Université Paris-Saclay : les difficultés à choisir la présidence révèlent l'enjeu des statuts de l'établissement

Malika Butzbach Publié le
Université Paris-Saclay :  les difficultés à choisir la présidence révèlent l'enjeu des statuts de l'établissement
Face au blocage du processus électoral à l'université Paris Saclay, un administrateur provisoire a été nommé. // ©  Laurent GRANDGUILLOT/REA
Face au blocage du processus électoral de l'établissement public expérimental, l'ex-recteur Camille Galap a été nommé administrateur provisoire. Il doit mener une concertation entre les acteurs de l'Université Paris-Saclay, alors que plusieurs composantes remettent en cause la gouvernance, et avec elle, la sortie de l'expérimentation.

"Cambridge" ou "Silicon Valley" à la française, l'Université de Paris-Saclay, 15e au classement international de Shanghai en 2023, traverse une crise politique. C'est pour trouver une sortie à cette situation de blocage que l'ancien recteur Camille Galap a été nommé administrateur provisoire le 1er mars.

Un blocage institutionnel qui laisse l'Université Paris-Saclay sans présidence

"J'ai pour mandat d'accompagner l'établissement vers l'installation de sa prochaine gouvernance, dans le total respect de ses statuts actuels", indique-t-il, dans un message aux communautés de l'établissement, le 4 mars.

Un chantier de taille puisque la concertation concerne l'ensemble des composantes de l'établissement, à savoir les cinq facultés de l'ancienne Université Paris-Sud, l'école universitaire Polytech Paris-Saclay, quatre grandes écoles (CentraleSupélec, AgroParisTech, l'ENS Paris-Saclay et l'IOGS), trois IUT et sept organismes nationaux de recherche. À cela, il faut ajouter deux autres universités, celles de Versailles-Saint-Quentin (UVSQ) et Évry.

C'est sur ces statuts actuels que le bât blesse. Le conflit électoral qui bloque l'université en est la conséquence la plus visible.

Déjà, le 2 février, les élections des conseils centraux de l'établissement se sont soldées par un échec pour la présidente sortante, Estelle Iacona. Celle qui avait pris la suite de Sylvie Retailleau après sa nomination comme ministre de l'Enseignement supérieur, en mai 2022, a vu sa liste devancée de deux sièges par celle d'Yves Bernard (union FSU-CGT).

Enfin, les élections des personnalités qualifiées, nécessaires pour compléter le conseil d'administration de l'établissement – l'organe devant voter le ou la nouvelle présidente – ont été annulées par deux fois. Un blocage institutionnel qui laisse Paris-Saclay sans présidence à la fin du mandat d'Estelle Iacona, le 1er mars.

L'intégration des Universités d'Évry et l'UVSQ plutôt que la fusion

Face à Estelle Iacona, Yves Bernard défend un modèle "fédéral". Mais, plus largement, la question est celle de la sortie de l'établissement public expérimental (EPE).

"Si l'on sort de l'EPE maintenant, cela entérine les statuts actuels de l'établissement, explique l'ancien directeur de Polytech. Or, ces statuts nous semblent déséquilibrés, le modèle ne fonctionne pas." Pourtant, la présidence a formulé, dès l'été 2023, une demande de sortie de la phase d'expérimentation, après modification de ce modèle.

Dans le projet initial des statuts, les Universités de Versailles-Saint-Quentin et Évry devaient fusionner avec Paris-Saclay, mais, finalement, la décision a été prise de les intégrer. Une différence de taille puisque l'intégration permet à ces deux acteurs de garder leur personnalité morale et juridique, autrement dit le pouvoir décisionnaire sur leur budget et leur recrutement.

"La trajectoire de fusion de l'UVSQ et Évry était écrite dans les statuts initiaux puisque l'objectif était le rapprochement institutionnel et académique des trois universités", reconnaît Estelle Iacona.

Alors que les actions académiques fusionnées ont vu le jour, notamment avec la création de diplômes communs, "nous avons estimé que le schéma institutionnel intégré était le meilleur pour consolider la fusion de nos missions fondamentales que sont la formation et la recherche", explique l'ancienne présidente.

Un sentiment de déséquilibre des composantes de l'ancienne Université Paris-Sud

De quoi surprendre les facultés de l'ex-Université Paris-Sud, l'université ayant perdu sa personnalité morale et juridique avec la création de Paris-Saclay. "Cela pose des questions en termes d'égalité", pointe Jean-Michel Bocherel, représentant du SNPTES-Unsa au sein de l'établissement.

"C'est comme si les Français n'avaient plus que la nationalité européenne, alors que les Allemands et les Italiens pouvaient garder leur nationalité, illustre Katia Le Barbu-Debus, du SNCS-FSU. Et que cela impliquait que les décisions nationales françaises soient votées par les instances européennes tandis que les autres pays gardaient leur gouvernement."

C'est comme si les Français n'avaient plus que la nationalité européenne, alors que les Allemands et les Italiens pouvaient garder leur nationalité. (K. Le Barbu-Debus, SNCS-FSU)

Ce déséquilibre a déjà été abordé dans plusieurs documents produits par les composantes de l'ancienne Université Paris-Sud. À l'automne dernier, la faculté des sciences pointait ce problème dans une note de synthèse. "La gouvernance de l'Université Paris-Sud a été transférée aux conseils centraux et, en particulier, au conseil d'administration de l'établissement public expérimental Université Paris-Saclay."

Même constat du côté de la faculté Jean-Monnet (droit économie et management) dans un rapport remis le 4 mars. "La gouvernance de l'Université Paris-Saclay, telle que ses statuts l'organisent aujourd'hui, n'est pas respectueuse des équilibres que l'on serait en droit d'attendre d'une stricte observance du principe de gestion démocratique de l'établissement".

Une concertation pour sortir du "statu quo"

"C'est ce sujet que l'on veut aborder", pointe Yves Bernard. "Pas pour revenir en arrière mais pour améliorer les choses en réduisant la distance pouvant être ressentie par les composantes, et qui est mal vécue".

De son côté, Estelle Iacona évoque des discussions sur les futurs statuts de l'établissement, "puisque les actuels nécessitent des ajustements dans ce modèle d'intégration". L'ancienne présidente propose notamment la mise en place d'un "bureau des composantes" qui "doit être discuté, tant sur sa composition et sa place dans la gouvernance". Une proposition "insuffisante" juge le Sgen-CFDT dans un communiqué.

Face à cette situation "le statu quo n'est pas une option", estiment plusieurs des acteurs. En tant qu'administrateur provisoire, Camille Galap a désormais un mois pour mener la concertation.

Dans un premier temps, l'objectif sera la désignation et le vote des personnalités extérieures. Dans un second plan, il s'agira d'installer "le plus rapidement possible" une gouvernance à l'université Paris-Saclay.

Malika Butzbach | Publié le