A-L. Wack (CGE) : "Il est évident que la crise a eu un coût pour toutes les écoles"

Clément Rocher, Dahvia Ouadia Publié le
A-L. Wack (CGE) : "Il est évident que la crise a eu un coût pour toutes les écoles"
Les grandes écoles et leurs étudiants doivent s'adapter aux protocoles sanitaires en place dans les établissements. // ©  Boggy/Adobe Stock
La CGE (Conférence des grandes écoles) travaille dans l'ombre auprès des écoles membres depuis le début de la crise sanitaire. Anne-Lucie Wack, présidente de cette conférence, revient pour EducPros sur les problématiques que rencontrent les écoles, les difficultés qu'elles affrontent mais aussi les ressources qu'elles trouvent pour affronter cette crise multifacette.

Après trois mois de confinement et une rentrée dans un climat sanitaire tendu, comment la CGE accompagne aujourd’hui les écoles ?

Nous sommes toujours en pleine crise sanitaire, nous manquons donc encore de recul. Nous pouvons seulement estimer des tendances grâce aux échanges avec les écoles. Nous faisons aussi des enquêtes flash sur des questions précises pour essayer d’avoir une meilleure vision des difficultés rencontrées et voir comment nous pouvons ensemble y faire face.

Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE
Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE © CGE

La plupart des écoles ont pris l’option de privilégier une rentrée en présentiel, sans trop décaler les dates de rentrée. Les trois quarts des grandes écoles ont maintenu leurs dates de rentrée, les autres ont pu la décaler d’une à deux semaines. Pour accueillir les étudiants en présentiel, les écoles ont mis en place des protocoles sanitaires drastiques, qui associent et responsabilisent les personnels et les étudiants. Tous les événements d’intégration ont été annulés ou reportés jusqu’à nouvel ordre. A la place, les étudiants ont pu organiser de petits événements d’intégration, comme des activités en petits groupes ou encore des journées de cohésion.

Pour accueillir les étudiants en présentiel, les écoles ont mis en place des protocoles sanitaires drastiques.

Depuis la rentrée, les écoles et leurs communautés étudiantes s’adaptent en permanence aux conditions sanitaires qui sont très évolutives. Certaines écoles ont dû fermer momentanément pour cause de cas de Covid. Beaucoup passent en 'mode hybride' avec des TP en présentiel par demi-groupe et des cours magistraux qui peuvent se faire en partie à distance. Les écoles ont clairement donné la priorité aux activités d’enseignement, en leur réservant les espaces adaptés aux contraintes sanitaires, et en déployant des solutions hybrides avec tous les investissements numériques nécessaires.

Comment réagissent les étudiants face à cette situation ? Certains pourraient demander une baisse voire un remboursement de leurs frais de scolarité…

Tout le monde regrette évidemment de vivre une rentrée comme ça et on appréciera d’autant plus le retour à la normale. Aujourd’hui on peut dire que cela se passe bien dans les écoles, que tout le monde joue le jeu et que la qualité des cursus reste assurée. La question des droits d’inscription pourrait se poser si on ne délivrait pas la même qualité de cursus en passant à une plus grande part d’enseignement à distance. Mais aujourd’hui cette question n’est pas d’actualité.

Pour mieux impliquer les étudiants, notamment en école de commerce, nous plaidions depuis longtemps pour la création d’un BNEM (Bureau national des étudiants en école de management) à l’instar du BNEI (Bureau national des élèves ingénieurs) pour les écoles d’ingénieurs. C’est maintenant chose faite et nous réfléchissons à la manière de les associer plus étroitement à l’activité et même à la gouvernance de la CGE. Les écoles travaillent beaucoup avec la communauté étudiante qui nous challenge énormément pour mieux les préparer aux grandes transitions du monde actuel. Et dans ce contexte, la crise a exacerbé cette prise de conscience des étudiants et cette volonté de participer plus à l’évolution de leur formation.

L’arrivée des étudiants internationaux a été au cœur des interrogations pendant le confinement. Quel premier bilan tirez-vous de cette rentrée ?

