L'Université de Lyon se dote d'une boutique des sciences pour se rapprocher de la société civile

Étienne Gless Publié le
L'Université de Lyon se dote d'une boutique des sciences pour se rapprocher de la société civile
Des chercheurs au jardin, le projet pilote de la boutique des sciences de l'université de Lyon a permis à la société des jardins ouvriers de Villeurbanne de mobiliser des scientifiques du laboratoire d'hydrologie d'IRSTEA et du GRePS. // DR // © 
S'inspirant du modèle des "science shops", l'université de Lyon inaugure un dispositif permettant aux acteurs associatifs de bénéficier de l'expertise d'une équipe scientifique.

Non, vous ne trouverez pas de panoplie du petit chimiste dans la boutique des sciences, inaugurée par l'université de Lyon le 9 décembre 2013 ! "Nous sommes le premier PRES (pôle de recherche de l'enseignement supérieur) à nous être dotés dès 2007 d'un service Science et société à l'interface de la communauté scientifique et des citoyens", se félicite Davy Lorans, chargé du projet. La boutique des sciences en est une nouvelle traduction opérationnelle.

Une démarche "bottom-up"

Apparues aux Pays-Bas à la fin des années 1960, les "science shops" (ou boutiques des sciences)  sont basées au sein d'établissements d'enseignement supérieur et veulent démocratiser la recherche auprès de la société civile. Les universités de Groningue et Amsterdam ont ainsi été le fer de lance du mouvement des "science shops".

Les associations et organisations non marchandes ont rarement les moyens d'embaucher un chercheur ou de réaliser de coûteuses études. "C'est pourquoi de plus en plus d'universités, à travers les boutiques des sciences, mettent à leur disposition leurs capacités de recherche", explique Henk Mulder. Ce professeur de sciences est le coordinateur de la boutique des sciences de l'université de Groningen (nord des Pays-Bas), structure pionnière qui a inspiré  d'autres universités en Europe et au Canada. Henk Mulder est aussi le coordinateur de Perares 2010-2014 (Public Engagement with Research and Research Engagement with Society), un programme soutenu par l'Union européenne dont l'objectif est d'impulser et d'entretenir des échanges plus systématiques entre les chercheurs et les citoyens.

Concrètement, toute structure à but non lucratif (une association, un conseil de quartier, un collectif informel, un groupe de parents d'élèves…) qui a besoin d'un éclairage scientifique peut faire appel à la boutique des sciences qui jouera le rôle d'interface avec le monde académique. Les acteurs de la société civile bénéficient sans bourse délier de l'expertise scientifique d'étudiants de niveau master, encadrés par des chercheurs.

Aux Pays-Bas, la boutique des sciences de Wageningen a ainsi  réalisé des scénarios pour améliorer la circulation automobile dans un village ; celle de Groningen a proposé une solution d'éclairage nocturne qui préserve la vie des chauves souries locales... On  compte actuellement une centaine de boutiques des sciences en Europe.

En France le mouvement a encore du potentiel : il n'en existe que quelques-unes comme à l'université de Grenoble ou l'ENS de Cachan. A noter cependant l'existence de dispositifs avoisinants tels que le Picri en Ile-de-France qui encourage les partenariats entre laboratoires publics et société civile pour produire en commun des connaissances.

Plutôt que de se contenter des communications que les scientifiques font sur leurs travaux, les citoyens leur soumettent leurs interrogations (D.Lorans)

"Dans tous les cas, la démarche d'une boutique des sciences se veut moins 'top down' et davantage bottom-up, confie Davy Lorans. Plutôt que de se contenter des communications que les scientifiques font sur leurs travaux, les citoyens leur soumettent leurs interrogations. L'objectif ultime d'une boutique des sciences est de modifier le calendrier de recherches". La philosophie du dispositif des boutique des sciences étant le partage de connaissances, la phase de restitution des travaux à la société doit également se faire en langage non scientifique.

expérience pilote pour des jardins ouvriers

A l'Université de Lyon, le projet de boutique est né en 2010 au sein du service Science et société. Le type de demandes susceptibles d'être soutenues ? Celles liées aux thématiques très larges de la santé et de l'environnement. Les associations consultées dans la phase de préparation ont ainsi fait remonter des questions telles que l'impact des formations aux gestes des premiers secours sur la survie de personnes accidentées. Ou les risques liés à l'ingestion de fruits et légumes cultivés en ville sur des sols pollués.

