J.-L. Dubois-Randé : "Les liens entre facs de médecine et industrie pharmaceutique doivent être plus transparents"

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
J.-L. Dubois-Randé : "Les liens entre facs de médecine et industrie pharmaceutique doivent être plus transparents"
Une vingtaine de formations sur les conflits d'intérêts existent aujourd'hui dans les facs de médecine françaises. // ©  Capture d'écran
Quelle doit être la ligne rouge à ne pas franchir dans les relations entre facultés de médecine et laboratoires pharmaceutiques ? Alors que le premier classement sur ce sujet relance le débat, Jean-Luc Dubois-Randé, président de la Conférence des doyens de médecine appelle à "plus de transparence", tout en estimant que les liens entre laboratoires et universités sont nécessaires.

Jean-Luc Dubois-Randé, Président de la Conférence des doyens de médecineSelon le classement réalisé par Formindep, les facultés de médecine semblent avoir encore peu pris en compte la nécessité de réguler leurs liens avec l'industrie pharmaceutique. Partagez-vous ce constat ?

Le constat général de ce classement est intéressant, même si nous le contestons en partie. Nous admettons tout à fait que, dans certains services hospitaliers, il y a une dérive, un mélange des genres dans les relations avec l'industrie pharmaceutique. Mais les doyens de médecine ne sont pas responsables du fonctionnement de ces services. À l'inverse, les laboratoires sont peu présents dans les facultés. Nous avons néanmoins l'intention d'engager une réflexion avec les hôpitaux afin de garantir l'indépendance des formations.

Pouvez-vous donner des exemples de ce "mélange des genres" dans les services hospitaliers ?

Un certain nombre de réunions de services sont financées par l'industrie. Des petits-déjeuners, des déjeuners ou des conférences à l'issue desquels de la documentation est délivrée sont aussi organisés par les laboratoires. Les étudiants y sont confrontés dès le début de leur formation

Dans ces cas précis, le piège est de penser que l'on peut participer à ces événements sans en subir l'influence, en restant totalement indépendant. Je ne dis pas qu'il ne faut pas y aller, mais il faut avoir conscience que le but des laboratoires est de nous faire prescrire leur médicament. Cette prise de conscience doit nous inciter à se poser les bonnes questions, à lire les études et à se faire un avis par nous-mêmes, un avis par les preuves.

Les auteurs du classement indiquent également que certaines facultés sont financées par des laboratoires. Admettez-vous ces faits et cela vous paraît-il normal ?

Première chose, les budgets des facultés de médecine ne sont pas dépendants des laboratoires, puisque les fonds sont à 90 % publics. J'imagine que la participation financière mentionnée par le classement est liée à la taxe d'apprentissage qui provient de l'industrie en général, et notamment de l'industrie pharmaceutique.

Je ne vois pas pourquoi les facultés devraient se priver de la taxe d'apprentissage provenant des laboratoires.

Franchement, je ne vois pas pourquoi les facultés devraient se priver de ces taxes : ces fonds ne sont pas utilisés pour payer les enseignants-chercheurs ! Dans une période de tension budgétaire, ils sont utilisés par les services administratifs pour acheter des ordinateurs, du matériel... En revanche, je suis entièrement d'accord sur le fait que ces liens doivent être clairement affichés sur le site des facultés, ce qui est rarement le cas.

Estimez-vous que les règles en vigueur imposées aux enseignants en médecine en matière de conflits d’intérêt sont suffisantes ?

Les enseignants-chercheurs en médecine ont déjà l'obligation de rendre publics leurs liens avec l'industrie pharmaceutique : cette mesure, absolument nécessaire, est en train d'être mise en œuvre. Les étudiants doivent savoir si l'on est juge et partie lorsqu'on parle de tel ou tel médicament. Ensuite, il ne faut pas voir le mal partout : beaucoup d'enseignants de premier cycle ne déclarent rien car ils n'ont aucune relation avec l'industrie pharmaceutique !

L'idéal serait que toutes ces informations soient présentes sur le portail des facultés de médecine. L'idée d'une charte sur les conflits d'intérêt me paraît également être une bonne chose et nous sommes tout à fait ouverts pour travailler avec l'Anemf (Association nationale des étudiants de médecine de France) sur ces sujets. De manière générale, il faut plus de transparence !

Il n'y a pas de raison d'interdire aux enseignants en médecine d'avoir des relations avec l'industrie pharmaceutique.

En résumé, vous êtes pour des obligations de transparence mais pas pour l'interdiction de liens avec l'industrie pharmaceutique pour les enseignants ?

Il n'y a pas de raison d'interdire aux enseignants en médecine d'avoir des relations avec l'industrie pharmaceutique. Le monde universitaire doit être en relation avec les laboratoires : pour faire du soin, il faut aussi des traitements. C'est un principe de réalité. L'interférence est nécessaire quand on fait de la recherche et qu'on travaille sur de nouvelles molécules. L'objectif est donc d'être transparent sur ces liens mais en aucun cas de les interdire.

Allez-vous lancer une réflexion pour mettre en place une formation sur les conflits d'intérêt tout au long du cycle ?

Oui, nous allons y réfléchir, même si, contrairement à ce que l'on pourrait penser, une vingtaine de formations spécifiques existent déjà. Cette thématique est régulièrement abordée au cours de la formation, mais sans nécessairement être mise en exergue. Il y a donc aussi un enjeu de formalisation.

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le