Ministère, syndicats, associations : comment s’organise le dialogue social entre les parties prenantes de l’Éducation nationale

Marine Ilario Publié le
Ministère, syndicats, associations : comment s’organise le dialogue social entre les parties prenantes de l’Éducation nationale
Gabriel Attal entouré de ses conseillers. // ©  Eric TSCHAEN/REA
En matière de politiques éducatives, ministère, syndicats et associations entretiennent des rapports suivis pour les faire évoluer. S’ils saluent des échanges réguliers, syndicats et associations déplorent le manque de prise en compte effective de ces échanges, qui a tendance à crisper les relations.

Le 31 mai 2023, les syndicats décident de boycotter le comité social d'administration (CSA) ministériel pour marquer leur opposition au Pacte enseignant. Le 13 octobre, après l’assassinat d’un professeur à Arras, les syndicats saluent l’échange avec Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale. Le 16 novembre, le Conseil social d’éducation (CSE) est appelé à s’exprimer sur le stage en classe de seconde.

Audiences, consultations, groupes de travail, etc. Tout au long de l’année, les représentants de la communauté éducative entretiennent des relations étroites avec différents services ministériels. Des échanges essentiels qui permettent de faire évoluer les politiques éducatives.

Entre tensions, échanges constructifs et calendrier politique, syndicats et associations de professeurs reviennent sur leur relation avec les instances ministérielles.

Un dialogue social possible avec le ministère de l'Education

Depuis la loi de transformation de la fonction publique en 2019, le dialogue social a été redéfini. Pour Élisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-UNSA (syndicat des enseignants), ce dialogue est "diminué dans sa capacité à peser sur les décisions de l’employeur [le ministère de l'Education nationale]". Mais "de façon paradoxale, nous n’avons jamais été autant convoqués dans des groupes de travail et des réunions en tout genre", précise-t-elle.

Un sentiment partagé par de nombreux représentants de la communauté éducative. Quels que soient les sujets, syndicats et associations apprécient la disponibilité des services ministériels pour créer et entretenir les échanges.

Le ministre a instauré des rencontres régulières et si nous avons besoin de réponses, nous les avons. (E. Allain-Moreno, SE-Unsa)

"Je n’ai pas connu de refus de nous recevoir et le ministère répond régulièrement à nos demandes d’audience" affirme Benoît Guyon, co-président de l’APSES (association des professeurs de SES). "En général, nous sommes reçus par le cabinet ou la Dgesco (direction générale de l’enseignement scolaire) même pour des sujets qui seraient portés par le ministre lui-même".

Pour Élisabeth Allain-Moreno, pas de doute, "la relation existe. Le ministre a instauré des rencontres régulières et si nous avons besoin de réponses, nous les avons". Un contact régulier qu’apprécie aussi Joëlle Alazard, présidente de l’APHG (association des professeurs d’histoire-géographie). "J’ai l’impression d’avoir une écoute et des échanges de qualité avec des personnes qui connaissent leur dossier".

Une absence de décisions à la suite des réunions

Ce n’est pas tant la qualité des échanges qui pose souci mais "l’absence de décision à la suite de ces réunions", reconnaît Benoît Guyon, pour qui les échanges sont parfois difficiles, notamment depuis la réforme du lycée. "Lorsque vous avez une réunion qui commence par 'on ne touche pas à la réforme', c’est difficile d’échanger sur ce sujet", estime-t-il.

Lorsque vous avez une réunion qui commence par 'on ne touche pas à la réforme', c’est difficile d’échanger sur ce sujet. (B. Guyon, APSES)

Car finalement, si les syndicats et les associations reconnaissent avoir beaucoup d’espace de parole et d’écoute, "les décisions qui sont prises ne correspondent pas toujours à ce qu’on a pu soulever, regrette Elisabeth Allain-Moreno. Comme s’il y avait deux mondes : le monde de la discussion et le monde des annonces. Là, on se dit qu'on n’a pas dû se comprendre, on n’a pas priorisé les mêmes choses".

