Christian Forestier : “Le grand oral est l’une des annonces les plus novatrices de la réforme du bac”

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Christian Forestier : “Le grand oral est l’une des annonces les plus novatrices de la réforme du bac”
Pour Christian Forestier, la réforme du bac ne conduira pas "à un grand soir du lycée général que personne ne souhaite vraiment". // ©  Nicolas Tavernier/REA
Pourquoi la réforme du bac semble-t-elle aujourd’hui possible quand nombre de réformes précédentes ont échoué ? Acteur et observateur des politiques éducatives depuis les années 1980, l’ancien recteur Christian Forestier analyse pour EducPros les réformes du baccalauréat et du lycée général présentées par Jean-Michel Blanquer le 14 février 2018.

La réforme du bac peut-elle réussir aujourd’hui ?

Le baccalauréat général actuel date de 1995. Depuis plus de vingt ans, les séries technologiques et professionnelles ont connu plusieurs ajustements et même, s’agissant des séries professionnelles, des réformes d’ampleur avec la mise en place d’une dose importante de contrôle continu. Tout est possible en matière de baccalauréat technologique et/ou professionnel mais dès que l’on essaie de faire évoluer le baccalauréat général, les faiseurs d’opinion s’enflamment, en véhiculant l’angoisse de la perte d’un marqueur transgénérationnel précieux pour la sauvegarde des élites issues des milieux favorisés.

Christian Forestier
Christian Forestier © Photo fournie par le témoin

Les voies technologiques et professionnelles ont pour rôle de préserver la voie générale de la pollution de la démocratisation. Alors dans ces conditions Jean-Michel Blanquer peut-il réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ? Probablement oui, et il faut s’en réjouir, en remarquant tout d’abord qu’en vingt ans les tentatives de réformes de la voie générale ont été plutôt modestes et en prenant en compte le fait qu’il arrive dans un contexte politique favorable aux réformes. Par ailleurs, ses propositions sont plutôt consensuelles dans le monde médiatique, sans conduire à un grand soir du lycée général que personne ne souhaite vraiment.

Quels freins voyez-vous à la mise en œuvre du contrôle continu au baccalauréat et au choix d’un nombre restreint de disciplines pour l’examen final ?

Bien évidemment il retrouve sur sa route, parmi les syndicats enseignants les moins réformistes, ceux qui sont traditionnellement hostiles à tout changement autre que l’injection de postes supplémentaires, rejoints par les associations de spécialistes. Ces associations lobbyistes se sont, presque toutes, donné pour mission de préserver pour leur discipline un volume horaire par définition insuffisant, l’exigence d’être enseignée à tous, une épreuve terminale écrite toujours plus prestigieuse qu’un oral, surtout si c’est sous la forme d’une dissertation, et enfin un coefficient qui ne peut qu’être trop faible. Rien de bien nouveau sous le soleil !

Quel sera le relais médiatique de ces forces conservatrices ? On peut penser que cette fois-ci, la liaison ne devrait pas s’opérer. Le ministre a fait preuve d’une grande prudence en ne touchant ni à la philosophie, ni à l’histoire-géographie. Il a pris un petit risque en ne cédant pas aux mises en demeure des sciences économiques et sociales, mais il est regrettable qu’il ait été obligé d’accepter qu’un nombre important de bacheliers généraux cesse tout enseignement de mathématiques après la seconde. Cela devrait nous inquiéter, surtout en pensant aux futurs professeurs des écoles.

Les propositions [de Jean-Michel Blanquer] sont plutôt consensuelles dans le monde médiatique, sans conduire à un grand soir du lycée général que personne ne souhaite vraiment.

Que pensez-vous des garde-fous instaurés pour la mise en œuvre du contrôle continu (banque nationale de sujets, copies anonymes) ?

Le ministre n’avait pas le choix. Il y a une idée très ancrée chez nos concitoyens selon laquelle il y aurait l’égalité de tous les candidats dans le cadre d’une épreuve terminale unique, avec en prime un même sujet sur tout le territoire de la métropole. Face à cet argument, qui peut très facilement être contesté, mais auquel presque tout le monde fait semblant de croire, les garde-fous proposés par le ministre devraient permettre de répondre aux opposants les plus actifs.

