"Ce n'est pas de la magie, on n'est pas à l'école de Poudlard", lance Axel Jean, chef du bureau du soutien à l'innovation numérique et à la recherche appliquée au ministère de l'Education nationale. La provocation a de quoi faire sourire et pourtant, le sujet est bien sérieux.
Souvent décriée, l'intelligence artificielle risque de plus en plus de faire partie de notre quotidien. À l’école, elle devient même une source d'innovation pédagogique… jusqu'à remplacer les enseignants ? Eléments de réponses sur le salon Educ@tech Expo à Paris à l’occasion d'une conférence organisée par EducPros ce mercredi 15 novembre.
Plus qu'un effet de mode, une révolution numérique à l'école
ChatGPT, DALL-E, Midjourney, Bard… Depuis plusieurs années maintenant, les exemples d'intelligence artificielle se multiplient. "Ce n'est pas nouveau. Ce qui l'est, c'est l'accélération des usages. L'éducation est donc elle aussi touchée par cette technologie", présente Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé.
Selon elle, les enseignants ont déjà commencé à s'emparer de ces nouveaux outils dans leurs cours. Il y a un an, à l'occasion du lancement d'une nouvelle formation sur l'utilisation des IA génératives, le réseau Canopé ne s'attendait pas à un tel engouement de la part des enseignants. "Ils sont déjà en train d'expérimenter et d'observer les usages de leurs élèves. On est en train de vivre cette bascule dans un environnement numérique, on n'a pas le choix", ajoute Marie-Caroline Missir.
Un avis partagé par Axel Jean pour qui l'IA est un accélérateur dont il faut s'emparer dès maintenant. "On n'a pas dix ans pour le faire, le monde se transforme, ce n'est pas un effet de mode."
Utiliser l'IA pour ne pas se faire devancer
Les intervenants l'assurent, et Axel Jean le résume : ne pas utiliser l'IA, "regretter l'école de Papi, c'est se condamner". Non pas que l'intelligence artificielle doive devenir l'outil de référence dans les salles de classe mais elle doit trouver sa place, à côté des professeurs, afin d'éviter d'accentuer des inégalités.
"L'IA ne va pas remplacer tous les métiers, encore moins les professeurs. Mais ne pas savoir s'en servir, c'est risquer de se faire remplacer par des gens qui eux, sauront. C'est important d'avoir un bagage pour ne pas s'handicaper. S'en emparer en restant critique", affirme Axel Jean.
Se former dès le plus jeune âge, à l'école pour être mieux accompagné et ce, jusque dans les études supérieures pour se préparer au monde de l'entreprise, c'est aussi un enjeu majeur. Comme le confirme Alain Goudey, directeur général adjoint au digital à Neoma business school : "Il y a des opportunités professionnelles, les entreprises sont en attente de challenge sur les nouvelles technologies par les jeunes diplômés. Notre mission c'est de préparer ces futurs citoyens. Notre modèle éducatif permet d'apporter cette culture numérique, elle ne doit pas être laissée à d'autres."
Et notamment aux industriels, dans le viseur sur cette table ronde : "On ne peut pas laisser les industriels faire de nos élèves des consommateurs. L'école doit développer l'esprit critique des élèves pour former des citoyens éclairés à l'heure de l'IA", rappelle Axel Jean.
Se servir de l'IA, oui mais pas sans professeurs
D'où la place centrale attribuée aux enseignants dans cet enjeu que représente l'IA. Selon Marie-Caroline Missir, les enseignants ont un rôle à jouer dans cette transformation numérique, à savoir "éduquer aux biais des machines et les contrecarrer", notamment face à la diffusion de fausses informations par exemple.
"Ils sont les maitres de cette utilisation, l'IA n'est qu'un outil pédagogique parmi d'autres", rappelle Philippe Ajuelos, administrateur ministériel des données, des algorithmes et des codes sources au ministère de l'Education nationale. L'objectif est donc de trouver le bon équilibre entre les professeurs "technophobes et les technophiles béats".
Car s'ils doivent accompagner les élèves dans l'utilisation de l'IA, les enseignants doivent aussi rappeler les fondamentaux face aux réponses obtenues : l'IA reste une machine, "un modèle statistique". "Ce sont des outils qui permettent d'aller plus vite par rapport à des réponses probables mais ce ne sont pas des réponses justes, ChatGPT n'est pas la calculatrice du langage et il faut l'expliquer", ajoute Philippe Ajuelos.
Selon le directeur adjoint de Neoma, l'échec serait d'arriver à ce que les élèves "se contentent d'un copier-coller de la question du prof. Si on arrive à cela, on aura échoué."
Accompagner les enseignants dans cette transition
De leur côté, les enseignants peuvent eux aussi se servir de l'IA dans leurs pratiques quotidiennes pour "se dégager un temps d'intelligence réelle", explique Philippe Ajuelos. L'outil peut par exemple aider à la compréhension d'un concept, trouver une autre méthode d'apprentissage plus adaptée, mesurer l'effort de l'élève et ses capacités pour que l'enseignant puisse à son tour se consacrer aux élèves en difficultés et ainsi mieux gérer son groupe classe. Une sorte de béquille à utiliser à bon escient pour favoriser l'enseignement. "Le professeur ne peut pas se baser uniquement sur le numérique, nuance Axel Jean. Ce serait une erreur de débutant."
Mais encore une fois, pour mener à bien toutes ces nouvelles missions qui se rajoutent aux enseignants, les former reste primordial. "En tant que formateur, on doit être là pour permettre aux enseignants d'échanger sur leurs pratiques, de dialoguer avec des sachants, d'expérimenter et de pouvoir se tromper… Être à côté de l'enseignant", confirme Marie-Caroline Missir au réseau Canopé. Un constat partagé par Alain Goudey : "Cette vague numérique a commencé avant la crise sanitaire, il faut continuer à l'accompagner."
Tous l'assurent, les progrès ne font que commencer et la perspective d'une école fondée sur les nouvelles technologies pourrait voir le jour à l'avenir.