Jean-Robert Pitte (DIO) : "Il faut être plus à l'écoute du marché de l'emploi"

Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et Isabelle Maradan Publié le
Jean-Robert Pitte (DIO) : "Il faut être plus à l'écoute du marché de l'emploi"
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Jean-Robert Pitte , nommé DIO (délégué à l’information et l’orientation) auprès du Premier ministre en juin 2010, vient de recevoir sa lettre de mission. L’ancien président de l’université Paris 4-Sorbonne dresse en exclusivité pour Educpros un portrait du « nouveau service public de l’orientation tout au long de la vie » qu’il est chargé de mettre en place.

Dans quel délai le « nouveau service public de l’orientation tout au long de la vie » doit-il être opérationnel ?
Le plus tôt possible. Beaucoup de choses auraient déjà dû être lancées. Ce poste de DIO [délégué à l’information et à l’orientation, NDR] nouvelle formule rattaché à Matignon était prévu dans la loi du 24 novembre 2009 et le DIO devait remettre  un premier rapport au Parlement et au Premier ministre en juillet 2010. J’ai été contacté pour ce poste fin mai et nommé le 23 juin. On aura donc du retard. On va essayer de faire en sorte qu’un maximum de choses puissent voir le jour d’ici à la fin de l’année scolaire et universitaire. Je prends cette référence d’année scolaire, même si ma mission ne concerne pas seulement les jeunes, mais bien toutes les personnes tout au long de la vie, qu’elles soient en formation, en emploi ou en recherche de travail.

De quels moyens disposez-vous pour mener à bien votre mission ?
Pour le moment, une équipe restreinte de cinq collaborateurs, chargés de mission, de haut niveau (catégorie A ou A+) est mise à ma disposition par les quatre ministères concernés (Éducation nationale, Enseignement supérieur, Emploi et Jeunesse). Nous sommes installés dans les locaux du ministère de l’Éducation nationale, mais le DIO est rattaché directement à Matignon. Par ailleurs, le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels dispose de 5 millions d’euros pour mettre en place le service dématérialisé d’information et d’orientation. C’est une de mes priorités de définir précisément, avec les partenaires sociaux et le secrétaire d’État chargé de l’Emploi, l’affectation de ces moyens.

Le service dématérialisé (Internet, téléphone) d’information et d’orientation sera-t-il le premier chantier que vous allez mettre en œuvre en tant que DIO ?
On ne peut pas séquencer en faisant d’abord le service dématérialisé puis la labellisation. Il faut organiser les deux en même temps. Vont participer au service dématérialisé des organismes sérieux qui ont fait leurs preuves et sont dignes d’être labellisés. Le dématérialisé, c’est le premier accueil. Il permet d’aiguiller les gens vers des lieux d’accueil en fonction de l’endroit où ils habitent et de leur problème. On peut les aider, prendre rendez-vous pour eux. On traite d’un cas particulier, un peu comme un accueil du SAMU, dont le diagnostic permet de rediriger la personne vers le bon service. Mais ce premier accueil peut aussi se dérouler de manière matérialisée, en face à face, comme à la Cité des métiers de la Cité des sciences, où je viens de passer l’après-midi.

Allez-vous également créer des lieux d’accueil physiques, des « maisons de l’orientation », à l’image de la Cité des métiers ?
Je suis enthousiaste parce que j’en sors et que j’ai trouvé ça formidable. Il y a déjà quinze cités des métiers en France. Qu’on soit jeune en formation initiale, adulte, au chômage ou en emploi, on accède à un guichet où l’on peut exposer son problème en deux ou trois minutes afin d’être redirigé vers le bon service en fonction de la question posée. L’idée est d’implanter dans les mêmes locaux des organismes d’info et d’orientation, des COP, de Centre Inffo, de Pôle Emploi, etc. Et il y a des batteries d’ordinateurs spécialisés en fonction des problèmes, plus une bibliothèque. Les gens en sortent avec une information sérieuse. La Cité des métiers constitue un des modèles, mais il y a un tas de conventions rectorat/région, rectorat/chambre de commerce, rectorat/partenaire, et également des maisons de l’emploi, parfois financées par les villes, les départements ou les régions. Bref, il existe une grande variété d’accueils.

Comment allez-vous vous y prendre pour labelliser les « lieux d’accueil pour tous » ?
La labellisation ne va pas se décider depuis Paris. Un protocole national de labellisation sera mis sur pied, avec les représentants des ministères, des collectivités locales, l’ARF (Association des régions de France) en particulier, les partenaires sociaux et organismes consulaires. Puis cela se fera en région. Ce sont des commissions présidées par le représentant de l’État associant les différents partenaires qui instruiront les demandes de labellisation.

Concrètement, le « plan de coordination des opérateurs nationaux d’information et d’orientation » se traduira-t-il par une fusion de l’ONISEP, du CIDJ et de Centre Inffo ?
Non, personne ne m’a confié cette mission. Il existe actuellement 8.000 points d’accueil sur ces questions d’info et d’orientation en vue d’un débouché professionnel. Ils dépendent d’organismes très variés, ceux d’État auxquels il faut ajouter tout ce qui dépend des collectivités territoriales, des partenaires sociaux ou encore des chambres consulaires. Un lieu unique d’accueil, c’est forcément un lieu dans lequel plusieurs organismes collaborent. Je ne vois pas dans cette nébuleuse un organisme non coopératif capable de tout faire. La mission locale peut traiter le problème d’un décrocheur, mais elle ne va pas trouver une solution toute seule et va renvoyer vers une chambre des métiers ou autres. Il y a de nombreux organismes plus ou moins efficaces. Le but n’est pas de les fusionner, mais de coordonner et d’inciter les gens à travailler ensemble pour répondre au mieux aux besoins des usagers. Aujourd’hui, le vrai problème est qu’on n’arrive pas à harmoniser l’offre et la demande. On a 25 % de chômage chez les jeunes et entre 9 et 10 % de chômeurs en général. C’est un crève-cœur dans ce pays.

