchargés ou ne pas respecter le plan de formation."

un Suivi moins personnalisé des étudiants

Victimes directes de ce manque de moyens : les étudiants. Avec la multiplication des tâches, le temps accordé à la préparation des cours et à la correction des travaux est en diminution. Et de plus en plus d'enseignants avouent avoir recours aux QCM durant les examens. La qualité des enseignements s'en trouve donc "touchée", et les étudiants sont "moins incités à travailler, dans un rapport plus distant avec les enseignants", observe l'enseignant de l'université de Nantes.

En outre, la fermeture des enseignements peu ou pas rentables a impacté de plein fouet certains étudiants. Comme en témoigne une jeune femme à l'université d'Orléans : "Dans mon master, la moitié des cours ont été supprimés. Dont ma spécialité, en entier. Du coup, je continue mon année et mon mémoire de recherche, mais personne ne peut réellement m'aider, je n'ai pas de support pédagogique. Je m'en tire bien, je travaille beaucoup [...] mais à cause de cette suppression, je peux dire au revoir à mon rêve d'une thèse. Qui prendrait une étudiant en thèse qui n'a pas suivi de cours de sa spécialité pendant son année de spécialisation ?"

L'accompagnement des étudiants est également touché. "Contrairement à d'autres universités, nous faisons le choix de maintenir une large partie de notre service sur les niveaux L1 et L2 pour garantir une continuité de formation, nous refusant à une embauche massive de vacataires [...] mais la qualité du suivi des étudiants a diminué", concède le Prag de l'université de Nantes.

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Entrée d'une université parisienne // © Camille Stromboni

La recherche sacrifiée

Autre victime de cette multiplication des tâches : la recherche. "C'est le cœur de notre métier, celui qui nourrit l'enseignement, et on a l'impression que les services centraux des universités, en raison des contraintes budgétaires, souhaitent que ce soit la tâche à sacrifier en premier", dénonce un enseignant-chercheur.

Un "sacrifice" qui se traduit par des difficultés accrues pour financer les thèses, une participation aux colloques en chute libre, et "le repliement sur des papiers plus vite faits et plus routiniers", à défaut d'avoir "du temps en continu pour des recherches de fond".

des Rémunérations "répulsives"

Enfin, manque de moyens rime avec "moins de primes pour responsabilités pédagogiques à se partager, et moins d'heures de cours pour certains, donc une baisse sensible de la rémunération", souligne un maître de conférences de Rennes 1. Celui-ci dénonce des "rémunérations répulsives qui font partir les jeunes docteurs, dont des jeunes maîtres de conférences, à l'étranger".

C'est le cas d'un ancien doctorant de l'université de Strasbourg : "Je me suis expatrié aux États-Unis cette année pour pouvoir effectuer une thèse dans les meilleures conditions, au vu des fortes réductions de budget, du peu de reconnaissance du doctorat et du peu d'opportunités de postes en France". Un exemple qui pourrait se multiplier à l'avenir si les universités voient leur budget baisser.

Appel à témoignages
Ces réponses sont tirées d'un appel à témoignages "Comment vivez-vous le manque de moyens dans votre université", lancé sur EducPros le 20 janvier 2015.
Lire aussi
– Amphis gelés, BU bondées, WC délabrés... : les "no-go zones" étudiantes sur Trendy.

– Le tumblr Ruines d'université.

- Une journée d'action le 5 mars à l'appel d'une intersyndicale du supérieur
Marie-Anne Nourry | Publié le