Crise du modèle universitaire français : les solutions du Cercle des économistes

Jean-Paul Pollin Publié le
Crise du modèle universitaire français : les solutions du Cercle des économistes
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Alors que les réformes de Valérie Pécresse sont contestées depuis deux mois sur les campus, Le cercle des économistes sort, le 25 mars 2009, aux PUF (Presses Universitaires de France) une compilation d’articles sous le titre « Universités : nouvelle donne ». Parmi ses auteurs, la plupart ont inspiré certaines des mesures fondant la loi sur l’autonomie d’août 2007. Des économistes comme Jean-Paul Pollin, Dominique Roux, Jean-Luc Gaffard ou Jean-Hervé Lorenzi apportent cette fois leur analyse sur « la crise du modèle universitaire français ». En avant-première, les "bonnes feuilles" de cet ouvrage polémique.

Compétition internationale, carte universitaire, autonomie et gouvernance des établissements, sélection ou orientation des étudiants, professionnalisation des formations, place de la recherche et nouveaux moyens : autant de points stratégiques pour mettre en perspective – dans une vision essentiellement libérale - les réformes en cours dans les universités. Et dont certaines prises de position risquent de faire grincer des dents alors que les campus sont toujours pour beaucoup mobilisés.

Nous avons choisi de mettre en avant les propositions de Jean-Paul Pollin, coordinateur de la publication. Ce professeur de sciences économiques à l’université d’Orléans y dessine sa carte universitaire recentrée sur une trentaine de campus. Une vision qui ne remet pas en question les objectifs du gouvernement mais ses moyens, avec notamment les PRES.

"Définir les principes directeurs d’une carte universitaire plus réaliste"

La clarification des missions des universités passe par l’élaboration d’une carte ou d’un schéma d’ensemble, précisant le rôle que les différents établissements sont appelés à jouer. Car il est bien évident que les quatre-vingt-dix universités qui existent aujourd’hui en France ne peuvent prétendre tenir la même place et exercer les mêmes fonctions.

Il est déraisonnable et/ou hypocrite d’affirmer que chacune d’entre elles doit avoir les mêmes ambitions aux plans de l’enseignement et de la recherche. Ce n’est pas nécessairement une question de hiérarchie, c’est plutôt qu’il faut mettre en cohérence les avantages comparatifs des différents établissements. En ce sens, on va essayer de définir les principes directeurs d’une carte universitaire plus réaliste. On discutera ensuite des conditions de sa construction et de sa mise en œuvre.

"L’existence d’environ quatre-vingt-dix universités sur le territoire est naturellement une aberration"

L’existence d’environ quatre-vingt-dix universités sur le territoire est naturellement une aberration qui ne s’explique que par l’impuissance des ministères successifs face aux pressions des élus, accentuée par les dérives de la décentralisation. Cela a conduit à disperser de façon contreproductive des moyens globalement insuffisants. Et la relative démocratisation de l’enseignement supérieur induite par cette politique de proximité aurait pu être obtenue moins coûteusement par un moindre éparpillement des universités compensé par une augmentation des bourses d’études, une extension des résidences universitaires…

Il faut admettre qu’il ne peut y avoir d’université de plein exercice en dessous d’une certaine taille critique. Car, tant du point de vue de l’enseignement que de celui de la recherche, l’université, c'est avant tout une vie intellectuelle faite d’échanges suffisamment divers à l’intérieur de chaque discipline et entre disciplines. Il ne peut y avoir, non plus, d’activité scientifique féconde sans que se côtoient en un même lieu (soulignons bien : en un même lieu ou sur un même site) des chercheurs qui discutent, s’informent mutuellement, se questionnent, développent des activités communes. Cela ne s’accorde pas avec l’implantation de centres universitaires de proximité dans chaque coin du territoire.

"Reconnaître qu’une université de plein exercice doit posséder une taille critique ne saurait justifier la course au gigantisme"

Cela dit, le modèle qui semble avoir aujourd’hui la préférence des décideurs est tout aussi discutable. Car voici qu’après avoir favorisé l’émiettement universitaire, au nom de l’aménagement du territoire, on entend désormais privilégier l’émergence d’une quinzaine de pôles ou de grands établissements, au nom de l’excellence. Leur constitution est considérée comme nécessaire à la reconnaissance scientifique et à la visibilité internationale de l’université française. Et l’on présente ce modèle comme le seul qui vaille et qui ait fait ses preuves dans les autres pays. Cela se ferait en organisant des rapprochements entre universités au sein de Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (des PRES) et en distinguant certains d’entre eux qui se trouveraient mieux dotés.

