Dans les écoles de commerce, des pistes pour conjuguer ouverture internationale et impératif environnemental

Agnès Millet Publié le
Dans les écoles de commerce, des pistes pour conjuguer ouverture internationale et impératif environnemental
Écoles de commerce : les pistes pour conjuguer ouverture internationale et impératif environnemental // ©  DEEPOL by plainpicture
Lors d'un colloque, le 23 mai, les écoles de la CDEFM (Conférence des directeurs des écoles françaises de management) ont échangé sur leurs enjeux de mobilité internationale à l'aune de la transition écologique. Nécessité de l'ouverture au monde, et d'une expérience transformante, choix des destinations, risque de tourisme académique : les enjeux sont complexes.

En école de commerce, le cadre est imposé : pour décrocher un diplôme de programme Grande école, un séjour à l'international de quatre à six mois est le minimum.

Mais depuis la crise sanitaire et avec la montée d'une prise de conscience sur les enjeux de transition environnementale, la question de ces mobilités devient plus délicate chez certains étudiants. De l'autre côté, la France affiche un double objectif de réduire de 50% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et de se diriger vers la "neutralité carbone" en 2050, et les établissements du supérieur sont concernés par les efforts à faire.

Selon Maud Chassande, responsable transformation écologique de l'Essec et co-pilote du comité d'experts transition écologique et sociale de la CDEFM, "50 à 80% du bilan carbone des écoles de commerce sont issus des mobilités". Des initiatives sont lancées pour combiner cet impératif de mobilité et la réduction de l'empreinte de ces déplacements, mais les écoles cherchent encore les bonnes formules et se réunissaient donc, le 23 mai à l'EM Normandie (Clichy), pour échanger.

Les atouts des mobilités internationales

"Les jeunes ont toujours envie de partir : la France reste le sixième pays qui envoie des étudiants", rappelle Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France. Une envie enrichissante, selon la directrice générale. "Je voudrais que l'on puisse quantifier ce que ces mobilités apportent de positif, pour d'autres ODD (objectifs de développement durable) que l'environnement", souligne-t-elle. Parmi ces ODD, on trouve en effet, l'accès à une éducation de qualité mais aussi la justice et la paix.

Pour Elian Pilvin, directeur d'EM Normandie, il faut des diplômés rompus à la multiculturalité. "Je pense que c'est cette capacité de faire société qui permettra de trouver, ensemble, les moyens de répondre aux grands enjeux sociétaux".

De plus, ce moment des études est un passage indispensable pour la construction et l'autonomie de l'élève. "Il y a un 'avant' et un 'après' l'expérience internationale. C'est un étudiant nouveau qui revient dans notre école", observe le directeur.

La question de l'intérêt de la mobilité

La question de l'intérêt de l'expérience pour l'apprenant et pour le monde est centrale. "Nos écoles doivent donner du sens à cette expérience : il faut qu'elle soit transformante, sinon cela devient du tourisme académique. On le sait tous, certains de nos étudiants nous considèrent comme des tour operators", confirme Isabelle Jauny, directrice de Skema transitions et membre du comité d'experts de la CDEFM.

Tous déplorent les phénomènes d'entre-soi, lorsque les étudiants se regroupent par nationalité, sans se confronter au pays d'accueil. Ce qui rend la mobilité peu opérante pour l'acquisition de compétences.

"On éduque nos étudiants avant leur départ, et on les accompagne pendant et après, pour les rendre conscients de leur mobilité et de leur impact social. Par exemple, si vous allez dans un pays sujet aux sécheresses, ne gaspillez pas l'eau, cela pourrait choquer. Mais aussi, n'hésitez pas à rapporter ici les bonnes idées que vous aurez trouvées là-bas", explique Chris Crabot, directeur associé à la Nottingham Trent University (Royaume-Uni).

"La mobilité doit être utile pour l'étudiant, pour l'établissement d'accueil mais aussi pour la communauté de l'école et le monde. Pour qu'elle ait une valeur, il faut qu'elle ait un impact collectif. Or, dans nos écoles, nous n'arrivons pas à capter cet apport à leur retour. Il faut travailler cela", soutient Isabelle Jauny, qui note que les équipes des écoles "doivent avoir une forme d'exemplarité et faire des arbitrages de mobilité sur le plan personnel et professionnel".

Reste l'épineuse question des ressources financières apportées par ces échanges. "En tant que directeur général, je pense qu'il y a aussi un enjeu de business model pour les écoles. Déjà à court terme, quand il y a des difficultés de visa [affectant les mobilités entrantes], cela a un impact sur nos budgets".

