Université : pourquoi la sélection n’est pas la solution

Camille Stromboni Publié le
Université : pourquoi la sélection n’est pas la solution
Bertrand Monthubert Sophie Béjean - Stranes - ©C.Stromboni Octobre 2014 // ©  Camille Stromboni
Faut-il une dose de sélection à l’entrée de l’université ? Les présidents de fac ont de nouveau mis un coup de boutoir pour défendre cette proposition début octobre 2014. À l’inverse, les deux universitaires à la tête de la StraNES (Stratégie nationale de l’enseignement supérieur) plaident pour le maintien de l’ouverture totale de l’université, à condition que les autres filières publiques prennent leurs responsabilités. Interview croisée de Bertrand Monthubert et Sophie Béjean.

Vous êtes contre toute sélection à l’entrée de la licence, contrairement aux dernières prises de position de la CPU [Conférence des présidents d’université]. Pourquoi ?

Bertrand Monthubert : Le problème est trop souvent posé à l’envers. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la sélection, mais de trouver comment donner à tous les bacheliers un véritable accès à l’enseignement supérieur. Il faut adapter le système en commençant par sortir de l’hypocrisie actuelle : certaines filières publiques peuvent refuser des bacheliers, tandis que d’autres assument seules ce droit d’accès au supérieur, en l’occurrence les universités, et les premières ne se soucient pas de l’échec consécutif pour l’étudiant.

Sophie Béjean : Il faut mettre fin à ce “droit à l’échec” : le droit d’accès formel à l’enseignement supérieur se révèle un droit d’échouer pour un grand nombre d’étudiants. La responsabilité de faire réussir les étudiants doit être partagée par tous les acteurs publics, c’est-à-dire les universités, mais aussi les STS, les IUT qui sont d’ailleurs au sein des universités, les CPGE, les formations professionnelles…

L’orientation active existe déjà. Comment faire pour que les STS, IUT et CPGE prennent leurs responsabilités ?

B.M. : Nous partons justement des limites du système d’orientation active, qui est réduit à des relations bilatérales entre le lycéen et chacune des filières qu’il veut rejoindre. Un étudiant qui va être refusé en BTS, ou en DUT, se retrouvera à l’université, alors qu’il ne sera probablement pas en capacité de mieux y réussir !

Il doit donc y avoir un travail commun, en amont, entre les établissements publics pour trouver la meilleure solution pour chaque lycéen. Nous proposons un dispositif global. Cela devrait commencer dès la première, puis en terminale, avec la mise en place d’un conseil d’orientation.

S.B. : Les acteurs de l’orientation, mais aussi ceux des établissements du supérieur, seraient autour de la table, afin que chacun prenne ses responsabilités, et qu’on partage concrètement le droit d’accès du futur bachelier à l’enseignement supérieur. Ce conseil d’orientation permettra aussi de mieux informer les lycéens sur les grandes filières, les débouchés, et de donner plus d’ambition à ceux qui s’autocensurent.

Rien de coercitif donc. La loi prévoit déjà une priorité aux bacheliers professionnels et technologiques en BTS et DUT, qui a permis une progression, mais n’a pas réglé le problème, les universités accueillant encore très largement ce public…

B. M. : La loi affirme une priorité d’accès aux bacheliers technologiques et professionnels en DUT et BTS, l’organisation et la mise en œuvre de cette priorité est plus compliquée. Les recteurs y travaillent, les choses avancent. Mais arriver en fin de parcours, c’est trop tard, le travail doit être fait en amont. Ce conseil d’orientation sera un outil supplémentaire pour le recteur afin de mettre en œuvre cette priorité.

On ne peut pas enfermer les bacs pro dans des silos, les passerelles sont donc nécessaires.
(Bertrand Monthubert)

Vous estimez également, dans le rapport d’étape de la StraNES [Stratégie nationale de l'enseignement supérieur], que les universités doivent continuer à accueillir des bacheliers professionnels, alors que ces derniers ont un taux d’échec très élevé dans les filières générales.

S.B. : Si des bacheliers professionnels veulent faire des études académiques classiques, il faut réunir les conditions pour qu’ils y parviennent. Il faut les y aider dès le lycée, en renforçant les acquis fondamentaux dans certaines filières de bacs pro. Nous proposons de développer les CPES [Classes préparatoires à l’enseignement supérieur] dans les lycées et les universités.

