Apprentissage dans le supérieur : incertitudes sur le financement

Sandrine Chesnel Publié le
Apprentissage dans le supérieur : incertitudes sur le financement
Même si les aides à l'embauche des apprentis ont été prolongées de six mois, l'avenir est incertain pour le secteur. // ©  Drazen/Adobe Stock
Si l’année 2021 s’est terminée sur un nombre record de contrats d’apprentissage, la rentrée 2022 est plus incertaine, dans l’attente de la politique de financement que choisira d’appliquer le futur gouvernement.

"Nous ne sommes pas inquiets, mais attentifs". Christophe Millet est le directeur de l’IUT de Nantes, mais aussi le vice-président "professionnalisation" de l’Association des directeurs d’IUT. A ce titre, comme d’autres acteurs de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, il a en tête un rendez-vous important dans le calendrier des prochains mois : en juillet, France Compétences doit réviser les niveaux de prise en charge des contrats diplôme par diplôme. C'est notamment cette échéance qui va conditionner la rentrée 2022.

Il s'interroge aussi sur l'avenir de la prime pour l'embauche d'un apprenti - qui a permis d'atteindre le chiffre record de 718.000 contrats d'apprentissage signés en 2021 - qui devait être supprimée en juin mais qui a été prolongée jusqu'à la fin de l'année 2022.

France Compétences en déficit structurel depuis sa création

Depuis 2019, c’est en effet France Compétences qui détient la responsabilité du pilotage financier de l’apprentissage. L’établissement public créé par la loi "Avenir professionnel" de 2018 fixe notamment le niveau de prise en charge des contrats, de l'infra-bac au post-bac - même si in fine ce sont les branches professionnelles qui arrêtent le tarif définitif.

Problème : France Compétences est en déficit structurel depuis sa création. L'établissement public affichait 4,6 milliards de déficit en 2020, 3,3 milliards en 2021, et prévoit un manque de 3,7 milliards pour 2022.

Selon un rapport parlementaire publié fin janvier, les deux raisons principales à ce trou dans les caisses sont l’impact de la crise sanitaire, qui a entraîné une diminution de la masse salariale privée, laquelle constitue l’assiette des ressources de France Compétences ; et l’engouement pour l’apprentissage, dopé par les aides à l’embauche, bien supérieur aux prévisions. Ainsi, sur les 4,6 milliards de déficit de France Compétences pour l’année 2020, 3,3 milliards sont liés à l’apprentissage.

Vers une baisse de 3% de la prise en charge des contrats d'apprentissage

Pour permettre l’équilibre du budget "Apprentissage" de la nation, dès avril 2020, une mission d’inspection IGA (Inspection générale de l'administration)-IGF (Inspection générale des finances) proposait notamment de baisser de 3% en quatre ans les niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage. Une piste reprise par les partenaires sociaux à l'automne 2021, qui proposaient également une révision des coûts contrats tous les trois ans, qui tiendrait davantage compte des coûts réels des formations.

Par ailleurs, les auteurs du rapport parlementaire de janvier 2022 proposent que dans l’enseignement supérieur comme secondaire soit envisagé un report de budget de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur vers l’apprentissage pour la partie formation assurée en entreprise.

Du côté des établissements, faute d'informations précises pour l’instant, on se prépare à plusieurs éventualités. Christophe Millet s'attend à une baisse du coût-contrat pour l'enseignement supérieur, "la question est de savoir de quel ordre sera cette baisse", précise-t-il.

Si le niveau de prise en charge baisse, nous devrons augmenter le reste à charge des entreprises, ou réduire le nombre de places en alternance. (P-E. Ramauger, Montpellier BS)

Même inquiétude côté écoles de commerce : "Si le niveau de prise en charge baisse, nous devrons augmenter le reste à charge des entreprises, ou réduire le nombre de places en alternance, déplore Pierre-Emile Ramauger, directeur du développement de Montpellier business school. Ce serait dommage : si dans notre école nous avons 40% de boursiers, c’est grâce à l’apprentissage ! Et un rapport de l’association Walt a récemment démontré que l’investissement de l'État dans l’apprentissage est très rentable."

Améliorer la poursuite d'études des apprentis de niveau bac ou BTS

Selon cette étude en effet, 15.602 euros investis dans un contrat d’apprentissage "rapportent" aux finances publiques 18.970 euros. "Le sujet est complexe, souligne Aurélien Cadiou, président de l’Association nationale des apprentis de France. L’apprentissage dans le supérieur fonctionne bien mais il n’y a pas de grosse différence au niveau du taux d'employabilité des bac+5, qui est déjà bon, avec ou sans apprentissage."

L’apprentissage dans le supérieur fonctionne bien mais il n’y a pas de grosse différence au niveau du taux d'employabilité des bac+5. (A. Cadiou, ANAF)

Il estime en revanche nécessaire "d'améliorer la possibilité, pour les jeunes titulaires d’un bac ou d’un BTS obtenu en apprentissage, de poursuivre leurs études jusqu'à bac+5" : "Aujourd’hui, par exemple, il est difficile d’intégrer une école d’ingénieurs après un bac+2 en apprentissage. Une contrepartie au maintien des coûts-contrats actuels dans le supérieur pourrait peut-être être une meilleure prise en compte de ces profils par les établissements d’enseignement supérieur ?", propose le président de l'Association nationale des apprentis de France.

Au nouveau gouvernement de trancher entre ces différentes pistes, afin de ne pas voir s'effondrer le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage à la rentrée 2022. Contactée par EducPros, France Compétences n’a pas souhaité faire de commentaire.

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