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Que recouvre le statut juridique de grand établissement, ouvert aux EPE ?

Oriane Raffin Publié le
Que recouvre le statut juridique de grand établissement, ouvert aux EPE ?
L'université de Lorraine, ici la faculté de droit de Nancy, est la deuxième université française ayant le statut de grand établissement. // ©  Fred MARVAUX/REA
À l'issue d'une période expérimentale en tant qu'établissements publics expérimentaux (EPE), les universités peuvent devenir de "grands établissements", comme l'université Paris-Dauphine ou encore l'Observatoire de Paris ou encore le Palais de la Découverte. EducPros vous explique ce que permet ce statut.

Un statut juridique pour différentes temporalités et de nombreuses réalités. Si le statut de grand établissement existe depuis 1984, il connaît depuis quelques années une nouvelle vigueur.

Depuis fin 2018, les établissements de l'enseignement supérieur constitués en établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) ont la possibilité d'expérimenter ce statut.

Ils doivent d'abord devenir établissement public expérimental (EPE) durant deux ans minimum. Ensuite, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) rend un avis et d'éventuelles recommandations avant un passage définitif en grand établissement.

Un statut juridique "sur mesure"

"Les grands établissements permettent des statuts sui generis [de son propre genre, ndlr.] pour un établissement - c'est à dire de déroger aux règles définies dans le code de l'éducation pour les Comue et les universités", explique ainsi Gilles Roussel, président de l'université Gustave Eiffel.

Aujourd'hui en phase expérimentale, cette dernière réunit l'université Paris-Est Marne-la-Vallée et l'IFSTTAR, ainsi que plusieurs écoles en tant qu'établissements-composantes ou écoles-membres.

"Le statut de grand établissement permet d'être un peu différent, avec une gouvernance ou des missions particulières. Pour nous, par exemple, cela se traduit pour l'appui aux politiques publiques ou une politique de recherche nationale qu'une université classique n'a pas", note Gilles Roussel.

Un statut de grand établissement pour adapter la gouvernance des universités

L'université Paris-Dauphine avait déjà obtenu ce statut en 2004, lui permettant aussi de rejoindre en 2014 la Conférence des grandes écoles. Affichant la volonté d'être sélectif et demandant pour certains cursus des frais d'inscriptions élevés, l'établissement parisien a été critiqué pour cette confusion entre université et grande école.

Ensuite, le statut n'avait que peu été attribué aux universités - essentiellement à celle de Lorraine, en 2012, née de la fusion de Nancy I, Nancy II, de l'université Paul Verlaine de Metz et de l'Institut Polytechnique de Lorraine. L'objectif de ce statut : conserver un équilibre entre les territoires, avec des outils de gouvernance adaptés, qui n'auraient pas été possibles sous un statut universitaire.

"On était sur une taille suffisamment conséquente pour qu'on réfléchisse aux statuts nécessaires pour gouverner un tel ensemble, explique Hélène Lesourd, directrice de cabinet de l'université de Lorraine. Mais on reste fondamentalement une université".

Une approche partagée par Marc Dalloz, vice-président de l'université Côte d'Azur, en charge des relations institutionnelles et du suivi du grand établissement.

"Dauphine a la possibilité de fixer les tarifs et de sélectionner à l'entrée. Ce n'est pas le cas - ni aujourd'hui, ni demain - à l'UniCA. On devient grand établissement à droit constant. On continue à appliquer tout le Code de l'éducation, sauf ce qu'on avait besoin de toucher, explique-t-il. Il n'y a pas de changement philosophique".

Une intégration des établissements composantes

Le statut permet notamment de faciliter les collaborations avec d'autres établissements. "Contrairement au partenariat, les établissements composantes sont réellement intégrés à la stratégie, souligne Marc Dalloz. La manière de faire fonctionner tous ces établissements ensemble nécessite des instances que le statut d'université ne peut pas donner".

À l'image, par exemple, des EUR, les écoles universitaires de recherche. "Pour fédérer des établissements et permettre une vraie coopération avec des organismes nationaux de recherche, avoir une galaxie d'établissements composantes ou associés - comme le CHU chez nous - il faut une vraie représentativité", souligne Marc Dalloz

Chaque grand établissement adapte donc son statut sur mesure. "De l'extérieur, c'est peut-être moins uniforme, reconnaît Gilles Roussel. Mais les réalités des universités étaient déjà très différentes. Certaines étaient très centralisées, quand d'autres disposaient de facultés aux pouvoirs très importants".

Du côté des syndicats, l'accueil est beaucoup moins enthousiaste. "On n'attend rien de cet énième changement statutaire… Cela confirme la volonté politique de déstructurer l'enseignement supérieur", déplore Jean-Marc Nicolas, secrétaire général de la CGT FERC.

"On défait systématiquement ce qui avait été élaboré après mai 1968, y compris dans les symboles, poursuit-il. Pour nous, c'est un virage conservateur voire réactionnaire : une déréglementation idéologique pour détruire l'université publique au profit du privé".

Vers une dérégulation de l'enseignement supérieur ?

Un élu SNESUP de l'université Paris Saclay est également très critique. Il évolue au sein d'un EPE qui a succédé à l'université Paris-Sud, aux côtés de deux universités associées l'UVSQ, l'université d'Evry et ayant intégré quatre grandes écoles (CentraleSupélec, IOGS, AgroParisTech et l'ENS Paris-Saclay) ainsi qu'un organisme de recherche.

"Nous déplorons une dégradation démocratique importante. Nous n'avons plus que 50% d'élus du personnel au conseil d'administration (CA) de l'EPE, alors qu'une université doit en avoir entre 66 à 78%. Ce qui signifie que des décisions souvent complexes, concernant des problèmes locaux, sont prises par des extérieurs en majorité".

L'élu dénonce la dérégulation de l'enseignement supérieur. "On se retrouve dans une espèce de trou noir du code de l'éducation. La dégradation démocratique est aussi nationale. Si le Parlement veut modifier les articles du Code de l'éducation, cela ne s'appliquera à personne ! On est en train de le vider. Il contient de plus en plus d'articles qui s'appliquent à de moins en moins d'établissements. On change les établissements pour que le code ne s'applique pas".

À l'issue de l'expérimentation, les changements statutaires sont fixés par décret, donc théoriquement plus difficiles à modifier par la suite.

Depuis 2019, 16 EPE ont été créés. Au 1er janvier, l'université Grenoble-Alpes est sortie de l'expérimentation et a décroché le statut. L'Université Cote d'Azur vise la même transformation d'ici quelques mois. Preuve que ce statut est apprécié...

Oriane Raffin | Publié le