Encore une fois, nous manquons aujourd’hui de recul car les étudiants internationaux ne sont pas encore tous arrivés dans les écoles. Pendant le confinement, nous étions vraiment inquiets de perdre des étudiants internationaux à la rentrée. Les grandes écoles accueillent en effet entre 20 et 30% d’étudiants internationaux, cela fait partie de nos fondamentaux et de la richesse de nos cursus. Or, pour le moment, nous ne constatons pas de baisse significative d’affluence, ni d’inscription, à part pour certaines zones géographiques, comme l’Inde, le Canada ou encore les Etats-Unis.

Pour le moment, nous ne constatons pas de baisse significative d’affluence des étudiants internationaux.

Pour l’heure, nous sommes cependant prudents sur les prévisions. Certaines écoles ont proposé de décaler la rentrée des étudiants étrangers à la fin septembre, d’autres proposent un démarrage à distance pour ne pas les pénaliser, enfin, certaines écoles décalent l’admission pour la rentrée prochaine. Par ailleurs, on constate aussi, dans les flux qui rentrent, des retards liés à la délivrance des visas, ou encore des situations financières plus difficiles aujourd’hui. Ce sont tous ces éléments que nous devons considérer avant de tirer des conclusions.

La crise sanitaire a déjà des conséquences économiques majeures. Certaines grandes écoles sont-elles aujourd’hui en danger ?

Je rappelle que la CGE compte 60% d’établissements publics et 40% d’écoles privées, avec des modèles économiques très différents. Il est évident que la crise a eu un coût pour toutes les écoles qui ont pu perdre des ressources. A ce stade, nous pensons cependant que les écoles vont réussir à traverser la crise, malgré les difficultés, comme elles l’ont fait lors des précédentes crises, notamment celle de 2008.

Le modèle est solide et les écoles sont agiles avec des structures légères qui peuvent se transformer rapidement. Et les cursus en grandes écoles font office de valeur refuge quand la situation économique est tendue.

Et concernant l’insertion professionnelle de vos diplômés. Etes-vous confiante ?

Nous sommes mobilisés et vigilants mais nous restons confiants. Le modèle grande école repose sur la force de ses liens avec les entreprises. Nous pensons que les tensions sur le marché de l’emploi vont s’intensifier, mais que dans la durée, nos diplômés vont continuer de se placer dans de bonnes conditions, car les entreprises auront besoin de leurs talents pour relever les défis de la relance. Notre prochaine enquête paraîtra en juin 2021, sur les données collectées de décembre 2020 à mars 2021.

Dans la durée, nos diplômés vont continuer de se placer dans de bonnes conditions.

Cependant, les écoles ont décalé la fin de l’année académique à la fin décembre pour que leurs étudiants puissent faire leur stage de fin d’études dans de bonnes conditions, et du coup nos étudiants vont être diplômés plus tard. Cela pourra donc affecter les données d’insertion à la date de l’enquête.

La CGE se mobilise aussi fortement sur le volet ouverture sociale. Où en est ce chantier avec le ministère ?

Nous participons actuellement au comité ouverture sociale mis en place par le ministère de l'Enseignement supérieur. L’ouverture sociale est un enjeu pour les grandes écoles et tout l’enseignement supérieur. Il n’y a pas de solution unique et il faut travailler à plusieurs niveaux, que ce soit la diversification des voies d’accès, l’accompagnement des jeunes dès le secondaire, les dispositifs de bourses pour que la question économique ne soit pas un frein, etc.

Nous devons aussi mieux communiquer auprès des jeunes, pour lutter contre les schémas mentaux, les stéréotypes, ou l’autocensure. Mais le principal problème c’est qu’on arrive en bout de chaîne éducative. Nos écoles ne peuvent qu’atténuer des biais sociaux qui se génèrent très en amont, dès la maternelle ou le préscolaire. Les grandes écoles mettent beaucoup d’énergie sur l’ouverture sociale, car elles sont conscientes de leur responsabilité sociétale et de l’enjeu de diversité.

Nos écoles ne peuvent qu’atténuer des biais sociaux qui se génèrent dès la maternelle ou le préscolaire.

De nombreuses grandes écoles ont de vraies réussites en la matière, mais nous constatons que nous ne sommes pas toujours audibles sur cette question dans les médias et le grand public, qui se focalisent sur certaines écoles parisiennes alors que les problématiques d’ouverture sociale des écoles de la CGE sont très diverses. Ce qui est important c’est que nous travaillons activement tous ensemble pour pouvoir changer la donne.

Clément Rocher, Dahvia Ouadia | Publié le