Les universités doivent aussi leur proposer des filières adaptées, dans les licences générales, afin qu’ils puissent étaler leur formation sur quatre ans, et bénéficier d’un renforcement pour obtenir in fine le même diplôme. La notion de réussite doit être redéfinie.

B.M. : Il faut travailler sur un éventail de parcours à l’université et en finir avec la rigidité du système français linéaire. Quand on voit la corrélation entre le milieu social et la filière de bac, on ne peut pas enfermer les bacs pro dans des silos, les passerelles sont donc nécessaires. Soulignons que l’objectif est d’atteindre 50% d’une classe d’âge diplômée d’un niveau licence. Cela ne sera possible aussi que si – au-delà de l’amélioration de la réussite – la part des bacheliers généraux progresse, sinon on ne pourra jamais y arriver.

Université Paul Valéry Montpellier 3 - ©C.Stromboni - avril 2014 (6)

Bibliothèque de l'université Paul-Valéry Montpellier 3, qui a testé la licence en quatre ans en AES - ©C.Stromboni - avril 2014

Certaines universités testent déjà des licences en quatre ans et constatent parfois l’absence de candidats à ces parcours, l’échec devant souvent être expérimenté avant d’accepter d’entrer dans une filière spéciale.

B.M. : À Toulouse 3, nous venons d’ouvrir un parcours de licence en quatre ans en sciences, pour ceux qui ont un bagage trop juste. Il y a 220 inscrits, soit 10% de nos étudiants de L1 sciences !

S.B. : Nous avons conscience que cette problématique peut exister, c’est pour cela qu’il est très important que ces parcours mènent au même diplôme en mixant progressivement les publics issus des différents parcours et filières.

Les universités rencontrent d’importantes difficultés budgétaires. Est-ce réaliste de penser qu’elles auraient les moyens de développer de tels parcours ?

S.B. : De nombreuses mesures que nous proposons conduisent à des évolutions notables : un budget de transition est, bien sûr, nécessaire pour accomplir la StraNES. Il faut d’ailleurs rendre hommage aux établissements qui expérimentent déjà de nombreux dispositifs, dans des conditions difficiles. Mais pour mettre un coup d’accélérateur, il y aura besoin de financements supplémentaires.

B.M. : Évidemment, cela peut apparaître comme un surcoût. Or cela va permettre d’augmenter la réussite en licence, et l’échec coûte cher à l’université et à la société. Mais surtout, il ne s’agit pas d’étudiants en plus, ce sont des étudiants qui seraient déjà inscrits à l’université de toute façon. Ils auraient de grandes chances de redoubler, donc leur proposer une année de plus n’est pas non plus un coût supplémentaire.

Pour mettre un coup d’accélérateur, il y aura besoin de financements supplémentaires.
(Sophie Béjean)

Concernant le master, vous défendez la suppression de la sélection à l’entrée du master 2, et toujours une absence de sélection en master 1. Pourquoi ?

B.M. : Il faut, bien sûr, aller au bout de la logique LMD (licence, master, doctorat), et dans ce cadre la sélection à l’entrée du master 2 n’a aucun sens. Ensuite, tout titulaire d’une licence générale doit avoir accès à un master : l’enjeu, c’est justement d’assurer cet accès au plus grand nombre.

Car on ne diplôme pas assez d’étudiants au niveau master aujourd’hui ! 16% d’une classe d’âge va jusqu’au bac+5, l’objectif fixé par la StraNES est de 25% d’ici à dix ans. À titre de comparaison, au Danemark, ce taux s’élève déjà à 30%. Il s’agit d’un vrai besoin de notre société, notamment économique.

Que feront les universités lorsqu’un master aura plus de candidats que de places ? Un tirage au sort avec un système similaire à celui d’APB vous paraît-il la solution ?

S.B. : Sur ce sujet complexe, une concertation doit avoir lieu, afin d’apporter une solution opérationnelle. Il faut d’abord être conscient que l’engorgement est très localisé, principalement en Île-de-France, ou bien très spécifique, dans certaines filières comme le droit ou la psycho. Dans la majorité des formations, la question ne se pose pas.

B.M. : Nous faisons justement la critique d’un système automatisé entre le lycée et l’enseignement supérieur, et non pas basé sur un vrai travail d’orientation. Il ne faudrait évidemment pas reproduire cela entre la licence et le master. C’est pourquoi c’est un chantier qui doit être ouvert, la réponse ne peut être simpliste.

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