Ouverture sociale : les grandes écoles face au défi du changement d'échelle

Etienne Gless Publié le
Ouverture sociale : les grandes écoles face au défi du changement d'échelle
Chantal Dardelet, animatrice du groupe de travail Ouverture sociale à la Conférence des grandes écoles. // ©  Etienne Gless
Taux de boursiers stable, hausse du nombre d'alternants... Le baromètre de l'ouverture sociale des grandes écoles de la CGE enregistre des progrès. Mais le défi d'attirer et d'accompagner plus de candidats issus de milieu modeste reste entier pour réduire l'écart social de diplomation.

Taux de boursiers CROUS stable à 27% mais hausse du nombre d’alternants (18%) : selon le baromètre 2019 de l’ouverture sociale publié par la Conférence des grandes écoles (CGE) le 4 décembre, ces dernières estiment progresser en matière d’ouverture sociale. Elles y mettent davantage de moyens et intensifient leurs actions depuis 4 ans.

Près d'un étudiant sur 3 de grande école répond aux critères sociaux

"Sur l’ensemble des 97 écoles répondantes (NDLR : la CGE compte 216 écoles) nous enregistrons un taux moyen de 30% d’étudiants répondant aux critères sociaux, constate Chantal Dardelet animatrice du groupe de travail ouverture sociale à la CGE et directrice du centre Egalité des chances de l’Essec.

Innovation de l'édition 2019 du baromètre, ce nouvel indicateur d'étudiants répondant aux critères sociaux (ERCS) agrège les boursiers CROUS, les apprentis, les étudiants en contrat de professionnalisation, les étudiants rémunérés (fonctionnaires, stagiaires) les étudiants n'ayant plus droit aux bourses CROUS ou ceux bénéficiant de bourses spécifiques.

"Pour mesurer l'inclusion de jeunes issus de milieux modestes dans les grandes écoles, le taux de boursiers CROUS ne suffit pas", fait valoir Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE. Si on s'en tient à ce seul critère de boursiers, CROUS, le taux moyen de boursiers s'établit tout de même à 27% - identique à celui de 2015 - avec une amplitude forte entre écoles s'échelonnant de 8 à 49%.

“Si les écoles ont un taux de boursiers CROUS constant alors qu’elles ont perdu des étudiants d’origine modeste parce qu’ils sont plus nombreux à être en apprentissage, cela signifie que nous avons accueilli plus d’étudiants d’origine populaire dans nos écoles“, se réjouit Chantal Dardelet.

C'est dans les écoles d'ingénieurs que l'on trouve le plus de boursiers CROUS (30% en moyenne contre 20% pour les écoles de management et 27% pour les écoles d'autres spécialités). Si on entre dans le détail des échelons de bourses, 40% des élèves boursiers de grande école sont à l'échelon 0 ou 0 bis et 20% des boursiers des échelons 5,6 ou 7

Recrutement diversifié sur les territoires et dans les différentes prépas

Autre gage d'ouverture avancé par la CGE, la diversité territoriale des étudiants admis. 80% des écoles recrutent dans 21 académies et en moyenne leurs étudiants issus de classes prépa proviennent de 68 lycées ou établissements différents. Une fois admis, 81% des écoles accompagnent les étudiants issus de milieux populaires durant leurs études : apprentissage, accompagnement pédagogique et aides financières. En moyenne les écoles distribuent 260.000 € de bourses sur critères sociaux (hors bourses CROUS, d’excellence ou de mobilité) soit 60.000 € de plus qu’il y a 4 ans. Enfin, dernier levier d'action mis en avant, le développement de la coïncidence sociale des étudiants formés : 83% des écoles se disent engagées sur ce point.

Des moyens alloués à l'ouverture sociale en hausse

Quels moyens se donnent les grandes écoles pour faire bouger les choses ? En moyenne, les écoles répondantes allouent 300.000 € (hors masse salariale) aux programmes dédiés à l’ouverture sociale soit 100.000 € de plus qu’il y a quatre ans pour les 55 écoles qui avaient répondu à l’époque (200.000 €).

Les écoles consacrent aussi en moyens humains l’équivalent d’1,6 temps plein (ETP) par an sur ces questions d’ouverture sociale. Les 55 écoles de l’enquête de 2015 sont même passées de 1,7 ETP à 2,1 ETP en 2019. Dans 52% des écoles il existe aujourd’hui une structure dédiée. Ces moyens permettent de mener des actions en amont de l'admission et durant les études.