Réfléchir à des modalités différentes

Des leviers existent pour des mobilités plus responsables. "Il faut combiner les aspects de choix de la destination, de choix du mode de transport et de la durée du séjour et des activités sur place", détaille Isabelle Jauny, de Skema transitions.

"La mobilité a une valeur, oui. Mais est-ce qu'il faut partir si loin? Nous devons distinguer la notion de mobilité et la notion d'expérience", propose Scott G. Blair, ex-vice-président de la Canie Europe (Climate action network for international educators) et rédacteur chargé du développement du contenu pour Task, un test RSE.

"Quelle est la raison pour laquelle on envoie nos étudiants à l'étranger? Peut-on atteindre ces objectifs uniquement par une mobilité ?" Selon lui, que la réponse soit positive ou négative, cette réflexion donne une grille de lecture.

Chris Crabot, directeur associé à la Nottingham Trent University (Royaume-Uni) abonde. "On peut se demander à quoi ça va m'avancer, cette mobilité ? En Grande-Bretagne, ce n'est pas obligatoire [les contraintes budgétaires et administratives y sont plus fortes]. Donc, nos étudiants se posent vraiment ces questions".

"La mobilité n'est qu'un des moyens de l'internationalisation. Seuls 5% de nos étudiants sont en mobilité. Comment on apporte de l'international aux 95% autres ?", poursuit-il. Et d'expliquer la mise en place de programmes rassemblant ses étudiants avec d'autres étudiants en Europe. Ces modèles se basent sur des interactions en ligne auxquelles s'ajoutent une semaine sur place.

De manière générale, l'établissement incite ses étudiants à partir dans l'Europe proche, et à privilégier le train. "On peut avoir un impact fort avec moins de carbone", résume-t-il.

Partir moins et partir plus près ?

Les mobilités proches, accessibles en train, seraient-elles la solution ? Pas si simple. "Je voudrais mettre en garde contre une certaine forme d'entre soi qui se met en place pour des raisons - légitimes - de sécurité, d'identité de valeurs et de liberté académique. En ce moment, nos établissements ont davantage envie d'opérer avec des établissements européens. Il est très important de ne pas aller en ce sens", prévient Donatienne Hissard, de Campus France.

"Le Togo n'est pas la République Tchèque. Ça n'est pas la même chose d'aller au Moyen-Orient voir qu'Al-Jazeera diffuse en continu sur la crise palestinienne. Cela ne provoque pas la même compréhension du monde que lorsque l'on circule entre Washington, Rome et Berlin", poursuit-il.

Partir moins souvent et plus longtemps : la piste semble faire consensus. "L'idée n'est pas d'interdire à un étudiant de partir une fois durant son cursus pour une longue mobilité en Inde. Mais plutôt de se poser la question pour ceux qui partent plusieurs fois, dans des capitales occidentales. Est-ce que l'on peut réfléchir à certaines mobilités, qui ne sont peut-être pas essentielles?", explique Maud Chassande.

L'étudiant doit pouvoir choisir

Pour Elian Pilvin, il existe aussi un "conflit de générations et de valeurs. "La liberté est une des valeurs de l'EM Normandie. J'ai du mal, éthiquement, quand j'entends préconiser une interdiction ou une très grande coercition aux mobilités. Je me demande qui je suis pour interdire aux générations que mon école est en train de former une expérience transformatrice et leur interdire de s'ouvrir sur le monde?".

Pourtant, si l'on parle de liberté, pense Maud Chassande, "il faut parler aussi de la liberté collective que l'on veut construire : comment faire pour que ma liberté personnelle n'empêche pas la liberté collective de vivre sur une planète la plus habitable possible?"

Elle souligne que "nous parlons de la liberté de quelques-uns – prendre l'avion est une chance et un privilège - même si cela paraît naturel dans nos écoles. Il faut redonner à nos élèves la valeur que cela a, de prendre l'avion".

Pour Amanda Pouydebasque, directrice des affaires internationales et professeure associée à Grenoble EM, une question ne s'est pas posée. Si l'on évoque la difficulté éthique à ôter aux étudiants le choix d'étudier dans certaines destinations, une autre question se pose.

"Puisqu'une expérience internationale est une condition de diplomation, est-ce qu'on ne peut pas faire évoluer la définition de cette expérience internationale, pour certains étudiants qui - politiquement ou financièrement - ne souhaitent pas partir à l'étranger? C'est un vrai débat, qui rejoint cette question de la liberté. Pour moi, une mobilité physique doit être un choix." Un changement de modèle pédagogique auquel réfléchirait justement la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG). 

Agnès Millet | Publié le