Université : pour ou contre la sélection en master

Camille Stromboni Publié le
Université : pour ou contre la sélection en master
Débat sur la sélection à l'université - William Martinet (Unef) face à Gilles Roussel (CPU) - octobre 2014 // ©  Sylvie Lecherbonnier
Faut-il sélectionner en master à l'université ? Si un certain consensus prévaut contre la sélection entre le master 1 et le master 2, l'alternative à mettre en place oppose en revanche présidents de fac et étudiants. Second volet des Débats d'EducPros sur la sélection, avec Gilles Roussel, président de Paris-Est Marne-la-Vallée, et William Martinet, à la tête de l'Unef.

Les universités opèrent aujourd’hui une sélection entre le master 1 et le master 2, largement décriée. Que préconisez-vous pour remplacer cette barrière ?

William Martinet (président de l'Unef) : Nous faisons deux propositions intermédiaires, de compromis, à court terme. Il faut tout d’abord ouvrir un portail national d’inscription entre le M1 et le M2. Cela évitera aux étudiants de s’en sortir plus ou moins bien selon le bouche-à-oreille ou les visites sur les sites Internet.

Ensuite, il est nécessaire de responsabiliser les universités. Chacune doit s’assurer que ses étudiants ayant validé un M1 puissent accéder à l’un de ses M2, au sein du même grand domaine de formation. Les universités seront ainsi responsables de ne laisser aucun étudiant à la rue, sans formation, à la sortie du M1.

Gilles Roussel (président de l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, président de la commission Formation de la Conférence des présidents d'université) : Je tiens à assurer tout d'abord que les universités et les présidents sont responsables. Il y a en effet une incohérence évidente entre un master en deux ans et une sélection intervenant au milieu du cycle. Mais il ne faut pas pour autant supprimer toute sélection. Il faut déplacer la sélection de l’entrée du master 2 à celle du master 1.

La vraie difficulté est la mobilité de l’étudiant sur le territoire, car il y a assez de places en M2 pour accueillir les étudiants de M1. Un portail national permettant une bonne information serait tout à fait utile, et surtout un accompagnement de la mobilité étudiante – qui est souhaitable – notamment en termes de logement.

Gilles Roussel - octobre 2014 / © L'Express.fr - EducPros

Une sélection à l'entrée du master 1 ne risque-t-elle pas de décourager certains étudiants dans leur poursuite d'études ?

William Martinet : Nous sommes totalement opposés à ce déplacement de la sélection à l’entrée du M1. Ce projet est terrifiant, car cela va évidemment provoquer de l’abandon d’études chez les étudiants entre les deux cycles. Avec, une fois encore, un biais social : on sait très bien qu’une barrière même pédagogique provoque une sélection sociale. Les étudiants qui la franchissent le plus facilement sont ceux qui ont le plus fort capital social.

On expliquera, en outre, à ces étudiants recalés à l’entrée du master qu’ils devront aller chercher du travail avec leur licence. Alors qu’on trouve aujourd’hui moins facilement du travail après une licence générale qu’avec un bac+2… Auprès des employeurs, ils apparaîtront comme ceux qui n’ont pas trouvé de place en master. C’est particulièrement inquiétant et contradictoire avec la démocratisation des études.

Gilles Roussel : A l’inverse, cela pourra être un moyen de revaloriser la licence générale, et de permettre aux étudiants de pouvoir se dire que le niveau bac+3 peut constituer un niveau de sortie d’études. Contrairement à aujourd’hui, où l’on se dit qu’il n’a pas de valeur, notamment du point de vue des employeurs.

C’est souvent vu comme un échec, alors qu’on devrait pouvoir faire le choix d’entrer sur le marché du travail à ce moment-là, selon son projet, au lieu de se forcer à poursuivre un M1 et parfois d’abandonner en cours de route en ayant perdu une année. Avoir un cycle de licence plus intégré permettra aussi à plus d’étudiants de rejoindre des licences professionnelles.

William Martinet - octobre 2014 / © L'Express.fr - EducPros

L'Unef défend à plus long terme la suppression de toute sélection. Comment cela pourrait-il être mis en place, sachant que certains masters 2 attirent un nombre de candidats bien supérieur aux places disponibles ?

William Martinet : L’objectif est en effet de supprimer toute sélection en master, car celle-ci n’a aucune raison d’être. Si certaines formations sont en grande tension, comme la psychologie, ne faut-il pas, plutôt que de renforcer la sélection, réfléchir au contenu de ces masters ? Avec des options supplémentaires à développer, pour ouvrir les débouchés. 

La licence est en train de devenir plus progressive et pluridisciplinaire, cela doit arriver aussi jusqu’au niveau master. Ce sont des étapes de la démocratisation. Il ne faut pas oublier que dix ans après leur diplôme, 60% des salariés ne sont pas dans le secteur de leur formation initiale, ce qui interroge fortement sur la spécialisation des cursus.

Gilles Roussel : Nous sommes totalement opposés à cette suppression. Nous n’aurions pas d'ailleurs les capacités et les moyens financiers d’accueillir dans de bonnes conditions tous les étudiants dans les masters 2 qu’ils choisissent. Notamment en psychologie ou en droit. Et à cette dimension matérielle s’ajoute la question de l’insertion professionnelle qu’il faut assurer à la sortie. 

Si une réflexion sur le contenu des masters est utile, il faut faire très attention à ne pas les rendre trop généralistes. Car la spécialisation est justement l’une de leurs forces, c’est ce qui permet aux étudiants de trouver facilement un emploi derrière.

Il faut garder un juste équilibre. Le processus est déjà en cours dans les facs, par exemple avec le rapprochement entre master “professionnel” et “recherche”. Cela vient justement du constat qu’une filière purement “recherche” est trop restrictive, et qu’une base commune avec une spécialisation plus progressive est pertinente.

Camille Stromboni | Publié le