Une première expérience pilote a vu le jour en 2012, baptisée "des chercheurs au jardin". La société des jardins ouvriers de Villeurbanne a fait remonter ses interrogations à l'occasion d'une soirée entre chercheurs et citoyens organisée par le service Science et société : comment limiter l'envasement la rivière Rize qui coule au milieu des parcelles potagères ? Quels sont les risques d'inondation et de pollution ? Ni le maire ni les associations de défense de l'environnement n'avaient pu répondre.

Une fois les questions reformulées en termes scientifiques, la boutique en création a fait appel au laboratoire d'hydrologie de l'IRSTEA ainsi qu'à celui de psychologie sociale (GRePS Lyon 2) et à la FRAPNA (Fédération Rhône-alpine de protection de la nature). Les deux équipes de recherche et les membres de l'association de protection de la nature ont travaillé plusieurs mois ensemble sur les questions jusqu'en juin 2013 pour répondre à la double problématique : comment limiter l’envasement de la rivière et faire évoluer les pratiques des jardiniers pour les rendre plus écologiques ?

Les rapports émis ont été assemblés, résumés et traduits de manière à devenir accessibles aux non-initiés avant d'être présentés à l’association mi septembre à l’occasion d’une ouverture conviviale au public des jardins ouvriers dans le cadre des Journées européennes du patrimoine.

10 projets de la société civile soutenus en 2014

La région Rhône-Alpes a contribué financièrement dans le cadre d'un appel à projet Universités citoyennes et Solidaires qui vise à rapprocher l'université de son territoire. Le Grand Lyon a également soutenu le démarrage du dispositif qui a pu monter en puissance en juin 2013. Le dispositif des boutiques de sciences est actuellement inclus dans le programme PALSE (Pole Avenir Lyon Saint-Etienne), Idex prometteur qui bénéficie donc d'un financement national du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

"Pour l'heure, ce financement d'environ 100.000€ la première année nous donne une visibilité à trois ans", estime Davy Lorans. De quoi payer le salaire de deux personnes chargées de projet et d'une dizaine de stagiaires. "Cela nous permet de nous lancer même si c'est un budget sans commune mesure avec ceux des science shops bien établies de par le monde". L'an prochain, la jeune structure compte recueillir et soumettre à son comité scientifique une dizaine de demandes d'accompagnement et d'expertise émanant d'associations et collectifs de la société civile.

Les prochains projets seront lancés à partir de février 2014. Pour les étudiants souhaitant encadrer un projet, le dispositif présente l'intérêt de leur fournir des offres de stages supplémentaires. "On a choisi d'ancrer le dispositif dans les cursus des stages, explique Davy Lorens. En général, un étudiant va se consacrer quatre à six mois à un projet. Les étudiants en master 2 ou en dernière année d'école d'ingénieurs pourront obtenir des crédits ECTS. Dans la plupart des formations, ce stage de second semestre compte pour moitié dans le diplôme final : cela pousse donc à s'investir fortement !". 

Pratique

La boutique des sciences de l'Université de Lyon ne dispose pas de structure physique pour le moment. Pour la joindre, consulter sur le site internet de l'Université de Lyon la rubrique Science et société onglet "boutique des sciences".
Les associations et acteurs de la société civile y trouveront un formulaire à remplir pour poser leurs questions. Les étudiants, eux,  y trouveront des contacts pour se porter candidat à l'encadrement d'un projet. 

Étienne Gless | Publié le