Christophe Kerrero (rectorat IDF) : "Les crises démontrent que nous avons plus que jamais besoin de l'École "

Ariane Despierres-Féry, Marine Ilario Publié le
Christophe Kerrero (rectorat IDF) : "Les crises démontrent que nous avons plus que jamais besoin de l'École "
Christophe Kerrero, recteur de la région académique Ile-de-France // ©  HL-KHAIR
Développement de la mixité sociale, École face aux crises, acquisition des savoirs fondamentaux, réforme de la voie professionnelle, mise en place du Pacte, construction de logements étudiants, etc. Pour EducPros, Christophe Kerrero, recteur de la région académique Île-de-France, recteur de l’académie de Paris et chancelier des universités de Paris et d’Île-de-France, revient sur les enjeux en cette rentrée 2023.

Alors que Christophe Kerrero, recteur de la plus grande académie de France, avec 20% des élèves et 25% des étudiants de l'Hexagone, tient ce mercredi 31 août sa conférence de rentrée, il a accordé un entretien exclusif à EducPros sur les enjeux et évolutions qui marqueront cette année 2023-2024 en Île-de-France.

Il revient sur ses actions en matière d'ouverture sociale, d'égalité des chances et de réussite et le déploiement des grandes réformes et politiques au collège, au lycée et lycée professionnel, dans l'enseignement supérieur, mais aussi en faveur des enseignants et personnels de la région académique.

Comment abordez-vous cette rentrée ?

Sereinement, parce que nous la préparons depuis un an déjà. Je voudrais souligner la forme de prouesse que représente le fait d’avoir ce 4 septembre, un professeur devant chaque classe.  

À ce titre, je tiens à rendre hommage à tous les personnels, professeurs comme agents administratifs, qui œuvrent au quotidien, et ont travaillé tout l’été, pour permettre la bonne réussite de la rentrée.  

Comment l’académie va-t-elle réussir à tenir cette promesse d’un professeur devant chaque classe ?

Nous avons fait un travail technique d’estimation des besoins. Nous avons notamment travaillé avec le vivier de contractuels constitué, fidélisé et formé l’an passé. Cela nous permet, aujourd’hui, d’être au rendez-vous de la rentrée.  

À Paris, le nombre d’élèves est en baisse, cela facilite ce travail. La situation est un peu plus tendue dans les académies de Versailles et de Créteil, mais elle l’est moins que l’année dernière, donc je ne doute pas que nous tiendrons cet objectif.  

La jeunesse a été mise à rude épreuve avec les crises successives de ces dernières années. Quel rôle a joué et joue l’Éducation nationale pour accompagner les élèves et étudiants dans ces moments ?

C’est vrai que le pays a traversé de nombreuses crises : Gilets jaunes, crise sanitaire, émeutes, etc. Mais l’École a été au rendez-vous. La France fait partie des pays qui a le moins fermé ses établissements scolaires durant le Covid.  

 L’École a le rôle de permettre à chacun de trouver sa place, de donner du sens à la contribution de chacun à la Nation.

Les crises démontrent que nous avons plus que jamais besoin de l’École face aux immenses défis sociaux, sociétaux, environnementaux, numériques, etc. Une seule réponse possible face à cela : le progrès et la raison promus par l’École républicaine.  

Elle a le rôle de permettre à chacun de trouver sa place, donner du sens à la contribution de chacun à la Nation et c’est ce à quoi nous nous attelons dans l’académie. 

Comment évolue notre modèle républicain dans ce contexte ?

On est en train de passer d’un modèle basé sur la sélection d’une petite élite à un modèle qui ne veut plus sélectionner les meilleurs talents, mais les multiplier. C’est la fin de l’École du tri qui nous prive de talents.  

Tout l’enjeu est de donner plus à ceux qui ont moins.

Cette évolution que nous menons est une excellente nouvelle pour les jeunes. Les défis sont immenses, l’Ecole les accompagne pour se préparer à les relever. 

Quels sont les grands enjeux de cette rentrée pour la région académique Ile-de-France ?

Si l’Ecole ne peut pas tout, elle doit accompagner ce changement. Pour cela, nous travaillons pour assurer la maîtrise des savoirs fondamentaux et notamment de la langue, car sans ce socle, on ne peut pas s’en sortir. Tout l’enjeu est de donner plus à ceux qui ont moins.  

Cela se traduit par le dédoublement des classes en CP et CE1, la mise en place de nouvelles évaluations repères à l’école et au collège pour mieux identifier les difficultés et accompagner les élèves qui en ont besoin, mais aussi la formation des enseignants.  

Un autre enjeu est de proposer des formations qui permettent de progresser toute la vie. Il faut montrer que nous ne sommes pas déterminés dans une voie afin que la reproduction sociale, qui est un vrai mal français, soit dépassée. C’est la fin d’un modèle déterministe où tout était écrit à 25 ans. L’Éducation nationale doit être à la hauteur de cet enjeu.  

Pour répondre à cette mission, quels sont les grands chantiers de cette année au collège ?

Le premier chantier concerne la mise en place des sessions de découverte des métiers à partir de la classe de 5e. En Île-de-France, nous avons 86 collèges expérimentaux, assistés par les équipes de l’académie et l’Onisep Île-de-France, qui vont accompagner la généralisation de ce dispositif.  

Pour cela, nous avons travaillé sur la mise en place des CLEE (comités locaux école-entreprise) qui forment aujourd’hui un réseau d’acteurs de qualité (de la région, des réseaux professionnels, etc.) pour généraliser la découverte des métiers. 

