Pénurie de profs : les stratégies des académies d'Ile-de-France pour recruter

Amélie Petitdemange Publié le
Pénurie de profs : les stratégies des académies d'Ile-de-France pour recruter
Les concours de l'enseignement n'attirent plus les candidats. // ©  Tereza/Adobe Stock
Les concours de l’enseignement ne font pas le plein cette année dans plusieurs disciplines. Conjuguée à des démissions et des départs en province, cette situation mène à un manque de professeurs accru pour la rentrée 2022. Les académies tentent de revaloriser l’image du métier et créent des journées de recrutement. Focus sur l'Ile-de-France.

Le nombre d'admissibles aux concours de l'enseignement est particulièrement bas cette année, ce qui augure un manque de professeurs pour la rentrée 2022. Seulement 816 candidats sont par exemple admissibles au Capes externe de mathématiques pour 1.035 postes à pourvoir.

A titre de comparaison, 1.702 candidats ont été admissibles pour 1.167 postes en 2021. Une situation similaire au Capes d'allemand, avec seulement 83 admissibles pour 215 postes ouverts cette année, contre 179 admissibles en 2021.

10.600 postes d'enseignants à pourvoir au primaire, 13.690 dans le secondaire

Au total, 10.600 postes sont à pourvoir au primaire et 13.690 dans le secondaire. La pénurie est criante dans les académies d'Ile-de-France, qui sont historiquement les plus en tension.

"Un certain nombre d’enseignants parisiens aspirent davantage à vivre en province, les demandes de sorties de Paris sont plus importantes que les entrées", explique Christophe Kerrero, recteur de l'académie de Paris. Cette année, bien que tous les résultats ne soient pas encore publiés, il compte 206 admissibles au CRPE, le concours de professeur des écoles, pour 228 postes offerts.

Moins de candidats en master MEEF

La réforme du master MEEF est par ailleurs en partie responsable d'une rentrée particulière. Depuis cette année, les étudiants en master MEEF passent en effet le concours en M2 et non plus en M1. Or, les étudiants qui arrivent en M2 cette année ont déjà obtenu le concours en M1 l'année dernière, ce qui réduit le vivier de candidats.

La conséquence de cette réforme est particulièrement visible pour le CRPE, qui compte plus de candidats en master MEEF que le Capes. Dans l'académie de Paris, la difficulté à recruter se cantonne d'ailleurs au premier degré, pour l'instant.

Un certain nombre d’enseignants parisiens aspirent davantage à vivre en province, les demandes de sorties de Paris sont plus importantes que les entrées. (C. Kerrero)

L'académie de Versailles propose ainsi 2.035 postes de personnels contractuels pour la rentrée de septembre, dont 700 professeurs des écoles et 600 professeurs en collège ou lycée. "Notre académie est le plus gros employeur en France. Tous les ans, la rentrée est un vrai défi. Nous recrutons beaucoup de titulaires et de contractuels, ce n’est pas nouveau. Mais depuis quelques mois, le contexte de plein emploi nous met en concurrence avec d’autres employeurs", affirme Charline Avenel, rectrice de l'académie de Versailles. Par exemple, les enseignants en génie thermique des lycées professionnels et les professeurs sont très sollicités par les entreprises.

Les secteurs les plus touchés par cette pénurie sont l’est du Val-d'Oise, le nord de l'Essonne, Mantes-la-Jolie dans les Yvelines et l'ensemble des Hauts-de-Seine. Certaines disciplines sont plus en tension que d’autres : l'anglais, l'allemand, la physique-chimie, les mathématiques, l'éducation musicale, les lettres, l'histoire-géographie, le génie thermique, les sciences industrielles de l’ingénieur, la technologie…

Recruter des enseignants différemment

Pour la rectrice de Versailles, il faut "redoubler d'efforts pour renforcer l'attractivité" du métier et "se préparer à recruter différemment". L'académie a donc lancé un "job dating" du 30 mai au 3 juin qui s'adresse notamment aux "étudiants en fin d'études ou en année de césure, personnes en recherche d'emploi, ou encore personnes qui souhaitent s'ouvrir à une seconde carrière", précise le dossier de presse de l'académie. Les candidats ont ainsi passé des entretiens directement lors de ces journées du recrutement, pour un poste à la rentrée.

"Nous avons rencontré des jeunes sortis d’études qui ont de l’appétence pour l’enseignement et veulent être contractuels puis passer les concours, des personnes en reconversion, des salariés qui sont en quête de sens et veulent aider la jeunesse", se félicite Charline Avenel.

