En informatique, il y a le hardware (les composantes de l'ordinateur) d'un côté, et le software (les logiciels) de l'autre. On retrouve le même vocabulaire dans la bouche des recruteurs au sujet des jeunes diplômés issus des écoles d'ingénieurs. Ils cherchent en eux autant de "hard skills" (compétences techniques et scientifiques) que de" soft skills" (compétences relationnelles).
"Il ne s'agit pas seulement de savoir parler en public ou de gérer les conflits, explique Virginie Groussard, directrice du recrutement chez PwC (PricewaterhouseCooper), cabinet d'audit et de conseil. Pendant le recrutement, le candidat passe notamment un entretien RH au cours duquel nous évaluons cinq compétences, dont quatre sont des 'soft skills' : les capacités relationnelles, la connaissance de l'environnement et des enjeux économiques, la capacité à comprendre les enjeux politiques, sociaux et culturels mondiaux, le sens du leadership."
Rencontrer les clients
Deux raisons principales expliquent l'importance croissante des "soft skills" chez les ingénieurs. D'abord, à compétences égales, c'est bien la personnalité qui fera la différence lors du recrutement. Ensuite, la fonction a tellement évolué ces dernières années que la seule technicité ne suffit plus.
"Il nous faut des gens capables d'avoir une communication concise, une approche analytique et – de plus en plus – de rencontrer les clients, prévient Hervé Poitevin, directeur des systèmes d'information chez BBGR, fabriquant de verres optiques, filiale d'Essilor. Car nous les emmenons directement chez nos partenaires industriels avec lesquels nous construisons les dossiers. Les ingénieurs que nous recrutons ne sont pas des gens qui devront avoir raison avant tout : ils doivent pouvoir écouter le besoin du client."
La fonction d'ingénieur s'est complexifiée, celui-ci doit désormais gérer des situations humaines, sociales et économiques.
(I. Cailleau)
Communication non-verbale et clown-théâtre
Les écoles d'ingénieurs ont depuis toujours une part de sciences humaines et sociales dans leurs cursus. Toutes proposent au moins un cours ou un stage en lien avec les "soft skills".
Pourtant, les recruteurs attendent plus d'eux. Selon une étude de septembre 2015 de l'association Pasc@line, "les compétences dans le domaine du développement personnel ne sont développées que dans 59% des cas en tronc commun" dans les établissements. L'association préconise un passage à 100%.
"Cela fait 22 ans que l'école a été créée et 22 ans que nous formons les étudiants à ces compétences", fait remarquer Martine Tani, responsable du pôle "Management, projet professionnel et personnel" à l'ENSGSI de Nancy. "Quand nous recevons les étudiants, ils sont encore formatés dans le 'nous devons savoir'. Nous leur permettons d'atteindre un niveau d'autonomie et de maturité émotionnelle."
L'école a renouvelé ses apprentissages en matière de savoir-être. Sur les trois années du cycle ingénieur, les cours dédiés aux "soft skills" prennent un tiers du temps. Au programme : des cours de communication non-verbale, de clown-théâtre, de négociation, d'animation de réunion, de prise de parole, de management d'équipe.
La pédagogie par projet est privilégiée ainsi que les mises en situation. L'équipe est composée de trois personnes en interne et de sept intervenants extérieurs (artistes, musico-thérapeutes, philosophes...).
Gérer des situations humaines, sociales et économiques
À l'université de technologie de Compiègne (UTC), on ne parle pas de "soft skills", mais de sciences humaines et sociales. "Nous voulons former des ingénieurs capables de réfléchir et d'analyser, explique Isabelle Cailleau, enseignante et responsable d'une partie des enseignements de communication. La fonction d'ingénieur s'est complexifiée, celui-ci doit désormais gérer des situations humaines, sociales et économiques."
L'UTC propose donc une centaine d'UV (unités de valeur), allant du design à la pratique théâtrale en passant par le marketing et les techniques de créativité, auxquelles peuvent s'inscrire à la carte les étudiants en cycle ingénieur, en master ou en apprentissage. Ici, pas d'intervenant extérieur, mais des enseignants maison en économie, en philosophie, etc.
Virginie Groussard, de PwC en est convaincue : "Les écoles d'ingénieurs forment mieux aux "soft skills" qu'avant, c'est vrai. La différence avec les étudiants en écoles de commerce est de plus en plus ténue. Mais il en reste encore une... "