Attentat d'Arras : "On veut sanctuariser l'école d'un point de vue moral"

Oriane Raffin Publié le
Attentat d'Arras : "On veut sanctuariser l'école d'un point de vue moral"
Enseignants et professeurs attendent des mesures concrètes après l'attaque d'Arras. // ©  Richard DAMORET/REA
Près d'une semaine après l'attentat à Arras qui a coûté la vie à Dominique Bernard, professeur de lettres, enseignants et chefs d'établissement du secondaire ont des attentes concrètes en matière de sécurisation mais surtout d'accompagnement autour des questions de laïcité.

Au lendemain de l'attaque terroriste d'Arras, durant laquelle l'enseignant Dominique Bernard a été tué, les syndicats enseignants reviennent sur les suites du drame.

"Sur l'hommage et l'accompagnement, Gabriel Attal  [ministre de l'Éducation nationale] a retenu la leçon de l'assassinat de Samuel Paty, il y a trois ans, quand Jean-Michel Blanquer avait été d'abord très hésitant sur le temps d'hommage", note ainsi Norman Gourrier, secrétaire général du syndicat national des collèges et des lycées (SNCL). "Là, un hommage a été immédiatement décidé, ainsi qu'un temps banalisé. C'est le moins que nous pouvions attendre".

Améliorer les protocoles de sécurité

Tous sont d'accord pour constater que le risque zéro n'existe pas. "Un homme déterminé avec une arme ne peut être arrêté à moins d'avoir des vigiles armés devant chaque établissement", tranche Norman Gourrier.

Ce n'est pas ce que réclament les syndicats, même s'ils estiment que certains dispositifs doivent être revus et certains protocoles être mieux organisés. "Il y a quand même des failles dans les systèmes de sécurité et dans l'accompagnement des personnels sur le sujet", souligne Élisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale de SE-UNSA.

Ainsi, tous n'ont pas un signal d'urgence à disposition permettant d'alerter tout l'établissement en vue d'une mise en sécurité. Certains utilisent encore des cornes de brume mais qui ne sont pas toujours audibles dans tous les bâtiments. Dans d'autres établissements, les personnels ne savent pas forcément comment utiliser les alarmes à disposition. "Certes, nous avons des exercices d'alerte, mais les dispositifs n'existent pas toujours."

L'enjeu réside également dans la capacité du personnel des établissements à réagir en cas d'intrusion. "Il faut avoir les réactions appropriées, anticiper nos réactions pour limiter le nombre de victimes et surtout avoir le monde nécessaire pour réagir, prendre les bonnes décisions et éviter un carnage", estime Christophe Mauvillain, principal de collège et membre du bureau du snU.pden - FSU, syndicat de chefs d'établissements.

"La question des moyens se pose aussi, souligne-t-il par ailleurs. Si on multiplie les contrôles ou les entrées, nous devons également multiplier les personnels, et notamment les AED (assistants d'éducation) et les surveillants."

Renforcer les dispositifs

Pour autant, pas question de mettre en place caméras ou portiques et de ne miser que sur la sécurité. "On veut sanctuariser l'école d'un point de vue moral, souligne Christophe Mauvillain. L'idée n'est pas de se blinder, de s'enfermer. Nos élèves ont besoin de sortir."

"L'école ne doit pas être un lieu de surveillance, mais un lieu d'éducation à la liberté", confirme Élisabeth Allain-Moreno. "Il ne faut pas combattre les symptômes, mais s'attaquer à la maladie, renchérit Norman Gourrier. Il ne faut pas militariser les entrées, mais s'assurer que la société ait accès au savoir, à l'épanouissement et au vivre ensemble."

Davantage de formation à la laïcité

Aussi, les enseignants souhaitent être mieux formés pour évoquer les sujets autour de la laïcité, notamment. "On a besoin que la formation des personnels à la laïcité soit accentuée, appuie Élisabeth Allain-Moreno. Un travail important est réalisé depuis l'assassinat de Samuel Paty pour mieux accompagner les équipes. Mais selon nos sondages, la majorité trouve que, s'il y a du mieux, c'est encore insuffisant".

Face à l'augmentation des atteintes à la laïcité, les enseignants estiment être encore mal formés pour répondre à certains propos ou porter certains débats - par crainte d'être mal interprétés ou des réactions dans certaines familles. "Nous demandons des référents laïcité dans chaque département, qu'ils soient joignables et suivent les dossiers pour les atteintes à la laïcité", ajoute Norman Gourrier.

Un diagnostic établi entre syndicats et ministère

Mardi matin, les syndicats enseignants ont été reçus rue de Grenelle afin de faire un diagnostic de la situation. "Le ministre veut montrer que la réaction ministérielle est rapide et à la hauteur de la gravité de ce qu'il s'est passé", note Élisabeth Allain-Moreno.

Cette rencontre aura aussi été l'occasion pour les syndicats de faire remonter la colère des personnels. "Qu'est-ce qu'on a fait pendant trois ans ? Qu'est-ce qu'on a tiré comme leçon ?" s'interroge la syndicaliste.

Elle questionne le soutien apporté par les pouvoirs publics aux établissements. "Nous avons évoqué les élèves signalés de façon multiple par l'institution. Le temps de la justice et de la police fait qu'ils restent jusqu'à la 3e ou la terminale, malgré les signalements. Ce sont des élèves qui pourtant peuvent représenter un danger". "Il faut que les signalements soient suivis de faits. Sinon c'est pire, cela donne une image d'impunité", appuie Norman Gourrier.

L'Unsa s'est également prononcée contre une refonte des programmes de l'enseignement moral et civique, "surtout si c'est pour les appauvrir sur les valeurs républicaines", appuie Élisabeth Allain-Moreno. "Il faut plutôt que l'institution soit en mesure d'accompagner les enseignants qui s'auto-censurent et d'agir pour que ces programmes soient compris par les élèves et les familles".

Des propositions concrètes à venir

Gabriel Attal et ses équipes ont également rencontré mercredi des élus des différentes collectivités territoriales.

À l'issue, le ministère a déclaré qu'"État et collectivités sont unis par la volonté de poursuivre les efforts pour renforcer la sécurité des personnels et des élèves. Pour atteindre un niveau plus élevé de sécurité, cela implique la mise en œuvre de dispositifs techniques supplémentaires qui exigeront un effort financier significatif dont la charge ne pourra pas être portée par les seules collectivités. Celles-ci ont, en outre, besoin d'être accompagnées par une expertise dédiée à la sécurité de la part des services de l'État et bien articulée avec l'ensemble des problématiques touchant les locaux scolaires."

Prochaine étape : un point sur le volet police/justice. À l'issue de ces rencontres, des propositions concrètes seront avancées.

Du côté du syndicat SE-UNSA, Élisabeth Allain-Moreno espère que le sujet restera un objectif prioritaire. "Le ministre s'est donné énormément de priorités depuis qu'il est arrivé à son poste. Nous espérons qu'il va arrêter de mener de front toutes les priorités et se consacrer aux problématiques autour de la laïcité, du respect à l'école et de la sécurité des élèves et des personnels. Tout le reste en découle."

Oriane Raffin | Publié le