"Au début de l’examen d'histoire de l'islam, jeudi 8 janvier 2015, nos professeurs nous ont dit qu’il était de notre devoir, en tant qu'étudiants en sciences humaines et sociales, de lutter contre le fanatisme et l'ignorance, raconte Anne Ancian, étudiante en licence 3 d’histoire à Lyon 2. Nous n’avions vraiment pas le cœur à être ici et cela nous a aidés à nous concentrer." La jeune femme a tout autant été touchée par l’encart en hommage à "Charlie Hebdo", ajouté par ses enseignants dans le sujet de partiel.
Outre les réactions institutionnelles des universités et des grandes écoles à la suite de l’attentat du 7 janvier, l’événement dramatique provoque ainsi un questionnement sur le comportement à adopter, en tant qu’enseignant, face aux étudiants.
À l’université de Versailles-Saint-Quentin, Benoît Petit a dispensé son cours de "droit et éthique", ce vendredi 9 janvier, à sa trentaine d’étudiants de master 1 en ressources humaines. Il a très naturellement évoqué l’attentat, explique-t-il, dès le début de ce TD qui s’ouvre toujours sur un fait d’actualité.
"Les étudiants ont été rassurés par le mouvement de soutien et de solidarité massif, mais aussi interpellés et apeurés par certaines réactions, décrit le maître de conférences en droit. La discussion a duré une bonne quarantaine de minutes, de nombreuses questions ont fusé, de la liberté d’expression et ses limites à la possibilité, en tant qu’avocat, d’avoir à défendre lors d'un procès de terroristes."
"La vraie difficulté pour tout enseignant est de rester dans l’objectivité, estime l'universitaire. Et c’est pour cela qu’il ne s’agissait pas de donner ma grille de lecture de l’événement mais d’animer un débat."
En parler ou pas ?
"En tant que maître de conférences en sociologie, j’ai la responsabilité de parler à mes étudiants de l’importance de cet acte dramatique, poursuit Sophie Orange, de l’université de Nantes. L’université est là pour développer l’esprit critique et justement ce qui a été attaqué mercredi, c’est d’abord cela."
Même réaction de la part d'Alain Beretz, à la tête de l’université de Strasbourg : "J’aurais voulu en parler en cours comme un homme avec ses semblables. Nos étudiants sont de jeunes adultes et ce sont eux la garantie de la liberté demain pour notre pays."
L’université est là pour développer l’esprit critique et justement ce qui a été attaqué mercredi, c’est d’abord cela. (S.Orange)
À chacun de faire son choix
Aucune recommandation ne va pour autant être donnée aux enseignants-chercheurs. "Il n’y aura évidemment pas de ligne officielle sur le sujet, cela serait totalement contraire à la liberté qui est au cœur de l’université", poursuit Alain Beretz.
"Je n'ai pas donné de consignes aux enseignants, décrit également sa consœur strasbourgeoise Isabelle Barth, directrice de l’EM Strasbourg. Ils ont carte blanche pour parler de l’attentat tout comme la liberté de ne pas l’évoquer. Il n'y a pas de mode d'emploi standard, le mot commun étant tolérance."
Enseignant-chercheur en droit à l’université de Tours, Damien Thierry n’a justement pas prévu d’aborder le sujet avec ses étudiants. "Ce n’est pas forcément mon rôle", estime-t-il.
Attention aux amalgames
Plusieurs universitaires soulignent enfin la nécessité d’une vigilance à plus long terme. Sophie Orange compte ainsi insister auprès de ses étudiants sur la question des amalgames.
Un sujet sur lequel la présidente de l’université Paris 8, Danielle Tartakowsky, se dit particulièrement attentive. "La rectrice de l'académie de Créteil nous a beaucoup appelés, car elle était très anxieuse vis-à-vis des amalgames, confie-t-elle. Pour le moment, il y a eu une grande dignité, mais je crains que nous entrions dans des temps difficiles, et nous serons très attentifs."
Professeur dans l'enseignement supérieur, vous avez abordé ou prévoyez d'aborder l'attentat contre "Charlie Hebdo" avec vos étudiants. Faites-nous part de votre témoignage.
Étudiants et lycéens sont Charlie