S. Piednoir : "Les frais différenciés, un réel enjeu budgétaire pour l'enseignement supérieur"

Éléonore de Vaumas Publié le
S. Piednoir : "Les frais différenciés, un réel enjeu budgétaire pour l'enseignement supérieur"
Les sénateurs auteurs de la communication consacrée au plan "Bienvenue en France" préconisaient de reporter son application à septembre 2020. // ©  Sénat
Réunie le 13 mars 2019, la commission de la culture et de l’éducation du Sénat a entendu une communication des deux sénateurs chargés d’une évaluation du plan "Bienvenue en France". Une mission éclair sur laquelle le sénateur LR du Maine-et-Loire, Stéphane Piednoir qui en est le coauteur avec Claude Kern (UC, Bas-Rhin), revient pour EducPros.

Comment justifiez-vous la différenciation des droits d’inscription à l’université pour les étudiants extra-communautaires?

Il est légitime que les étudiants qui en ont les moyens participent au coût réel de leur formation. Je ne vois pas pourquoi ils en bénéficieraient gratuitement, alors que celle-ci coûte environ 10.000 euros par an et par personne à la France.

D’autant que ces droits différenciés ne concernent que les mobilités individuelles, et non pas celles qui se font dans le cadre des conventions entre établissements. Nous ne serions pas les seuls à pratiquer cette différenciation en Europe.

La Belgique, la Suède ou encore le Danemark l’ont déjà appliquée avant nous. Sans compter que, pour certains étudiants, notamment ceux originaires d’Asie, la qualité de la formation passe par l’affichage de son coût. Augmenter les frais de scolarité serait une façon d’accroître la visibilité de notre enseignement supérieur.

L’enjeu n’est-il pas essentiellement financier?

Il est évident que la différenciation des frais d’inscription représente une manne financière non négligeable. On estime en effet qu’il manque un milliard d’euros à l’enseignement supérieur.

Selon l’exécutif, la différenciation des droits d’inscription pourrait ainsi rapporter, en année pleine, un gain financier d’environ 400 millions d'euros par an.

On peut même se demander s'il ne s'agit pas d'une commande de Bercy plutôt que d'une stratégie de la Rue Descartes.

Et ce, sans prendre en compte l’augmentation du nombre de candidats, alors que la France table sur une croissance de 340.000 à 500.000 étudiants en huit ans.

Il y a donc un réel enjeu budgétaire. Et on peut même se demander s'il ne s'agit pas d'une commande de Bercy plutôt que d'une stratégie de la Rue Descartes.

Pourtant, les premières statistiques révèlent déjà une baisse importante du nombre de candidatures extra-communautaires en France.

On a beaucoup pointé la diminution du nombre de candidatures, mais il y a aussi des augmentations, variables selon les nationalités. Le ministère a ainsi enregistré une hausse record de 33 % d’inscriptions d’étudiants venus de Chine, même si, effectivement, le nombre de candidatures est plus faible pour d’autres pays, comme le Brésil, dont les demandes ont chuté de 50 %.

Les frais différenciés font bouger les lignes. Attendons encore quelques semaines avant de tirer des conclusions. En Suède et au Danemark, où les mêmes mesures ont été prises, il y a d’abord eu une baisse assez importante du nombre de candidatures au moment des annonces, puis un effet de rattrapage progressif dès la deuxième année.

Pourquoi, selon vous, ce plan suscite-t-il alors de tant de crispations ?

Ce n’est pas tant un problème de fond que de forme. Sur le fond, les responsables de la CPU (Conférence des présidents d’université) eux-mêmes ne sont pas réfractaires à cette mesure. En revanche, toutes les structures que nous avons rencontrées s’accordent sur la brutalité avec laquelle elles ont reçu l’annonce ministérielle du plan "Bienvenue en France" par le Premier ministre, Édouard Philippe, le 19 novembre 2018.

Absence de concertation en amont de l’annonce, communication défaillante en aval, opacité autour de l’utilisation des fonds, manque de visibilité sur les bourses et les exonérations… Comme l’ensemble des membres de la commission, je regrette la méthode retenue par le gouvernement pour préparer et annoncer cette réforme.

La loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) aurait été, à mon sens, l'occasion de remettre tout ça à plat. Mais l’exécutif a préféré reculer l’annonce pour ne pas s’attirer davantage la foudre des acteurs de l’enseignement supérieur. Conséquence : les structures doivent agir dans l’urgence pour appliquer la mesure dès la rentrée 2019.

La loi ORE aurait été l'occasion de remettre tout ça à plat.

Le montant des exonérations et des bourses reste encore flou. Qu’en est-il concrètement?

Le plan prévoit effectivement des mesures sur les bourses et les exonérations – c'est d'ailleurs l'objet du quatrième axe –, mais elles ont été totalement escamotées lors de l’annonce en novembre 2018. Les bourses nationales devraient ainsi tripler grâce aux 7.000 nouvelles bourses distribuées par le ministère des Affaires étrangères.

Quant aux exonérations, alors qu’il y en avait annoncée 8.000 dans un premier temps, la réforme prévoit en 14.000 pour les nouveaux arrivants.

Que préconisez-vous pour relancer le dialogue ?

Il faudrait, dans un premier temps, revoir la base juridique des droits d’inscription et étudier, notamment, l’opportunité d’introduire plus de souplesse en donnant une fourchette de tarifs : les établissements pourraient alors choisir leurs droits applicables aux étudiants étrangers.

Au moment des discussions dans le cadre de la loi ORE, le groupe Les Républicains avait d’ailleurs déposé un amendement dans ce sens, mais il a été rejeté.

Il faudrait aussi remettre à plat le dispositif de bourses. Cela mérite une vraie discussion de fond car, pour un étudiant étranger, c’est un frein de ne pas savoir s’il pourra bénéficier d’une bourse et quel en sera le montant.

Enfin, il faudrait permettre aux établissements de construire de véritables politiques d’attractivité articulées à la stratégie nationale ainsi qu’aux politiques des collectivités territoriales. C’est pour toutes ces raisons que nous préconisons le report de l’application à septembre 2020.

Je crois encore à la concertation et aux résultats positifs d’une concertation, mais je doute qu’elle soit à l’ordre du jour. Nous aurions aimé auditionner la ministre de l’Enseignement supérieur, mais Frédérique Vidal n’est pas disponible avant le 27 mars 2019, date à laquelle les décrets d’application auront sans doute été publiés.

Éléonore de Vaumas | Publié le