S. Hammouche (Mozaïk RH) : "Se former est fondamental mais tout miser sur le diplôme est une erreur stratégique"

Etienne Gless Publié le
S. Hammouche (Mozaïk RH) : "Se former est fondamental mais tout miser sur le diplôme est une erreur stratégique"
Saïd Hammouche, président fondateur du cabinet Mozaïk RH, spécialisé dans les talents issus de la diversité. // ©  Etienne Gless
Saïd Hammouche a créé en 2007 le cabinet Mozaïk RH, aujourd’hui leader du recrutement des diplômés de la diversité. L'ancien fonctionnaire de l'Education nationale lance fin 2015, avec plusieurs dirigeants d'entreprises, la fondation Mozaïk, reconnue d'utilité publique, spécialisée dans les talents issus de la diversité. EducPros l'a interviewé à l'occasion du sommet de l'inclusion économique.

Pourquoi avez-vous lancé, il y a 15 ans, Mozaïk RH, un cabinet de recrutement associatif et de conseil RH spécialisé dans la promotion de la diversité ?

J’ai moi-même grandi et étudié à Bondy en Seine-Saint-Denis. J’étais boursier, j’ai eu très tôt des jobs pour financer mes études - du BTS à mon master en conseil en développement économique. J’ai débuté ma carrière en mission locale avant de passer cinq ans au ministère de l’Education nationale. J'y étais rattaché au rectorat de Paris sur des fonctions de promotion de la formation professionnelle via le réseau des Greta.

Saïd Hammouche, président fondateur du cabinet Mozaïk RH, spécialisé dans les talents issus de la diversité.
Saïd Hammouche, président fondateur du cabinet Mozaïk RH, spécialisé dans les talents issus de la diversité. © Etienne Gless

Cette jeunesse issue de la diversité continue à être discriminée alors qu’elle a envie de réussir par le travail.

J’ai constaté que quand la charte de la diversité a été lancée par Claude Bébéar [l'ancien président d’AXA] en 2005, beaucoup d’entreprises la signaient. En revanche, peu d’entre elles agissaient concrètement en faveur du recrutement de ces jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville, de la diversité, ou des zones de revitalisation rurales.

Comment travaille concrètement votre cabinet ?

Côté candidats, nous guidons les jeunes et les éclairons dans leurs choix d’orientation en leur présentant des secteurs qui recrutent. Côté entreprises, nous sensibilisons les recruteurs à la nécessité de s’intéresser à des publics issus de la diversité et nous les accompagnons. Nous avons 15.000 candidats disponibles actifs sur notre plateforme Mozaïktalents.com. Toute entreprise peut se connecter et identifier les profils dont elle a besoin.

Aux candidats que nous avons accompagnés, nous proposons de venir rencontrer des dirigeants de grandes entreprises. A l’occasion de notre sommet de l’inclusion économique qui s'est tenu le 29 novembre, 300 jeunes talents ont pu rencontrer dix CEO et créer du lien et du réseau avec ces derniers. Pas moins de 600 jeunes diplômés ont aussi participé à un job dating à Bercy au ministère de l’Économie.

Quinze ans après avoir créé ce cabinet, les choses ont-elles progressé ?

Cette jeunesse issue de la diversité continue à être discriminée alors qu’elle a envie de réussir par le travail. Le monde universitaire forme massivement et avec succès des boursiers et des jeunes issus de l’immigration. En revanche, l’arrivée sur le marché du travail reste compliquée comme en attestent les taux de chômage qui restent très élevés.

Le monde universitaire forme massivement et avec succès des boursiers et des jeunes issus de l’immigration. En revanche, l’arrivée sur le marché du travail reste compliquée.

En 2022, dans son rapport consacré au plan "1 jeune 1 solution", la Cour des comptes constate que le taux de chômage des jeunes a baissé de manière globale. Néanmoins, le taux de chômage des jeunes issus des quartiers populaires reste 2,7 fois plus élevé que la moyenne nationale. Et dans l’accès à un premier emploi, les délais se rallongent de 30% pour les jeunes des quartiers ayant au moins le baccalauréat.

Comment les employeurs peuvent-ils améliorer leur recrutement pour être plus inclusifs ?

Il faut arrêter de recruter sur le CV tout simplement ! Si on s’intéressait un peu plus aux aptitudes et au potentiel des individus quel que soit leur parcours de formation, cela irait mieux. J'ai conscience que ce que je dis peut agacer les écoles et les universités mais c’est une réalité. Aujourd’hui se former c’est fondamental, en revanche tout miser sur le diplôme final, c’est une erreur stratégique pour la croissance de notre pays et pour l’épanouissement des futurs collaborateurs.

Dans les années 2000, les grandes écoles - Sciences po Paris en tête - ont lancé des politiques d’ouverture sociale. Ont-elles eu un impact dans les carrières des jeunes diplômés issus de la diversité ?

On ne retrouve pas cette ouverture sociale dans le top management des entreprises du SBF 120 [indice boursier de la bourse de Paris ndlr]. Lors d'une enquête que nous avons réalisée sur les organigrammes de ces 120 plus grandes entreprises capitalistiques en France, nous avons constaté que sur le prisme "minorités ethniques" nous étions à 3,5% de publics représentés dans les "comex", les comités exécutifs ou les conseils d’administration.

Pendant des années, les entreprises expliquaient cela en assurant que les personnes n’étaient pas assez compétentes et formées. Mais aujourd’hui que l’on a des publics formés dans les grandes écoles, qui ont eu des carrières internationales brillantes, on constate que le fossé reste énorme.

Votre fondation Mozaïk est lauréate d'un contrat à impact pour son programme "Parcours inclusion de tous les talents". En quoi consiste ce dispositif ?

Ce contrat représente un budget de 3,4 millions d'euros et va nous permettre de changer d'échelle. Le dispositif vise à prévenir les formes de discrimination à l’emploi. Il permettra aux étudiants boursiers et des quartiers prioritaires de bénéficier d’une aide à l’employabilité tout en étant mis en relation avec des recruteurs.

Plus nous agissons en amont dans le parcours des étudiants, moins le risque de discrimination est élevé.

Plus nous agissons en amont dans le parcours des étudiants, moins le risque de discrimination est élevé. Nous mobilisons les établissements d’enseignement supérieur pour améliorer l’employabilité des étudiants. Nous leur permettons d’anticiper et d’être mieux préparés à la recherche d’emploi grâce à des ateliers d’experts et des outils en ligne. L'objectif est d'accompagner 1.320 bénéficiaires en cinq ans.

L’Etat employeur discrimine-t-il autant que les recruteurs privés ?

L’Etat est très en retard sur ces questions. J’ai le sentiment que la fonction publique est encore assez figée. L’Etat recrute de manière plutôt ouverte sur les fonctions de base (catégorie C et B) où la diversité est au rendez-vous. Mais dès qu’on commence un peu à grimper dans la pyramide, les choses se compliquent pour les postes de haut-fonctionnaire.

Certes la réforme de l’ENA devenue l’INSP ou les Prépa Talents pour que les étudiants boursiers puissent se préparer aux concours de la haute fonction publique sont des avancées mais il faut aller plus loin. Nous allons signer une convention avec le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques pour travailler la question de l’ouverture sociale et de la diversité.

Etienne Gless | Publié le