Parcoursup : des enseignants-chercheurs se mobilisent contre la réforme

Laura Taillandier Publié le
Parcoursup : des enseignants-chercheurs se mobilisent contre la réforme
L'université Bordeaux Montaigne ne classera pas les candidatures des lycéens dans Parcoursup // ©  Université Bordeaux Montaigne
Alors que le mouvement étudiant s'amplifie, des enseignants-chercheurs refusent de trier les dossiers dans Parcoursup. Par opposition à la réforme ou pour protester contre une charge de travail "inutile" dans les filières qui ne sont pas en tension, comme à Bordeaux-Montaigne, dont la présidente affiche cette "position éthique et pragmatique".

"À tous ceux qui refuseront de répondre 'oui si', ils regarderont leurs étudiants en face et ils leurs expliqueront comment ils ont pu refuser de mettre en place des parcours pour les aider." Ce tacle de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, lors des questions au gouvernement, mercredi 4 avril 2018, est adressé aux enseignants-chercheurs qui refusent de trier les dossiers dans les universités.

Selon le Snesup, environ 70 UFR ou départements d'université se sont engagés dans cette voie : dire "oui" à l'ensemble des candidats et ne pas classer les dossiers des lycéens dans Parcoursup ou uniquement par ordre alphabétique.

À Bordeaux 3, un choix "éthique et pragmatique"

C'est le choix de Bordeaux 3. La présidente de l'université a acté cette "prise de position" de l'établissement dès le début du mois de mars dans un message adressé aux personnels. Dans les filières qui ne seront pas en tension, "nous avons collectivement décidé d’ouvrir largement nos capacités d’accueil, afin de répondre à la hausse démographique et d’accueillir tous les étudiants", explique Hélène Velasco-Graciet. "Nous ne classerons pas les dossiers d’étudiants dans ces filières. Il en va d’une position à la fois éthique et pragmatique", justifie-t-elle.

Dans un communiqué diffusé jeudi 5 avril 2018, la présidente souligne toutefois que la plate-forme Parcoursup ayant été conçue en rendant obligatoire le classement des candidatures, "l’université Bordeaux-Montaigne, comme d’autres établissements, travaille actuellement avec le ministère pour lever cette contrainte."

"Du surbooking"

Concrètement, "nous allons augmenter sur Parcoursup la donnée d'appel pour faire du surbooking", expose Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque à l'université Bordeaux-Montaigne, également élu Snesup. Et de prendre pour exemple son département d'histoire : "Nous avons 650 places pour 2.422 demandes. Si nous renseignons la plate-forme, les élèves seront automatiquement mis en attente à partir de la 651e place. Pourtant, nous savons bien, qu'au final, nous pourrons tous les accueillir. Avec notre paramétrage, chaque candidat recevra un 'oui'." L'établissement doit encore décider si les élèves seront rentrés par ordre alphabétique dans Parcoursup. "Ce serait un affichage politique fort", souligne l'élu.

Pourquoi un tel choix ? "Cela va à l'encontre de notre pratique concrète du métier d'enseignant. En histoire, cette année, les trois étudiants qui réussissent le mieux ont tous un parcours atypique : DAEU (Diplôme d'accès aux études universitaires), réorientation..." argumente Christophe Pébarthe.

Ne pas recourir au classement ne signifie pas pour autant qu'il n'y aura pas de "oui, si" dans l'établissement. "C'est encore en débat. Comme le ministère a promis des moyens financiers, certaines formations hésitent là où des dispositifs de remédiation existent déjà." "Mais, si on affiche des 'oui, si', cela signifiera-t-il que l'on affiche que l'on applique la réforme ?" s'interroge-t-il.

En histoire, cette année, les trois étudiants qui réussissent le mieux ont tous un parcours atypique.
(C. Pébarthe)

À Paris 1, grève des personnels

Du côté de l'université Panthéon-Sorbonne, bastion du mouvement étudiant dans la capitale, les personnels ont décidé de faire monter la pression d'un cran. Alors que des étudiants opposés à la réforme bloquent de manière illimitée le site de Tolbiac, personnels et administratifs, réunis en AG, ont décidé, eux, d'appeler à la grève.

"Nous sommes plus que jamais déterminés à obtenir le retrait de la loi et de tout ce qui en découlera : révision de l'arrêté licence et du statut des enseignants-chercheurs", déclare Annliese Nef, maître de conférences à Paris 1 et membre du Snesup. Pour le moment, cette grève court du vendredi 6 au lundi 9 avril ; date à laquelle est programmée une nouvelle assemblée générale.

