T. Picq (EM Lyon) : "La durée de vie d'une connaissance métier est passée de 25 à 4 ans"

Philippe Crouzillacq Publié le
T. Picq (EM Lyon) : "La durée de vie d'une connaissance métier est passée de 25 à 4 ans"
De gauche à droite : Michel Coster, directeur général de l’accélérateur d’EM Lyon, Boris Sirbey, Thierry Picq, directeur early maker development, EM Lyon, Olivier Ezratty, Yannig Raffenel, directeur éditorial et pédagogique, Starlings.io / Maif. // ©  EducPros
EN PARTENARIAT AVEC L'EM LYON. Et si les technologies pouvaient tout changer dans la formation continue ? Pour apporter un éclairage sur les évolutions des secteurs de l’éducation, de l’emploi et du rapport de la technologie à l’employabilité, l’EM Lyon business school, en partenariat avec EducPros, a rassemblé des experts de la formation, des entrepreneurs et des startupers lors de la seconde édition de l’EdJobTech Day, le 29 novembre dernier. Compte-rendu.

L’accélération du temps et de l’accès à l’information au cœur de la révolution numérique se conjugue aujourd’hui avec celle des cycles d’apprentissage dans la vie, imposant de repenser notre rapport à l’éducation et au travail.

"C’est assurément l’un des phénomènes les plus marquants de notre époque", souligne Thierry Picq, directeur early makers development à l'EM Lyon business school. Et l’expert en management de rappeler cette donnée majeure : "Une connaissance métier a désormais une durée de vie de quatre ans, contre vingt-cinq auparavant."

Dans ce contexte, priorité au décloisonnement et au mélange des genres. Pour Thierry Picq, "Il y a nécessité d’apprendre tout le temps, en faisant appel à des méthodes plus informelles, dans des situations variées, par le jeu, par les autres et avec les autres […] C’est pourquoi nous avons opté pour une approche de l’éducation par les flux". En ligne de mire : la construction de dispositifs d’apprentissage "réflexifs, hybrides, multiples, et permanents".

Devenir acteur de ses apprentissages

Yannig Raffenel, directeur éditorial et pédagogique de Starlings.io, filiale de la Maif spécialisée dans la formation des salariés à la culture numérique, qui devrait intégrer le Numa d’ici au début de l'année 2019, pointe la nécessité pour les DRH de rendre les collaborateurs acteurs de leur avenir professionnel.

"En entreprise, le collaborateur ne peut plus rester passif, à consommer un flux de formation. Pour le mettre en mouvement, il faut lui donner l’information afin qu'il sache d’où il démarre et où il veut aller. C’est une transformation totale de la posture des DRH !"

C’est une transformation totale de la posture des DRH !
(Y. Raffenel)

Pour ce faire, l’expert – qui a cofondé l’association Learning Show pour aider la communauté éducative à explorer les apprentissages du futur –, conseille d’éclairer les collaborateurs non seulement sur la nature des compétences attendues par l’entreprise, mais aussi de leur donner envie de se former et d’y investir une partie de leur temps personnel et professionnel.

Fort de l'expérience des 120 Mooc mis au point quand il était directeur pédagogique d’Openclassrooms, Yannig Raffenel plaide également pour une approche de la formation par les flux : "Avant, les formations sortaient tout droit d’un catalogue. Il est impératif de sortir de cette approche pour adopter un modèle de formation permanente."

Prime aux compétences émotionnelles et relationnelles

"Nous sortons d’une époque qui a cherché à faire fonctionner les employés des entreprises comme des robots, avec une organisation du travail basée sur des compétences prévisibles et reproductibles", analyse Boris Sirbey, cofondateur de France Apprenante et du Lab RH. Un contresens total et une approche inadaptée : "L’être humain a une neuroplasticité cérébrale tout à fait unique dans la nature . Même à 77 ans, il peut encore reconfigurer ses circuits synaptiques en six mois pour continuer à apprendre", précise-t-il.

"Je suis frappé de voir à quel point nous avons sous-exploité notre désir d’apprendre. Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, on se rend compte que les machines effectuent mieux que nous les tâches mécanisées. Nous n’avons donc d’autre choix que de nous concentrer sur les émotions et la relation", ajoute-t-il.

