Bulletins scolaires : quand les profs s’autocensurent

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Bulletins scolaires : quand les profs s’autocensurent
Bulletin 3ème trimestre // © 
Conseils de classe, bac, corrections… Le troisième trimestre s’achève avec son lot de bulletins, de notes et d’appréciations. Si les bulletins informatisés ont changé la donne en adoucissant notamment le ton des appréciations des professeurs, celles-ci ne sont pas forcément devenues plus constructives et confinent parfois les enseignants à l’autocensure. Deux enseignants évoquent l’exercice difficile de la remarque sur bulletin.

Certaines appréciations sont tellement improbables qu’elles sonnent comme de fausses perles du bac. « Malgré quelques apparitions, Bernadette n’a jamais fait de miracle ! » Cette appréciation d’un professeur, Philippe Watrelot, professeur de SES (sciences économiques et sociales) au lycée Corot de Savigny-sur-Orge (91), se souvient de l’avoir lue il y a quelques années sur le bulletin d’une élève. « Même si les profs tentent parfois de dire les choses avec humour, un bon mot peut faire mal », juge-t-il.

Rien de personnel

Le professeur de SES s’interdit depuis toujours les commentaires sur la personne elle-même. En ce qui la concerne, Soizic Guérin-Cauet, professeur d’anglais au lycée Jean-Perrin à Rezé-lès-Nantes (44), essaie de ne pas faire de remarques définitives, « pour ne pas casser l’élève et parce que le bulletin le suit et peut le marquer à vie ».

Des remarques « moins enthousiastes qu’au début »

L’enseignante a constaté récemment qu’un jeune collègue écrivait des remarques très encourageantes et beaucoup plus longues que celles des autres. Après quinze ans d’enseignement et de bulletins, Soizic Guérin-Cauet reconnaît que ses remarques sont « moins enthousiastes qu’au début, après des années passées à encourager des élèves en vain pendant trois trimestres ». Avec l’expérience, elle observe aussi que ses appréciations sont de plus en plus constructives. Toutefois, elle concède que l’exercice peut s’avérer bien difficile « lorsqu’il n’y a pas grand-chose à valoriser ». « On est parfois à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, poursuit-elle. Mais on ne peut pas mettre "élève n’ayant aucune culture générale", parce que cela renvoie davantage à la panne de l’ascenseur social qu’à l’élève. »

Entre autocensure et standardisation

Depuis son début de carrière il y a trente ans, Philippe Watrelot observe un progrès dans la nature des remarques qu’il peut lire. Un progrès qu’il met sur le compte d’une sorte « d’autocensure des enseignants », facilitée par une évolution technologique non négligeable : le bulletin informatisé. « Avant, les professeurs faisaient les bulletins en salle des maîtres et il pouvait y avoir une certaine émulation à l’idée de faire un bon mot, alors que le prof est désormais seul devant son ordinateur. De plus, les logiciels proposent une banque de commentaires tout prêts. Cela explique que les remarques soient devenues plus standardisées et édulcorées », commente l’enseignant. Soizic Guérin-Cauet, qui remplit cette année les livrets de neuf classes de 25 élèves, ajoute ne pas avoir le temps de « faire de la littérature ». « Et sur les bulletins informatisés, même si l’on veut ajouter son propre commentaire, on a un nombre de caractères limités, qui doit faire à peine deux
tweets [deux fois 140 signes, NDLR] », compare le professeur d’anglais.

Remise des bulletins en main propre

L’autre élément important est la remise des bulletins en main propre dans de nombreux établissements. « On n’écrit pas la même chose quand le bulletin n’est pas envoyé de manière impersonnelle par courrier, mais est donné aux parents, en présence de l’élève », remarque le professeur de sciences économiques et sociales.