Des discussions contraintes par l'agenda politique

Un dialogue social contraint d’abord par le poids limité des instances. Ainsi, le 16 novembre dernier lors de la consultation du CSE sur le projet de texte instaurant le stage de seconde, 58 membres ont voté contre, 8 pour et 3 se sont abstenus. Malgré ce vote, négatif, le 29 novembre, le décret est publié au Journal officiel.

La contrainte vient aussi de l’agenda politique que se fixent les ministres. "Depuis fin septembre, le ministre déroule des mesures au pas de charge, sans nous entendre ou prendre le temps de nous écouter", regrette Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU (syndicat national des enseignements de second degré).

"La question des savoirs fondamentaux ou encore les décisions sur l’attractivité du métier d’enseignant doivent être bouclées en quelques semaines. Nous tirons la sonnette d’alarme. On ne peut pas tenir sur le temps imparti, qui ne laisse pas la place à des échanges sérieux et approfondis", poursuit-elle.

Une faible marge de manœuvre pour les personnels

Une contrainte que connaissent bien les représentants des personnels. "On sait qu’un certain nombre de choses sont verrouillées et que la marge de manœuvre n’est pas toujours très importante" ajoute Joëlle Alazard, de l'Association des professeurs d’histoire-géographie.

L’APHG a été reçue le 16 novembre pour échanger sur la réforme du Capes. "Nous sentions que le scénario privilégié était celui d’un Capes en fin de 3e année de licence, mais nous avons argumenté pour un Capes plutôt en fin de première année de master", se souvient la présidente de l’association.

Une fois la machine de la réforme lancée, c’est très dur de revenir en arrière. (J. Alazard, APHG)

"Bien que nos arguments étaient pris en note, on a senti que l’urgence était de trouver des professeurs -ce avec quoi nous sommes d’accord - et que, selon le ministère, le concours en fin de L3 était la solution qui permettrait de recruter davantage".

L’association espère qu’aucune décision précipitée ne sera prise à ce sujet rappelant qu'il est important de trouver "des solutions stables et durables". Car Joëlle Alazard en a bien conscience, "une fois la machine de la réforme lancée, c’est très dur de revenir en arrière".

Se rassembler entre parties prenantes pour être entendu

Pour essayer de peser davantage dans la balance des décisions, les différents représentants de la communauté éducative tentent parfois de se rassembler. "Nos approches sont complémentaires et souvent nous faisons les mêmes constats, admet Benoît Guyon. On a toujours un poids plus important quand on est plusieurs".

"Par le passé, je voyais beaucoup de divergences entre les organisations syndicales, de parents d’élèves, les associations partenaires de l’école etc.", se remémore Elisabeth Allain-Moreno. "Aujourd'hui, Il y a beaucoup d’unité. Les divergences sont mises de côté, parce qu’elles sont mineures par rapport aux enjeux que l’école est en train de vivre".

Si cette réalité est positive, la secrétaire générale trouve "inquiétant que, malgré cette unité, ça ne bouge pas en face". Si le dialogue social ne consiste pas à être d’accord sur tout, "ce qui est frappant c’est que, même quand il y a une unanimité syndicale contre, ils avancent quand même", abonde Sophie Vénétitay.

Un rapport de force inéluctable

Pourtant face aux instances ministérielles, elle l’affirme. "Nous n'avons pas la même vision de l’école, mais ce n’est pas grave. C’est même une bonne chose que dans une démocratie, on puisse en débattre".

Reconnaissant une forme de jeu politique et syndical, les représentants de la communauté éducative attendent une meilleure prise en considération de leurs réflexions.

Notre but n’est pas de faire reculer le ministère à tout prix, (B. Guyon)

"Notre but n’est pas de faire reculer le ministère à tout prix, affirme Benoît Guyon. Nous ne sommes pas dans une guerre idéologique, mais pour apporter du pragmatisme à l’idéologie, c’est-à-dire des solutions qui permettent concrètement d’améliorer la situation dans les classes".

Pas sûr que le plaidoyer soit entendu. De son côté, contacté à plusieurs reprises, le ministère de l'Education n’a pas souhaité répondre à nos demandes d’interviews, estimant le sujet trop "politique".

Marine Ilario | Publié le