Mais bien évidemment cela n’ira pas dans le sens de la simplification. Je rappelle que, pendant les années APB [Admission postbac], les admissions les plus sélectives (CPGE, IUT, STS…) étaient prononcées avant la connaissance des résultats de l’examen, ce qui veut bien dire que l’on connaît plutôt bien le fonctionnement des établissements, publics et privés, et que l’examen ne modifie guère ce que l’on sait de nos lycéens. Mais j’ai bien conscience du caractère inaudible de tels propos, d’où mon regret de la part modeste laissée au livret scolaire.

Des critiques s'élèvent pour dénoncer le caractère inégalitaire de l'évaluation à travers un grand oral. Qu'en pensez-vous?

Pour moi, l’idée du grand oral est l’une des annonces les plus novatrices de ce projet. On commence avec ce grand oral, sous réserve de voir sa mise en œuvre, à faire évoluer notre lycée vers une formation moins scolaire, laissant plus de place au travail personnel et valorisant la maturité de nos élèves ; c’est certainement une meilleure préparation à l’enseignement universitaire. Quant à son prétendu caractère inégalitaire, j’aimerais voir des études scientifiques sérieuses plus que des affirmations péremptoires. Ce grand oral sera aussi ce que les enseignants en feront.

On commence avec ce grand oral […] à faire évoluer notre lycée vers une formation moins scolaire, laissant plus de place au travail personnel et valorisant la maturité de nos élèves.

J’ai envie de rappeler qu’il y a plus de soixante ans, deux des plus grands administrateurs de notre école, Gaston Berger et le recteur Capelle, ont mis en place une mode de sélection pour entrer en école d’ingénieurs qui se substituait au concours à la française qu’ils jugeaient trop inégalitaire. C’était pour intégrer l’Insa de Lyon et la sélection se faisait sur livret scolaire et un oral devant trois personnes dont une n’était pas enseignante. Avec ce modèle, l’Insa de Lyon est devenu alors l’école d’ingénieurs accueillant la plus forte proportion d’élèves d’origine modeste. Autre idée intéressante, celle d’un enseignement dit d’“humanités scientifiques et numériques”, là encore sous réserve de voir le contenu et de savoir qui en aura la responsabilité.

Cette réforme représente-t-elle, selon vous, un levier d’économies budgétaires ?

Bien au contraire, si je devais exprimer une réserve par rapport aux propositions actuelles, c’est bien qu’elles ne remettent pas en cause le coût de notre lycée, qui est l’un des plus chers du monde. Or, s’il existe des niveaux d’enseignement où des moyens nouveaux pourraient être injectés, c’est bien dans notre enseignement primaire et au collège, ainsi que dans le cycle licence de l’enseignement universitaire, mais certainement pas dans le lycée général.

Comment analysez-vous la place du lycée technologique dans le rapport Mathiot puis dans la réforme ?

Il était normal que le rapport Mathiot n’aborde pas la voie professionnelle, bien plus moderne déjà que la voie générale, mais c’est moins normal de n’avoir pas été plus prospectif sur la voie technologique. Cette voie est une spécialité bien française, héritière de notre ancien enseignement technique quand l’Éducation nationale ignorait l’enseignement professionnel. Il faut aujourd’hui prendre en compte le fait qu’il est absolument nécessaire que cette voie ouvre les mêmes chances de réussite dans l’enseignement supérieur que la voie générale, d’où la nécessité de poursuivre le rapprochement des deux voies qui doivent être plus complémentaires que parallèles.

Si je prends l’exemple de ce que je connais le mieux, c’est à dire les sciences de l’ingénieur, il est impératif de développer à la fois leur enseignement chez les bacheliers généraux soucieux de faire des études scientifiques, et dans une série technologique pratiquant une pédagogie moins conceptuelle. Il y a longtemps que le monde anglo-saxon a réalisé la fusion des deux approches, une des plus grandes universités américaines s’appelle d’ailleurs MIT (Massachusetts Institute of Technology).

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