66% des 97 écoles répondantes sont actives sur les questions d’accompagnement vers les études supérieures des collégiens et lycéens sur leur territoire via des programmes pour démythifier l'enseignement supérieur et donner envie d'oser une prépa, une grande école...

En moyenne les grandes écoles accompagnent chacune 1.400 collégiens et lycéens par an via du tutorat étudiant. 90% des grandes écoles reconnaissent d’ailleurs l’engagement de étudiants tuteurs dans les cursus et l’intègrent à 87% dans la validation du cursus académique (crédits ECTS ou supplément au diplôme).

"Les jeunes qu’on accompagnait en 2015 ne sont toujours pas arrivés dans nos écoles, il faut être patient et on ne peut pas encore chiffrer l'impact de nos actions", souligne Chantal Dardelet. "Rendez-vous dans cinq, six ou sept ans pour en mesurer l’effet dans nos écoles !".

Dans le triptyque être candidat - être admis - être diplômé, l’enjeu majeur c’est être candidat ! (P. Mathiot)

Des points bonus pour les candidats boursiers, une réponse simpliste ?

La mise en place de bonifications pour les candidats boursiers est une des pistes de travail du comité de pilotage sur l'ouverture sociale de l'enseignement supérieur qu'a souhaité lancer la ministre Frédérique Vidal le 14 octobre dernier. Alors faut-il instaurer des boni dans les concours d'entrée aux grandes écoles au prétexte qu'elles ne seraient pas assez diversifiées socialement ? "Le premier bonus à ce serait que les jeunes d’origine modeste soient déjà candidats aux concours !", ironise Pierre Mathiot président de Science po Lille et secrétaire de la CGE. "Et Il faudrait commencer par mettre un bonus pour les candidats à la PACES, le concours le plus sélectif en France !".

Au sein du réseau des 7 Sciences po la question des bonus attribués aux candidats boursiers ne fait pas l'unanimité. Le réseau des IEP - qui entre en 2020 sur Parcoursup - ne mettra donc pas en place de bonus cette année et restera sur un traditionnel concours écrit. "Attention à des effets à l’intérieur de l’école comme la stigmatisation des étudiants dont ils seraient de notoriété publique qu'ils ont été admis en bénéficiant d'une aide en termes de bonus", prévient aussi Pierre Mathiot.

De son côté Chantal Dardelet estime qu'à l'Essec, “si cela permet d’augmenter le nombre d’étudiants boursiers qui s’inscrivent en classe prépa et aux concours, oui on mettra en place un bonus“. Côté écoles de management, "Nous sommes assez d’accord pour donner un bonus aux “carrés“ [élèves de 2e année de prépa économique et commerciale]", confie Alice Guilhon, présidente du chapitre des écoles de management de la CGE et directrice de Skema business school.

L'enjeu-clé : donner envie aux bons élèves d'être candidat

“Attention à ne pas réduire la complexité du problème à une seule mesure, les points bonus !", pointe Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE. "Une fois admis dans nos écoles, les jeunes d'origine modeste réussissent. Le problème est d’aller les chercher en amont, de les informer et de lever les freins ressentis quant au coût des études ou l’autocensure intellectuelle".

Diversifier les voies de recrutement, renforcer l'accompagnement des candidats préparant les concours d'entrée mais surtout susciter davantage de candidatures d'élèves talentueux d'origine modeste. Ce que Pierre Mathiot résume d'une formule : "Dans le triptyque être candidat - être admis - être diplômé, l’enjeu majeur c’est être candidat !" Les grandes écoles en ont conscience : s'agissant de leurs programmes de sensibilisation menés pour accompagner lycéens et collégiens issus de milieux populaires vers les études supérieures, elles doivent changer d'échelle.

"On peut progresser c’est dans l’efficacité des dispositifs", analyse Boris Walbaum président de l'association Article 1 qui accompagne la CGE et plusieurs écoles sur le sujet de l'ouverture sociale. "Il existe beaucoup de dispositifs et ils sont à la taille des établissements, donc limités en capacités, en couverture territoriale…Toute la France n’est pas couverte. Il est compliqué pour une école dans une métropole de toucher les zones rurales…Comme en 3G, 4G ou 5G, il existe encore des zones blanches".

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