Notre académie est le plus gros employeur en France. Tous les ans, la rentrée est un vrai défi. (C. Avenel)

L'opération a selon elle permis de découvrir des profils variés : "J’ai par exemple vu des traducteurs qui veulent devenir professeurs de langues ou des salariés dans des banques qui aspirent à être professeur de mathématiques. Nous avons aussi eu beaucoup de personnes plus âgées qui ont de l’expérience avec des enfants à travers des cours particuliers, des animations…" Au total, 1.800 entretiens ont été menés.

L’académie de Paris - qui ne parle pas de "job dating" - a aussi organisé un "forum de l’emploi", insiste le recteur. Objectif : recruter environ 250 contractuels pour la rentrée dans le 1er degré. Organisé à la Sorbonne les 14 et 15 juin, il a fait le plein, avec 800 inscrits qui ont pris tous les créneaux disponibles. Les candidats - sélectionnés sur CV et lettre de motivation en amont - ont tous été reçus lors d'un entretien de 30 minutes par un binôme constitué d’un inspecteur et d’un conseiller pédagogique.

"Nous recevons tout le monde et nous avons aussi une cellule RH qui est là pour vérifier les profils et proposer d’autres postes : AESH (accompagnant d'élèves en situation de handicap), conseiller d’éducation…", précise le recteur de l'académie de Paris. Les candidats sélectionnés recevront un courrier fin juin pour établir un contrat et même pour certains une affectation dès juillet. Ils seront ensuite formés fin août puis tout au long de l’année et bénéficieront d’un mentorat.

Des professeurs inquiets

Ces nouveaux modes de recrutement n'ont pas manqué de faire bondir les syndicats enseignants, s'inquiétant d'une sélection et d’une formation au rabais. Pour le SNESUP-FSU, cette stratégie ne fait que renforcer la dévalorisation du métier "en laissant croire qu’on s’improvise enseignant du jour au lendemain pourvu qu’on soit titulaire d’une licence (ou équivalent), 'motivé' et surtout capable d’une posture bienveillante".

Le syndicat dénonce dans un communiqué "cinq années de sape de la formation des enseignants et d’attaque du système public d’éducation" qui ont mené à cette situation. "On affiche clairement qu’il n’y a pas besoin de master ni d’une véritable formation universitaire, fût-elle professionnalisante, pour enseigner. Quelques heures à la rentrée suffiraient !" Les titulaires d'un master MEEF et les étudiants qui préparent des concours très exigeants de l’enseignement se sentent d'ailleurs aussi floués.

"L'objectif est de recevoir de très nombreuses personnes mais en même temps de réaliser des entretiens qualitatifs", assure de son côté la rectrice de Versailles, qui promet un "processus de sélection très exigeant". "Je ne suis pas inquiète et je me félicite d’avoir pris les choses en main avec détermination", lance-t-elle en réponse à cette polémique.

Mieux valoriser et accompagner les enseignants

Les académies misent aussi sur une communication offensive autour des métiers de l’école. "Il faut montrer ce qu’est le métier de professeur, faire connaître les possibilités d’évolution de carrière, ainsi que la revalorisation des salaires en cours", affirme le recteur de Paris, Christophe Kerrero.

Selon un rapport de la Commission des finances publié le 8 juin 2022, les enseignants français commencent et terminent leur carrière avec un salaire inférieur à la moyenne de l’UE. Après dix et quinze ans d’ancienneté, l’écart avec la moyenne des pays européens atteint près de 10.000 dollars annuels.

Selon cette même étude, les aspects perçus comme les plus problématiques par les enseignants, au-delà de leur rémunération, concernent plus largement le positionnement des professeurs vis-à-vis du reste de la société, en particulier des médias et des politiques. Seuls 6,6% des enseignants français se sentent valorisés par la société. Au niveau de l’OCDE, seuls les professeurs de Slovaquie et Slovénie s’estiment moins bien valorisés.

Ainsi, le nombre d’enseignants démissionnaires, loin d’être un phénomène conjoncturel, est en hausse constante depuis dix ans. Par ailleurs, le recrutement de contractuels se systématise face à la baisse des candidats aux concours.

Pour pallier cette situation, le rapporteur préconise notamment de poursuivre la hausse des rémunérations des enseignants débutants et d'étendre l’accompagnement des professeurs débutants au-delà de leur seule année de stage.

Amélie Petitdemange | Publié le