Ce chantier est important, car loin de prédéterminer une orientation, l’objectif est, au contraire, par la découverte des métiers d’ouvrir le champ des possibles. Que les élèves découvrent le plus tôt possible le plus de métiers pour nourrir leur réflexion d’orientation.   

Qu’en est-il de la "nouvelle 6e" ?

Elle est la suite logique de l’enjeu de rendre plus solides les compétences de base : la maîtrise de la langue et des mathématiques. Il y a donc des temps dédiés au soutien et à l’approfondissement des savoirs fondamentaux pour répondre aux besoins des élèves. 

Ces temps s’accompagnent de la généralisation du dispositif "Devoirs faits"dès cette rentrée pour 100% des élèves de 6e et 30% des élèves des autres niveaux. 

Et enfin, nous consolidons le lien entre le primaire et le collège en mobilisant des professeurs des écoles volontaires qui animeront des sessions d’approfondissement et de soutien au collège. C’est notamment ce que permet le Pacte enseignant.

Concernant le Pacte enseignant justement, les professeurs de l’académie de Paris se sont-ils portés volontaires ?

À Paris, nous avons un peu plus de 17% des professeurs du premier degré qui prennent au moins une mission. Dans le second degré, autour de 20% des personnels sont positionnés. Pour l’académie de Créteil dans le premier degrès, on est à 24%.

Ce n’est pas rien et je pense que les professeurs vont aller, petit à petit, vers ces nouvelles missions rémunérées via le Pacte. Surtout que parfois, ce sont des missions qu’ils effectuent déjà. 

Si l’un des enjeux est de mettre fin à un modèle de sélection, la réforme d’Affelnet a-t-elle permis de développer la mixité sociale dans les lycées de la capitale ?

Avant la réforme d’Affelnet, l’académie de Paris était la plus ségréguée de France. L’indice de ségrégation sociale des lycées parisiens étaient 1,2 fois plus élevé que la moyenne nationale et l’indice de ségrégation scolaire était 4,8 fois plus important. 

Aujourd’hui, la réforme a permis de faire baisser la ségrégation sociale de 39% et la ségrégation scolaire de 30%. Si bien que si la première était supérieure de 15% à la moyenne nationale, aujourd’hui, elle est inférieure de 26%. Sans compter que nous ne constatons pas de fuites vers le privé. Donc, cette réforme a donné des résultats spectaculaires et nous en sommes très fiers. 

Qu’en est-il des deux grands lycées parisiens, Louis le Grand et Henri IV ?

Aujourd’hui, les élèves issus de REP+, qui ont des résultats remarquables, ont la possibilité d’entrer dans ces lycées, là où ils ne pouvaient pas les intégrer avant la réforme.  

À Paris, avec la réforme d’Affelnet, nous avons rénové le pacte républicain.

Nous constatons que le nombre de boursiers a plus que doublé dans ces établissements, puisque nous passons de 16 à 30%, tout en conservant la spécificité de ces lycées : être des lycées d’excellence. J’étais soucieux que tous les meilleurs puissent y entrer, ce qui n’était pas le cas jusque-là. Par cette réforme, nous avons rénové le pacte républicain.  

Au lycée, la réforme de la voie professionnelle est le grand sujet cette année...

Sans parler de la réforme, nous partons du constat que dans les trois académies de la région, nous avons une orientation moins importante qu’au niveau national vers la voie professionnelle. Concrètement, nous sommes à 29.2% d'orientation dans cette voie, contre 35% au niveau national. Et c’est encore plus vrai à Paris où l’on plafonne à 24%. 

Pour changer cet état de fait, nous mettons en place une politique volontariste, collaborative - avec la région, les entreprises, les chefs établissement, l’Onisep - et fédérative - avec les CLEE - qui permet d’asseoir les liens entre l’école, les entreprises et les associations. 

Comment cette politique se traduit-elle ?

De manière tangible, à la rentrée, nous avons 60 projets d’ouverture de formation en voie pro, soit près de 500 places supplémentaires, principalement dans trois filières : le BTP, le commerce et le transport logistique.  

Sans faire de "l’adéquationnisme" qui, je pense, est contraire à l’évolution de la société économique, l’enjeu pour la région académique est d’effectuer un travail fin sur les besoins dans les prochaines années pour gérer au mieux les flux d’élèves dans telle ou telle filière. 

Nous travaillons avec le préfet de région et d’autres partenaires pour rattraper le déficit de logements étudiants.

L’avantage, dans notre région, c’est que nous ne manquons pas de ressources. Maintenant, nous devons faire en sorte que l’ensemble des acteurs se rencontrent et œuvrent de concert. 

Et tout ceci, sans oublier d’apporter aux élèves la maîtrise des savoirs fondamentaux pour qu’ils puissent ensuite suivre des formations qui les feront évoluer tout au long de leur vie. 

Pour terminer, quels sont les enjeux dans l’enseignement supérieur francilien ?

Cette année, l'enjeu principal concerne surtout la vie étudiante avec la hausse du montant des bourses, l’augmentation du nombre d’étudiants boursiers et la lutte contre la précarité étudiante avec le maintien du repas à 1 euro et le gel des droits d’inscription. 

Mais il y a aussi un grand enjeu francilien qui concerne la construction de logements étudiants. Nous travaillons avec le préfet de région et d’autres partenaires pour rattraper le déficit de logements étudiants. Je ne peux pas vous en dire plus, pour l’instant. J’espère pouvoir communiquer sur ce plan, dès le mois d’octobre.  

Ariane Despierres-Féry, Marine Ilario | Publié le