Paul Cassia : "La gestion des inscriptions à l’université n’est pas une science exacte"

Laura Taillandier Publié le
Paul Cassia : "La gestion des inscriptions à l’université n’est pas une science exacte"
Amphi d'étudiants de l'université Paris-Est Créteil. // ©  UPEC / Nicolas Darphin
Des prérequis identiques pour chaque formation, une procédure APB resserrée, une sélection des bacheliers techno et pro... Paul Cassia, professeur de droit à Paris 1 et auteur de "Sélectionner à l'entrée de l'université. Oui mais comment ?", liste des pistes de réforme de l'entrée à l'université. Et regrette le manque de cap politique donné par le gouvernement pour la concertation en cours.

Paul Cassia, professeur de droit à l'université Paris 1 Panthéon-SorbonneQuel regard portez-vous sur la concertation ouverte par le ministère ?  

Un regard bienveillant pour reprendre un terme à la mode depuis la campagne présidentielle – mais attentif. La concertation est toujours une bonne chose à condition qu'elle débouche sur des solutions concrètes. Or, il y a urgence ! L'année universitaire s'organisant à partir de janvier pour les futurs bacheliers, il faut des discussions rapidement productives. Ce chantier prioritaire aurait pu être ouvert dès juin, dès lors que la ministre de l'Enseignement supérieur connaît parfaitement le sujet puisqu'elle était présidente d'université avant d'entrer au gouvernement. 

De plus, l'organisation en 11 groupes de travail laisse craindre que la concertation ne se transforme en usine à gaz ou en faux-semblant. L'exécutif, qui ne cesse d'en appeler à l'"efficacité", aurait dû donner aux groupes de travail un cap politique, des indications précises, des orientations sinon une vision qu'ils auraient ensuite cherché à mettre en œuvre.

La ministre de l'Enseignement supérieur a tout de même affirmé son souhait d'instaurer des prérequis à l'entrée en licence. Selon vous, quels pourraient-ils être ? 

Cette instauration est souhaitable et en tout état de cause infiniment préférable à la sélection aveugle actuelle par tirage au sort. Toutefois, la notion de prérequis est très floue et peut donner lieu à beaucoup d'interprétations. La première étape est de savoir si l'on souhaite des prérequis nationaux ou locaux. Je pense qu'ils devraient être identiques par chaque formation : en droit, en économie, en sport... Cette uniformité formelle et substantielle permettrait d'éviter une concurrence entre universités. Pour autant, celles-ci devraient pouvoir continuer à mettre en place des formations spécifiques avec leurs propres prérequis comme les parcours actuellement sélectifs de L1.

L'organisation en 11 groupes de travail laisse craindre que la concertation ne se transforme en usine à gaz.

Une fois cette question résolue, il faut s'interroger sur le contenu. Un éventail très large des prérequis est disponible tels les résultats scolaires ou l'investissement extrascolaire... À cet égard, je suis favorable à ce que l'on aille au-delà des résultats pour encourager les lycéens à diversifier leurs parcours et ouvrir leurs esprits. Il me paraît valorisant pour les élèves de terminale de prendre en compte comme critère de tri des vœux d'inscription en licence leur participation à des compétitions sportives pour les Staps ou l'engagement militant et associatif en sciences politiques. 

Qu'entendez-vous par résultats scolaires : les notes au baccalauréat ou le contrôle continu en première et terminale ?

Tout dépend du calendrier que le gouvernement fixera pour la procédure APB. Si l'on prend en compte dans les prérequis les notes obtenues au baccalauréat, APB ne pourra opérer un choix entre les vœux qu'au moment de la publication des résultats en juillet. C'est, selon moi, la bonne option pour redonner du sens au baccalauréat et à travers lui au mérite scolaire. 

L'autre question qui se pose est celle du "tuilage" entre l'acceptation des vœux sur APB et l'inscription à l'université. Existe actuellement une période d'"apesanteur" néfaste à la bonne gestion des inscriptions en première année de licence : les élèves qui ont vu leurs vœux acceptés en mai-juin ont jusqu'à fin septembre, parfois octobre, pour s'inscrire. Impossible dans ces conditions pour les universités de savoir en temps utile si leur capacité d'accueil est atteinte ou non. Il faut resserrer ce calendrier et fixer une date limite d'inscription administrative qui permette de mieux gérer la situation des filières "en tension". 

Faut-il selon vous en finir avec APB ? Profiter de cette négociation pour faire table rase de la procédure ou au contraire l'améliorer ?

La plate-forme dématérialisée est en elle-même un bon outil, mais qu'il convient d’actualiser au vu des textes juridiques et de la pratique – comme toute application informatique. Le ministère a annoncé son intention de changer le nom de l'application car elle véhiculerait une mauvaise image : l'avenir dira si ce changement sera ou non uniquement cosmétique. Cela étant, APB fonctionne aujourd'hui sans base juridique solide. La très lapidaire circulaire prise en janvier 2017 par le ministère n'est pas suffisante. Il faut en appronfondir le contenu. APB comporte un guide sur les droits et devoirs de l'utilisateur qui devrait figurer dans le texte réglementaire.

