« Pourquoi ne pas créer des parcours de type entrepreneur-études ? »

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Francis Bécard, directeur de l’ESC Troyes et de la technopole de l’Aube, a fait de l’entrepreneuriat l’un de ses chevaux de bataille. Il préside notamment Retis, une association nationale qui regroupe une centaine de structures et acteurs de l’innovation. L’ex-ministre de l’Industrie, François Loos, lui avait confié une mission pour développer les liens entre les grandes écoles et les structures d’appui à l’innovation (technopoles, incubateurs...). Sa réponse : un rapport d’une cinquantaine de pages qui dresse un état des lieux des dispositifs existants dans les grandes écoles et délivre quinze propositions pour faire émerger « une nouvelle culture entrepreneuriale ».

Les jeunes diplômés créent peu d’entreprises en France. Est-ce culturel ?

Les écoles de commerce ou d’ingénieurs visent surtout à développer le germe entrepreneurial pour que leurs diplômés puissent se lancer à un moment ou à un autre de leur carrière. Mais, à moins de projets de qualité portés par des talents exceptionnels, je ne pense pas qu’un jeune doive créer une entreprise dès la sortie de l’école. En revanche, vers 30 ans, il ne faut pas hésiter à sauter le pas, dans la mesure où il ne se sent pas lié par des charges de famille ou un salaire confortable. Hélas, dans notre culture, la prise de risque n’est pas valorisée, là où,dans d’autres pays, l’échec fait partie inté- grante du processus de réussite. C’est pour- quoi, en France, un salarié privilégiera souvent ses perspectives de carrière et de rémunéra- tion dans un grand groupe.

Que préconisez-vous pour modifier les mentalités ?

Il faut intervenir très en amont. Entreprendre reste une aventure, or dans la société actuelle, entre 0 et 15 ans, tout est fait pour supprimer les risques. Un enfant qui fait du vélo, par exemple, doit porter un casque et des genouillères. Le principe de l’hyper-précaution à tout instant ne favorise pas l’esprit d’initiative qu’il faut détecter, puis cultiver à l’école et au col- lège. Une mission loin d’être évidente pour les enseignants, d’où ma proposition de créer un parcours entrepreneur-études, à l’instar de la filière sports-études. Les jeunes dont la créativité et l’esprit d’initiative se manifesteraient, au travers d’activités économiques ou extra- scolaires, seraient sélectionnés par un jury valorisant le potentiel plutôt que les acquis académiques pour suivre un cursus spécifique. Je suis même prêt à adopter ce parcours dans mon établissement à condition que l’on réfléchisse avec des pédopsychiatres sur les aptitudes à l’entrepreneuriat et la manière de les déceler. Le mode d’éducation joue un rôle. Un contexte affectif sécurisant donne confiance en soi. Les activités sportives ou culturelles (scouts, capitaines d’équipe...) sont aussi essentielles pour développer l’autonomie.

Vous souhaitez que les patrons s’investissent plus auprès des jeunes stagiaires...

Quel est l’enfant ou l’adolescent qui rêve d’être patron ? La plupart ne peuvent même pas décrire en quoi consiste ce métier. Quand je recevais des stagiaires de classe de troisième, je leur proposais systématiquement de passer un après-midi dans mon bureau pour observer l’exercice du métier de dirigeant. Ils repartaient découragés ou... enthousiasmés ! Ensuite, le système éducatif français est ainsi fait que les jeunes qui passent par une prépa pour intégrer une grande école n’ont plus de contact avec une entreprise avant la L3 ! À ce moment-là, ils effectuent des stages certes, mais jamais aux côtés d’un patron et rarement dans une start-up. Je préconise donc que les stages soient autant valorisés et rémunérés dans une jeune pousse que dans une grande entreprise et que les dirigeants reçoivent des stagiaires pour les assister.

Parmi vos propositions, quelles sont celles qui avaient retenu l’attention du ministre ?

François Loos avait essentiellement retenu trois idées : l’instauration d’une filière entre- preneur-études, la mise en place d’un concours national de l’entrepreneuriat étudiant et l’instauration d’un statut de dirigeant apprenant qui permettrait au créateur d’entreprise de bénéficier de la clémence de l’administration. En France, celle-ci n’admet pas le droit à l’erreur. Or, un jeune patron se trouve vite confronté à des démarches fiscales ou administratives pour lesquelles il peut avoir à payer de lourdes amendes s’il n’a pas respecté, de bonne foi, les échéances. Sur une période de trois ans, ce statut aurait aussi l’avantage pour le créateur d’être coaché par des dirigeants expérimentés afin d’apprendre le métier de patron sur le terrain.

Vous avez rendu votre rapport un mois avant les présidentielles. Ne craignez-vous pas qu’il reste lettre morte ?

 Mes propositions sont apolitiques, j’incite donc le nouveau ministre à poursuivre le travail. Je propose aussi de mettre en oeuvre certaines mesures à titre expérimental dans les régions qui sont volontaires avant de les généraliser. Je suis prêt à aller démarcher les élus locaux de Champagne et à lancer certaines actions, avec les membre de Retis, comme les jour- nées portes ouvertes dans les entreprises, à condition que le ministère de l’Éducation nationale apporte son soutien. Je vais également présenter ce rapport devant la Conférence des grandes écoles et celle des présidents d’université. Il est dans l’intérêt des établissements de travailler ensemble pour décloisonner les cursus. Pourquoi un laboratoire de pharmacie dans une faculté ne s’associerait-il pas à une école de commerce pour élaborer une filière mixte ? Je propose qu’un label soit créé pour valoriser ces initiatives.

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