La créativité, clé de l’employabilité

Impossible de déconnecter la formation de l’emploi. Les programmes à venir devraient faire la part belle à la créativité. Selon l’étude dédiée du cabinet de conseil en stratégie McKinsey, d’ici 2030, jusqu’à 50 % des métiers existants disparaîtront ou se verront radicalement transformés. Boris Sirbey, lui, milite pour que "l’entreprise repense complètement ses méthodes de recrutement, de formation et de collaboration".

Face à une technicité traitée et assumée par les machines algorithmiques, demain, la première des compétences sera le relationnel. "Demain, les avocats passeront plus de temps avec leurs clients qu’à consulter la jurisprudence, une activité prise en charge par l’intelligence artificielle. Les médecins passeront moins de temps dans le Vidal et davantage au service de leur patient, de leur vécu et leurs émotions", analyse Boris Sirbey, à l’initiative de Collectivz.info, qui propose aux organisations un mode de fonctionnement en intelligence collective.

Demain, les avocats passeront plus de temps avec leurs clients qu’à consulter la jurisprudence, une activité prise en charge par l’intelligence artificielle.
(B. Sirbey)

La valeur se déplace vers les compétences transverses

Selon l’OCDE, 80 % des compétences nécessaires demain seront transverses. "Si aujourd’hui apprendre c’est apprendre par cœur, constate Boris Sirbey, une telle approche n’a plus de sens dans un monde où l’information est accessible de manière quasi-instantanée, et marquée par une obsolescence des connaissances techniques de plus en plus rapide."

Pour l’entrepreneur, "a contrario, dans un univers d’infobésité, être capable de comparer l’information et de décomposer une situation pour opérer une synthèse entre différentes sources de données va devenir un atout extrêmement précieux. Être créatif dans un monde où tout bouge très vite permet de s’affranchir des processus existants, et, in fine, de gagner en réactivité."

L’apprentissage par le faire

Encore pour cela faut-il être capable de sortir de se remettre en question. C’est précisément l’approche de l’EM Lyon business school. Au-delà d’une logique de transmission des connaissances, l’école de management promeut le "savoir devenir" : "Ce qui est essentiel, c’est d’acquérir cette faculté d’apprendre à apprendre qui permettra aux futurs diplômés d’accroître leur capacité de résilience et d’adaptation, à se préparer à gérer l’incertitude."

La méthode pédagogique ? "Nous plaçons les étudiants dans une situation d’inconfort en les envoyant dans des environnements différents, en leur demandant de faire une enquête, d’analyser des données, de les restituer, d’en décrire les enjeux, et ce dès le programme de Bachelor. Il s’agit ici de mettre en évidence des compétences autres que la comptabilité ou la finance, mais bien une capacité à comprendre une situation et à la restituer."

"Nous devons être des ingénieurs de mise en contexte"

Pour former des "early makers", c’est-à-dire des talents aptes à proposer des réponses innovantes aux défis du monde de demain, EM Lyon business school a notamment créé des fablabs. "On ne peut plus être assis dans une classe, à écouter quelqu’un parler. Nous devons être des ingénieurs de mise en contexte. Il appartient à l’ingénierie pédagogique d’inventer de nouveaux dispositifs", professe Thierry Picq.

Dans ce contexte, l’accélérateur de l’école de management se place résolument aujourd’hui au cœur des enjeux sociétaux ... et de l'emploi. "Il s’agit de mettre au point des méthodes, pour que les start-up partent du bon cahier des charges, et des usages, pour ne pas être en décalage avec la réalité", conclut Michel Coster, directeur de l’accélérateur de l'EM Lyon business school.


Apprentissage et employabilité demain : impacts et enjeux des nouvelles technologies
Le 29 novembre 2018, L'EdJobTech Day de l'accélérateur de l'EM Lyon organisait avec EducPros une journée pour apporter un éclairage sur les évolutions de ces métiers, au travers de regards croisés d’entrepreneurs, de start-up porteuses d’innovations, de chercheurs, de dirigeants d’entreprises et d’établissements de formation.

Philippe Crouzillacq | Publié le