Diplomatie ou langue de bois

Si la professeure d’anglais n’est pas tombée depuis longtemps sur des remarques choquantes dans les livrets de ses élèves, elle constate qu’il y a « toujours les mêmes phrases et de plus en plus de langue de bois, ou de diplomatie, selon le point de vue ». D’après Soizic Guérin-Cauet, on préférera « attitude peu propice au progrès » ou « vous compromettez votre réussite » à « aucun travail » ou « peu d’efforts ». Une prudence surtout de mise en première et terminale, où les bulletins seront scrutés dans les dossiers d’admission pour les études supérieures. « Si j’ai envie de dire à ses futurs profs qu’un élève de terminale ne travaille pas, je ne vais pas mettre "faites gaffe, c’est un glandeur", je vais plutôt écrire "son orientation dans la filière demandée lui permettra sans doute de s’investir dans ses études" », assure l’enseignante.

Rien de plus que la moyenne

L’appréciation peut aller jusqu’à perdre toute substance, et tout intérêt, pour n’être qu’une redite de la moyenne de l’élève. Aussi pourra-t-on souvent lire « ensemble moyen » à côté d’une moyenne tournant autour de 10/20. « On a aussi tendance à oublier les bons élèves, en se contentant d’écrire qu’ils sont bons et c’est tout ! J’aime bien dire pourquoi. S’ils sont travailleurs ou s’ils ont de très bons résultats parce qu’ils ont acquis des bases solides au collège », précise Soizic Guérin-Cauet.

Un rôle clairement défini par circulaire

La circulaire « Présentation et contenu du bulletin trimestriel » datant de juin 1999 définit pourtant clairement le rôle des remarques dans les bulletins scolaires, stipulant que « les commentaires relatifs à chaque élève doivent comporter, d’une part, une appréciation sur ses performances scolaires, valorisant ses points forts et l’encourageant à progresser et, d’autre part, des conseils précis sur les moyens d’améliorer ses résultats. Un modèle de bulletin à cinq colonnes est même proposé en lien avec la circulaire (document PDF). Une première colonne précise la matière, la seconde est réservée aux notes, la troisième aux appréciations générales (savoir, savoir-faire, comportement), la quatrième aux progrès et efforts faits dans les matières et dans le comportement, et la dernière aux conseils pour progresser. « Cette circulaire cadre les choses et donne au proviseur les moyens d’intervenir pour que le bulletin soit non seulement un bilan, mais aussi un moyen de progresser, relève Philippe Watrelot. La nuance des appréciations et le respect de la personne de l’élève y sont aussi évoqués. »

Le conseil de classe pour discuter des appréciations

Au lycée Jean-Perrin de Rezé-lès-Nantes (44), les bulletins ressemblent fort au modèle fourni par la circulaire, et le proviseur veille à ce que les appréciations, présaisies par les professeurs sur un logiciel, reprennent bien un bilan, une explication et des conseils. Pendant les conseils de classe, chaque bulletin est projeté sur un grand écran. Une bonne moitié de la réunion consiste à échanger autour des appréciations de chacun et de l’appréciation générale proposée par le professeur principal de la classe. À cette occasion, le proviseur juge parfois utile de préciser des éléments de la vie personnelle de l’élève. « Lorsqu’on entend que le petit frère de tel élève a une grave maladie ou que ses parents vivent un divorce difficile, on est plus indulgent », illustre Soizic Guérin-Cauet.

Juger le travail de l’élève, pas la personne

Les conseils de classe sont aussi le moment opportun pour modifier des appréciations. « Le proviseur a déjà remplacé "élève sympathique" par "élève agréable", illustre Soizic Guérin-Cauet. Parce que le terme sympathique renvoie à la personnalité de l’élève, alors qu’agréable qualifie un élève qui s’intéresse au cours et est dans l’interaction. » Apprécier le travail et le comportement de l’élève sans juger la personne. Un exercice subtil.
 

En savoir plus

Sur letudiant.fr, retrouvez le dossier « Dans les coulisses des conseils de classe de seconde », avec des reportages dans trois établissements franciliens :

• « Conseils de classe : des paris sur l’avenir » ;
• « Conseil de classe : les profs ont la parole » ;
• « Conseil de classe : le redoublement en dernier recours ».

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