Epreuve de mathématiques S du concours BCE : un couac lourd de conséquences

Oriane Raffin Publié le
Epreuve de mathématiques S du concours BCE : un couac lourd de conséquences
L'épreuve de mathématiques S du concours BCE est entaché par un scandale qui fait réagir enseignants de prépa et candidats. // ©  Lincoln/Adobe Stock
Alors qu’une large majorité de l’épreuve phare du concours d’entrée à l’Essec et HEC a été réutilisée d’un sujet passé, des acteurs du secteur demandent une remise à plat du concours.

Tenu dans un contexte marqué par la crise sanitaire, le concours d’entrée en école de commerce BCE (Banque commune d'épreuves) est entaché cette année par un scandale qui fait réagir enseignants de prépa et candidats. L’épreuve emblématique de mathématiques S du concours Essec/HEC, de coefficient 6, serait, pour plus des trois quarts de son contenu selon 157 enseignants de prépa, fortement inspiré d’un ancien sujet de 2018.

Ce dernier, non diffusé en concours officiel, avait été utilisé dans la prépa versaillaise du lycée Notre-Dame du Grandchamp, dans le cadre d’une épreuve blanche en 2019. Quatre élèves de l’établissement ayant cubé avaient donc déjà réalisé l’exercice. Selon les enseignants, il est fort probable que les autres élèves de l’établissement aient planché dessus pendant leurs révisions – voire des candidats issus d’autres prépas.

A court terme : limiter la casse

Mi-juillet, l’APHEC (association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) a estimé que l’affaire était "très grave", menaçant "la crédibilité de toute une filière". En réaction, la BCE, réunie en cellule de crise avec les écoles, a décidé de revoir le barème de l’épreuve, et accepté un audit demandé par l’association d’enseignants.

Mais depuis, 157 enseignants de prépa ont cosigné un communiqué, appelant une neutralisation ou une reprogrammation de l’épreuve, estimant que la modification du barème n’apportait aucune réponse équitable, et reprochant à la BCE de minimiser l’affaire. Un professeur signataire estime que "les écoles n’ont clairement pas pris la mesure de la situation". Selon lui, elles apparaissent comme "victimes, devant accueillir les candidats les plus brillants et non ceux ayant bénéficié d’une fuite".

La bonne solution aurait été de faire repasser l’épreuve immédiatement, selon plusieurs enseignants contactés par EducPros. Mais ils déplorent que la BCE ait tardé à réagir, laissant passant cette possibilité. "Il n’y a plus de bonne solution pour les étudiants", tranche Antoine Crouzet, professeur de mathématiques en CPGE à Saint-Brieuc. "La neutralisation de l’épreuve c’est la seule chose qui puisse être faite pour garder une équité du concours, pas vis-à-vis des étudiants mais du concours, estime-t-il. "Si un autre choix était pris, cela créerait un précédent et enverrait un message de soutien à tout futur candidat qui aurait des velléités de fraude", ajoute un autre enseignant souhaitant garder l’anonymat.

Il n’y a plus de bonne solution pour les étudiants (A. Crouzet, professeur à Saint-Brieuc)

Une option balayée par la BCE : "la neutralisation reviendrait à faire peser un poids exorbitant en termes de coefficient sur une seule épreuve de maths. A notre sens, ce serait une encore plus mauvaise solution", explique Christian Chenel, directeur des admissions et concours. Quant à la reprogrammer, ce n’est "pas possible" selon lui, alors que les candidats ont fini de rentrer leurs vœux dans le Sigem et attendent les résultats…

Un audit en cours

Du côté de la DAC, on rappelle par ailleurs qu’"aucun candidat ne savait que ce sujet-là allait tomber." Christian Chenel ajoute : "Laissons travailler l’audit, on annoncera des décisions en septembre". L’enquête a d’ores et déjà débuté. "Il s’agit de limiter les frais et de faire en sorte que les prochains concours ne soient pas entachés de dysfonctionnements de ce genre", estime Christine Pires, vice-présidente de l’APHEC, structure qui devrait être auditionnée dans le cadre de l’audit. "Il faut que cela permette aussi une révision de toute la chaîne des concours, vers plus d’efficacité et de transparence".

Un objectif partagé par les professeurs signataires du communiqué, qui souhaitent "sécuriser la chaîne de gestion des concours" et "supprimer les pratiques déloyales de certains établissements".

L’occasion de repenser le concours

L’ADMCP, l’association de défense de la méritocratie en classes préparatoires, estime que la diffusion partielle du sujet "n’est pas un simple incident technique". Bien au contraire. Il révèle le "caractère artisanal" du concours, selon l’association, qui dénonce depuis un an, avec une étude argumentée, les failles du système. Tâm Nguyen, fondateur et président, appelle donc à repenser l’ensemble du dispositif, et davantage s’inspirer du concours d’entrée en école d’ingénieurs.

"Pourquoi le ministère ne se mêle-t-il pas beaucoup plus de tout cela ?", s’interroge également Tâm Nguyen. "Nous en appelons à une régulation plus forte des acteurs publics. En l’état, les écoles délèguent complètement le concours à un opérateur qui est un peu livré à lui-même !"

Même espoir du côté des enseignants, de voir le concours évoluer vers plus d'équité. Et surtout limiter polémiques et fraudes. "On pourrait imaginer que les sujets non utilisés soient publiés, que les noms des concepteurs et des relecteurs des épreuves soient annoncés… et en corollaire, que les sujets soient conçus par des personnes qui n’enseignent pas dans la filière ! Ce serait une grosse avancée", estime Antoine Crouzet.

Le tout pour défendre la crédibilité du secteur. "Nous sommes déjà dans une filière qui est perçue comme très fermée dans la société… il faut que le concours suive en étant fiable et solide", appuie Tâm Nguyen.

Oriane Raffin | Publié le