APB fonctionne aujourd'hui sans base juridique solide.

De plus, on a vu cette année que le fléchage en "pastilles vertes" des formations moins "en tension" a connu des aléas, qui font douter de son utilité : la gestion des inscriptions à l’université n’est pas une science exacte ! Il serait en revanche utile d’afficher sur APB les statistiques des années précédentes pour chacune des formations proposées (les places offertes, le nombre de vœux formulés...). Il faut également limiter le nombre de vœux possibles – 24 actuellement, ce qui est aberrant et même totalement angoissant pour les élèves de terminale. 

Que pensez-vous de l'idée de créer une nouvelle filière pour les bacheliers professionnels ? Quelle peut être la solution pour ces étudiants au fort taux d'échec en licence ?

Dans l’intérêt même des bacheliers professionnels et technologiques, les licences universitaires doivent être en principe accessibles aux bacheliers généraux.  Par exception, un certain nombre de places (environ 5 %) pourraient leur être réservées. C'est l'université qui sélectionnerait ces étudiants dans le cadre d'une procédure complémentaire, sur dossier et entretien. Cette sélection permettrait de vérifier leur motivation et de les renseigner concrètement sur les méthodes d’enseignement à l’université et les exigences attendues des étudiants de première année de licence. 

Autant il serait injuste de fermer définitivement les portes des licences aux bacheliers professionnels et technologiques, autant il convient d'avoir à l’esprit que leur parcours scolaire ne les destine pas de prime abord à l'université – ce qui n’a rien de dramatique. Quant à créer une ou des nouvelles filières de licence pour les bacheliers non généraux, cela suppose des moyens financiers et des locaux supplémentaires.

Autant il serait injuste de fermer définitivement les portes des licences aux bacheliers professionnels et technologiques, autant il convient d'avoir à l’esprit que leur parcours scolaire ne les destine pas à l'université.

Vous évoquez dans votre livre le contournement des décisions APB par des "inscriptions sauvages". Ce phénomène concerne-t-il aujourd'hui beaucoup d'étudiants ? 

Il faut effectivement avoir à l'esprit qu'APB n'est pas la seule voie d'inscription à l'université. Les inscriptions sur passe-droit sont un phénomène difficilement quantifiable, dont on ne parle guère, peut-être parce qu’il concerne surtout certaines formations de certaines universités parisiennes très demandées. Elles sont à la discrétion du directeur de la composante, du président d'université et d'une certaine manière du recteur qui peut faire pression sur les autorités universitaires. 

Il arrive que des élus, des collègues universitaires, voire même des organisations étudiantes qui s’affichent officiellement contre la sélection, "recommandent" une inscription qui n’a pas été satisfaite par APB. Ces "recommandations" ne sont pas nécessairement suivies d’effet, et il est possible et même bienvenu au regard du principe d’égalité de traitement d’y opposer un refus poli, si la capacité d'accueil est atteinte à l'issue de l'affectation des vœux par APB : tout dépend de la personnalité et de la politique des autorités universitaires à cet égard.

Un autre "phénomène", celui des "étudiants fantômes", est régulièrement soulevé. Est-il réellement significatif ?

Ce phénomène des étudiants qui font une inscription purement administrative en première année de licence existe – les enseignants et les agents de la scolarité le constatent à chaque session d’examens –, mais je ne suis pas en capacité de le chiffrer. L'université est désarmée face à ce phénomène, car, sauf s’il le demande explicitement, un étudiant ne peut être "désinscrit" même s'il ne vient pas aux examens ou ne suit pas les cours. Il faut réfléchir à la manière de gérer ce problème, en imaginant par exemple qu'un étudiant puisse ne pas bénéficier d’un droit à réinscription s’il ne s’est pas présenté aux examens ou s’il n’a pas suivi, sans justification préalable, un certain nombre de séances de TD. Pour l'instant, il est déclaré défaillant, mais reste inscrit. Il me semble que l’exigence de prérequis permettrait de limiter ce phénomène d'évaporation instantanée.

Que répondez-vous aux organisations qui s'opposent à l'idée d'une sélection et plaident pour une augmentation des places en adéquation avec la demande ?

On en revient à la question des locaux. Ces derniers ne sont pas extensibles d'une année sur l'autre. De plus, beaucoup d'étudiants redoublent, voire triplent ou quadruplent. Ce sont autant de places qui ne peuvent être proposées à des nouveaux bacheliers motivés et méritants. En tout état de cause, l’augmentation des places à l’université ne peut être décidée sans que soit prise en compte la situation du marché du travail pour telle ou telle filière : il n’y a pas d’intérêt, au contraire, à avoir des diplômés en surnombre au regard des perspectives d’emploi offertes par telle ou telle formation. 


"Sélectionner à l'université. Oui mais comment ?"
Paul Cassia, professeur de droit public à l'université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, est l'auteur de "Sélectionner à l'entrée de l'université. Oui mais comment ?". Ce livre de 96 pages est paru en 2017 aux éditions LGDJ (19 euros). 
Laura Taillandier | Publié le