Dans l'établissement, plusieurs départements, comme ceux de géographie et d'AES (administration économique et sociale), ont également manifesté leur intention de ne pas classer les dossiers des lycéens. En AG, les enseignants ont débattu de l'opportunité de la rétention des notes mais n'ont pas tranché.

Une charge de travail "inutile"

Selon le Sgen-CFDT, dans l'ensemble des universités, l'état d'esprit des enseignants est plus contrasté. La majorité des enseignants est "dans l'expectative". "Ils portent un regard plutôt favorable sur la réforme mais ils veulent voir maintenant quelles seront les conséquences sur leurs conditions de travail", décrypte Franck Loureiro, le cosecrétaire général du syndicat. À cette majorité, s'opposerait deux autres extrêmes : une minorité très opposée à la réforme et, à l'inverse, une seconde déçue du Plan étudiants sur la question de la sélection.

En revanche, pour le secrétaire général du Snesup-FSU, Hervé Christofol, l'opposition à la réforme "monte" dans l'ensemble des enseignants, "parce que l'on rentre dans le dur des commissions de vœux". "Elles vont à l'encontre des valeurs des enseignants et c'est une charge de travail inutile dans la plupart des cas", analyse-t-il.

Une charge de travail liée à la fin de la non-hiérarchisation des vœux des lycéens. "Nous inaugurons Parcoursup dans des conditions difficiles. La masse des dossiers reçue conduit à un traitement mécanique via l'outil d'aide à la décision mis à disposition par le ministère. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisions de son fonctionnement..." pointe Stéphane Leymarie, le secrétaire général de Sup Recherche Unsa.

On peut craindre que le désinvestissement sur les missions pédagogiques ne s'aggrave.
(S. Leymarie)

Reconnaître les nouvelles missions des enseignants

Selon le syndicaliste, les personnels seraient davantage "désemparés" qu'opposés à la réforme. "Ils croulent sous les injonctions dans un calendrier contraint mais ils bossent car ils ont envie que ça marche, observe Stéphane Leymarie. Ils sont aussi lassés d'assumer toujours plus de missions sans reconnaissance dans la progression de leur carrière." "On peut craindre que le désinvestissement sur les missions pédagogiques s'aggrave", ajoute-t-il.

C'est dans ce contexte tendu que, jeudi 29 mars 2018, la ministre a ouvert la concertation sur la reconnaissance de la mission de formation des enseignants. Pour Frédérique Vidal, si cette question "complexe et délicate", "n’est pas nouvelle", elle mérite d'être posée dans le contexte du Plan étudiants et de la réforme, avec la personnalisation des parcours et l’accompagnement des étudiants.

"Cette reconnaissance, je souhaite (...) qu’elle s’exprime sur tous les plans : réglementaire, indemnitaire, mais également dans les recrutements, les carrières et dans les esprits, afin que les deux missions cardinales de recherche et de formation puissent être prises en compte", a-t-elle détaillé. Plusieurs syndicats, dont le Snesup-FSU, ont choisi de claquer la porte des discussions jeudi pour protester contre la réforme. Une manifestation nationale des enseignants aux côtés des organisations de jeunesse est fixée au 10 avril.


Un nouveau régime indemnitaire en perspective

La ministre souhaite démarrer la concertation sur la reconnaissance des missions d'enseignants-chercheurs par le volet indemnitaire, avec un travail autour de la prime de responsabilités pédagogiques, qui pourrait être élargie afin d’inclure l’investissement des enseignants. Ou la création d’une prime dans une logique semblable à celle de la PEDR. Frédérique Vidal souhaite aussi se baser sur l'enveloppe indemnitaire du Plan étudiants. "En 2018, vous le savez, c’est un peu moins de 8 millions d’euros qui ont été dégagés à ce titre. Cet effort sera poursuivi en 2019 et sur le quinquennat. L’enjeu, c’est donc de basculer d’une logique d’enveloppe ouverte sur 2018 à une structuration d’un dispositif indemnitaire en 2019", a-t-elle détaillé. Une première étape "pas très encourageante" pour Stéphane Leymarie. "La question de la carrière, ce n'est pas uniquement une question d'indemnisation, sinon comment chiffrer le prix du sacrifice dans la carrière ?"

Laura Taillandier | Publié le