Écoles d’art : l’enseignement se réinvente à distance

Camille Jourdan Publié le
Écoles d’art : l’enseignement se réinvente à distance
La mise en place de l'enseignement à distance dans les écoles d'arts s'est faite progressivement. // ©  golubovy / Adobe Stock
Peinture, cinéma, danse, mode… Difficile a priori pour les écoles d'art de donner des cours à distance dans ces disciplines qui demandent des travaux "pratiques" et requièrent du matériel spécifique. Mais les confinements, et notamment celui de mars 2020, ont rebattu les cartes.

"Avant le premier confinement, nous avions déjà un environnement numérique de travail, des espaces partagés, mais très peu d’enseignants les utilisaient." Ce constat de Pierre Oudart, directeur des Beaux-Arts de Marseille, est celui de nombre de ses homologues en écoles d’art, toutes disciplines confondues.

Sur des plateformes spécifiques aux écoles ou sur des outils plus génériques (Teams, Zoom, Blackboard), les professeurs ont ainsi testé les cours en visio et la mise en ligne de contenus. Ainsi, à LISAA Paris Mode, trois mastères disposaient déjà d'une plateforme d'e-learning. Depuis, l'école a également créé une interface pour les bachelors. "Avoir des cours et des supports en ligne était un projet de longue date, précise Raphaëlle H’Limi, le confinement a accéléré le processus." L’enseignante a même été nommée "responsable du digital learning". De la même manière, l’ESMOD a recruté un "responsable de l’innovation pédagogique et de la performance des programmes" afin d’accompagner la construction des cours à distance.

La théorie à distance, la pratique en ligne

"Il est difficile d’apprendre à gérer les lumières d’un plateau sans être sur le plateau", résume Mehdi Ait-Kacimi, directeur du développement et de la communication à l’École Louis Lumière. Il rapporte toutefois que "les enseignements théoriques et techniques en amont de ces exercices peuvent être délivrés en visio". Beaucoup d’écoles privilégient ce fonctionnement : les cours théoriques en distanciel, et les travaux pratiques en présentiel.

Mais même à distance, ces cours ne prennent pas nécessairement une forme "magistrale" : partage de documents, mise à disposition de ressources numériques, cours en vidéo… La pédagogie inversée s’invite même pour des cours plus pratiques grâce à des tutoriels vidéos : modélisme pour les écoles de mode, dessin ou peinture aux Beaux-Arts… "L’étudiant peut par exemple regarder une vidéo pour apprendre à tricoter à la main, puis il peut échanger avec son professeur sur la mise en pratique", décrit la directrice de LISAA, Anne Balas-Klein. "Ce fonctionnement hybride favorise une pédagogie plus active et plus concrète une fois en présentiel", observe son homologue de l’ESMOD, Véronique Beaumont.

Autre avantage : l’étudiant avance à son rythme puisqu’il peut regarder le tuto autant de fois qu’il le souhaite. Il pourra même revisionner ces contenus au fil de ses études, comme des piqûres de rappel. Dans cette optique, Véronique Beaumont compte bien "conserver ces contenus même une fois la crise sanitaire passée. Ce sont des investissements pérennes".

Des financements conséquents et parfois une fracture numérique

La création de ces contenus numériques suppose en effet des financements parfois conséquents. "Cela représente un budget important, confirme Véronique Beaumont sans donner de chiffre, car il a fallu financer l’installation de grands écrans dans les salles, de caméras, l’achat de licences pour les logiciels, la formation des professeurs..." Même constat à LISAA, qui confie cependant s’être appuyé sur les ressources et le réseau du groupe Galileo et de marques partenaires.

Du côté des écoles publiques, les financements supplémentaires sont moindres, souvent limités à l’abonnement à des plateformes de visioconférence ou au développement du parc informatique. On compte alors, plus encore que dans le privé, sur l’engagement et la capacité d’innovation et d’adaptation des professeurs.

Mais développer des supports de cours numériques suppose aussi que les étudiants puissent y avoir accès, et disposent du matériel adéquat pour travailler. À LISAA comme à l’ESMOD, on recommandera voire on exigera désormais que chaque étudiant soit doté d’un ordinateur. Or, un accès à Internet ne suffit pas toujours. "On peut regarder autant de tutos que l’on veut pour réparer une machine à laver, si on n’a pas de machine, c’est inutile", schématise Pierre Oudart.

Créer à distance : manque de matériel et d'émulation

Certaines écoles fournissent du matériel à leurs étudiants, mais il est des disciplines qui ne sont pas praticables ailleurs que dans des espaces dédiés : "Nos étudiants qui travaillent le bois, le métal, la céramique ont besoin de venir dans nos ateliers, développe Pierre Oudart, car on a rarement un poste à souder ou une découpe laser chez soi." Enfin, pour Alexandre Beznosiuk, directeur de l’ENSAV, école supérieure d’audiovisuel à Toulouse, les cours à distance se privent d’un ingrédient qu’il juge essentiel : "l’émulation et la création collective."

Face aux freins économiques, pratiques et pour des raisons pédagogiques, la plupart des écoles d’art restent ainsi attachées à l’enseignement en présentiel, au moins de ses cours pratiques. "Nous ne renions pas notre modèle de transmission de savoir-faire, conclut Véronique Beaumont, nous ne deviendrons pas une école 100% numérique."

Camille Jourdan | Publié le