Comment les universitaires étrangers voient la crise dans les facs françaises

De notre envoyée spéciale au colloque de l'EUA, Maëlle FLOT Publié le
Comment les universitaires étrangers voient la crise dans les facs françaises
Manifestation du 24 mars 2009 (Paris) // © 
Un sentiment d’incompréhension. Telle est la réaction la plus communément partagée par les universitaires étrangers face à la crise qui secoue depuis deux mois les universités françaises. Réunis à Prague du 19 au 21 mars 2009, pour la 5ème convention de l’association européenne des universités (EUA), quelque six cents responsables sont venus débattre des « nouveaux défis à relever pour les établissements d’enseignement supérieur » et notamment des stratégies européennes mises en œuvre. Il y a été question des collaborations avec les entreprises, de la gouvernance des institutions, des programmes doctoraux, de l’internationalisation et de la création de campus off-shore, etc. Autant de questions très éloignées de ce qui se joue actuellement sur les campus français.

« J’ai de la peine à comprendre ce qui se joue en France, reconnaît Jean-Marc Rapp, le nouveau président de l’EUA. La loi sur l’autonomie votée en 2007 est considérée en Europe comme une bonne réforme ». Cet ancien recteur de l’université de Lausanne avait « l’impression que la loi pouvait passer sans psychodrame ».

Aujourd’hui, il se dit « désolé de voir un pays voisin s’enliser dans de telles difficultés. Le fait que l’autonomie d’un établissement s’accompagne d’une gestion de ses ressources humaines me paraît naturel. Et c’est ce qui se pratique quasiment partout en Europe ! ».

"La loi sur l’autonomie, la LRU, allait dans la bonne direction"

 
Pierre de Maret, le recteur de l’université libre de Bruxelles, partage cette analyse. « L’amalgame entre plusieurs réformes » expliquerait, selon lui, l’ampleur de la crise universitaire actuelle. Cet ancien membre du board de l’EUA voit aussi dans cette mobilisation une « résurgence de la culture française de la contestation ».

Membre des conseils d’administration (en tant que personnalité extérieure) des universités de Paris 6 – UPMC et de Lille 2, évaluateur pour l’AERES (notamment du Collège de France), il considère que « la loi sur l’autonomie, la LRU, allait dans la bonne direction. Il y a peut être eu une communication insuffisante notamment concernant le processus de Bologne. Ce processus a pu être présenté comme allant dans le sens d’une libéralisation de l’enseignement supérieur, ce qu’il n’est pas. Par ailleurs, quand il y a des débordements, j’aimerais savoir combien de personnes sont réellement des étudiants. L’internationalisation des universités fait peur à un certain nombre de gauchistes ».

« Je ne vois pas où est réellement l’autonomie des universités françaises »

« Votre loi LRU ne donne pas l’autonomie aux universités comme on l’entend chez nous, estime Eva Egron-Polak, la secrétaire générale de l’IAU, l’association internationale des universités. Comment parler d’autonomie lorsque les établissements ne peuvent ni sélectionner leurs étudiants, ni gérer comme ils l’entendent leurs personnels ? ».

Cette citoyenne canadienne observe ainsi avec incrédulité le mouvement des enseignants-chercheurs : « on peut ne pas être fonctionnaire et avoir une véritable garantie d’emploi, comme c’est le cas aux Etats-Unis ou au Canada, quand un enseignant devient « tenure ». Il y a aussi cette idée que tous les établissements doivent exceller en tout, or c’est bien entendu impossible ».

« Aujourd’hui, quel que soit l’établissement que je visite dans le monde, sa communication portera invariablement trois termes : « excellence », « global » et dans une moindre mesure « access » [Ndlr : ouverture sociale]. Mais tout le monde ne peut faire la même chose. »

« Voulons-nous vraiment que toutes les universités soient d’un niveau mondial ? Les universités de proximité jouent un rôle social, économique et culturel tout aussi important que les grands établissements figurant au classement de Shanghaï, mais cela, beaucoup de gouvernements ne veulent pas l’entendre. Ce phénomène m’inquiète car les nouveaux modes d’allocation des moyens aux universités sont basés de plus en plus sur des critères compatibles avec celle d’un rang mondial, et les autres ? », s'interroge Eva Egron-Polak.

Plaidoyer pour la diversité des structures universitaires

 
« A vouloir traiter tout le monde sur un pied d’égalité, le système français crée des inégalités, renchérit Pierre Espinasse. Ce Français travaille depuis une vingtaine d’années à Oxford. Aujourd’hui à la tête d’une cellule de valorisation (Head RS Science area & associate Director Knewledge Exchange), il observe avec circonspection la politique du gouvernement travailliste menée depuis dix ans outre-Manche, une politique qui a consisté à vouloir porter 50 % d’une classe d’âge à un diplôme universitaire. « Le gouvernement parle de quantité mais il devrait davantage s’interroger sur la qualité ».

Ce Français d’Oxford reconnaît néanmoins que le modèle anglo-saxon est allé parfois trop loin comme avec le Research assessment exercice (RAE). Les critères mis en place par ce système d’évaluation de la recherche ne prennent pas assez en compte la diversité des établissements et fragilisent les plus petits, avec des conséquences parfois dramatiques en matière de financement.

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