Beaucoup d’acteurs se mobilisent en faveur d’une meilleure orientation, et pourtant cela ne marche toujours pas. Est-ce que c’est seulement un problème d’orientation ?
Il y a un gros problème d’orientation pour les jeunes. Trop d’organismes ont des tâches parcellisées. Certains qui traitent le chômage ne sont pas assez en lien avec la formation, d’autres spécialisés dans la formation ont une connaissance insuffisante du marché de l’emploi. Il faut créer des passerelles. Mettre ensemble dans un même lieu des gens qui viennent de différents organismes dont ils ont la culture et faire en sorte qu’au cours d’un entretien ils n’aient pas honte d’envoyer un étudiant, par exemple, vers un collègue d’un autre organisme qui va mieux l’orienter.

Est-ce que le DIO peut raisonnablement espérer personnaliser le conseil, alors qu’on ne recrute plus de COP [conseillers d’orientation-psychologues] et qu’il en reste moins de 4.000 ?
Ce sont les lycéens et collégiens qui ont avant tout affaire aux COP . Ceux-ci accueillent également, en CIO, d’autres publics qui peuvent par ailleurs, pour leur orientation professionnelle, rencontrer des conseillers des missions locales ou encore de Pôle Emploi. Les jeunes en formation initiale doivent en outre avoir pour interlocuteurs, lorsqu’ils se posent des questions sur leur orientation, les professeurs de collèges et de lycées, comme les profs d’université qui doivent s’engager dans l’orientation comme le prévoit la loi LRU. Mais, malgré cette loi, 50 % des universités n’ont toujours pas créé de site sur l’insertion professionnelle des étudiants. Et les 50 % qui l’ont réalisé ont de grandes marges de progression dans la façon de présenter les informations pour qu’elles soient compréhensibles et donc utiles aux lycéens et aux étudiants.

Dans votre ouvrage « Jeunes, on vous ment ! Reconstruire l'Université », paru en 2006, après les manifestations anti-CPE, vous préconisiez d’autres réformes, et notamment la sélection à l’entrée de l’université…
J’ai toujours pensé que la sélection par l’échec que les universités pratiquent, à la différence des classes prépas, des IUT ou des BTS, était le système le plus antidémocratique qui soit. Mais la communauté universitaire ne veut pas de la sélection à l’entrée de l’université. Je mets l’idée dans ma poche et mon mouchoir dessus. En revanche, il faut savoir donner une information intelligente sur les débouchés et le niveau d’une formation. Il faut dire à un lycéen que son niveau ou que la section qu’il a suivie jusqu’au bac risque de le mener à l’échec s’il choisit telle ou telle voie, même s’il peut y accéder avec le bac. Et faire en sorte qu’il puisse s’orienter vers une formation adaptée « aux perspectives professionnelles liées au besoins prévisibles de la société, de l’économie et de l’aménagement du territoire », comme le spécifie la lettre de mission que le Premier ministre m’a adressée. Cela, j’y crois depuis très longtemps. Il faut être à l’écoute du marché de l’emploi, mais sans être adéquationniste et abandonner toute formation généraliste. Au début de la lettre de mission, il est précisé que « le nouveau service public de l’orientation tout au long de la vie doit permettre à toute personne […] d’accéder à une information complète sur les emplois, les métiers et les formations, ainsi qu’à un conseil personnalisé ». L’ordre est important. On va de l’aval à l’amont, alors qu’on prend toujours la question de l’orientation dans l’ordre inverse. On doit savoir quels sont les besoins, même s’ils évoluent constamment comme les projets des gens d’ailleurs. L’enjeu est que l’orientation ne soit pas un moment donné, une fois pour toutes, mais un processus et une réflexion évolutifs.

Mais le marché de l’emploi lui-même ne sait parfois pas le prévoir à six mois…
Il faut aussi aider les employeurs et les branches professionnelles à mieux exprimer leurs besoins. Ceux d’aujourd’hui et ceux qu’ils imaginent pour demain. Se demander quelles sont les bases intellectuelles, générales et les savoir-faire nécessaires pour faire évoluer les métiers. Et il y a en outre de gros efforts à fournir dans la formation tout au long de la vie. Prenons l’exemple de l’informatique, qui est devenue un secteur majeur de l’emploi et de l’économie. Il a fallu créer des formations pour s’adapter.

Quel indicateur pourrait vous faire dire que vous aurez réussi en tant que DIO dans trois ou quatre ans ?
Le meilleur indicateur, c’est le taux de chômage des jeunes. Le chômage dépend d’énormément de facteurs, mais celui de l’orientation joue son rôle. J’y suis très sensible parce que j’ai vécu dans le milieu universitaire, littéraire, très marqué par le chômage. Et, comme deuxième critère, je me dis que si l’on fait baisser le taux de décrochage au collège, au lycée et à l’université, ce sera pas mal. Je suis à la fois plein d’optimisme et de modestie face à l’ampleur de la tâche.

Lire aussi la réaction de Michel Abhervé sur son blog, dans un billet intituléLe nouveau délégué à l'information et à l’orientation a évité les plus grosses erreurs

Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et Isabelle Maradan | Publié le