Or cette proposition est pour le moins suspecte. Car si la taille se mesure au nombre d’étudiants, l’argument invoqué est en totale contradiction avec les faits : les cinq premières universités de la liste de Shanghaï comptent toutes moins de 20 000 étudiants (à l’exception de Berkeley) et l’une des plus prestigieuses, Cal’Tech, n’en compte que 2000. 

Reconnaître qu’une université de plein exercice doit posséder une taille critique ne saurait justifier la course au gigantisme et en l’occurrence, la maximisation du nombre d’étudiants.

Il en est de même pour ce qui est de la recherche : rien ne démontre que la taille d’une équipe est un facteur de productivité. Nous avons même de bonnes raisons de penser qu’il est contre-productif de vouloir rassembler dans une même structure des chercheurs qui ne partagent pas les mêmes centres d‘intérêt et/ou les mêmes démarches, comme on est en train de le faire dans certains secteurs disciplinaires. Au demeurant, les nouveaux instruments de communication réduisent l’avantage que confèrent les effets d’agglomération, en favorisant le fonctionnement en réseau et le travail à distance.

"On comprend bien que le fait de regrouper dans une même structure des unités de recherche dispersées permet mécaniquement de grimper dans la liste de Shanghai"

On comprend bien que le fait de regrouper dans une même structure des unités de recherche dispersées permet mécaniquement de grimper dans la liste de Shanghai. Puisque celle-ci repose sur la comptabilisation des distinctions obtenues et des publications réalisées par tous les chercheurs déclarant appartenir à une université donnée (sans les rapporter au nombre d’enseignants-chercheurs de cette université).

Mais c’est un petit jeu qui n’a rien à voir avec l’excellence. Il s’agit simplement de profiter de l’imperfection (ou de l’absurdité) des critères retenus pour la construction de ce trop fameux palmarès. Puisque cela revient à affecter à une seule université des publications, des citations ou des distinctions jusque-là comptabilisées dans plusieurs établissements.

Il serait vraiment naïf de penser que cela va stimuler l’attractivité des universités françaises. D’autant que s’il s’agit d’attirer de bons étudiants étrangers, ceux-ci sont plus intéressés par la qualité de l’encadrement dans le département ou le laboratoire dans lequel ils entendent poursuivre leur formation ou leur recherche. Les performances de l’université, prises dans leur ensemble, ne les concernent que secondairement.

"L’Europe a décidé de construire son propre classement des universités, considérant que les palmarès existants ne permettaient pas de juger efficacement les établissements d’enseignement supérieur au plan international"

Ce que l’on peut attendre d’une université, en tant qu’enseignant-chercheur ou en tant qu’étudiant, ne peut se résumer dans les seuls éléments pris en compte par le hit parade de Shanghai. C’est si vrai que l’Europe a décidé de construire son propre classement des universités, considérant que les palmarès existants ne permettaient pas de juger efficacement les établissements d’enseignement supérieur au plan international. Ce nouvel outil devrait permettre de prendre en compte aussi bien la qualité de l’enseignement (l’insertion des étudiants, les conditions d’études, le niveau d’encadrement...) que la recherche, discipline par discipline. Ce qui devrait remettre en cause le seul argument favorable (mais factice) à une concentration outrancière des universités.

"Constituer des Pôles (des PRES) en cherchant des complémentarités pédagogiques entre établissements n’a aucune pertinence"

Au total, on ne voit pas ce que le regroupement d’établissements supposés complémentaires peut apporter aux performances de nos universités. Car du point de vue pédagogique, il n’est pas souhaitable d’organiser la mobilité des étudiants au plan local ou régional. Il n’y a aucune raison pour que les poursuites d’études au niveau du master ou du doctorat s’effectuent dans l’université où l’on a obtenu ses diplômes de premier cycle. Constituer des Pôles (des PRES) en cherchant des complémentarités pédagogiques entre établissements n’a donc aucune pertinence.

"Les réseaux et échanges scientifiques, entre laboratoires ou entre chercheurs, ne s’improvisent ni ne se décrètent"

On peut en dire autant des directives de rapprochement ou de fusions d’équipes au sein d’un même Pôle. Car les réseaux et échanges scientifiques, entre laboratoires ou entre chercheurs, ne s’improvisent ni ne se décrètent. Les relations scientifiques n’obéissent pas à des logiques spatiales ou administratives et c’est très bien ainsi. Il n’y a aucune raison de contraindre des équipes à travailler ensemble, sous prétexte de proximité géographique, dès lors qu’elles n’y trouvent pas un intérêt du point de vue de leurs programmes de recherche. S’il faut évidemment favoriser les échanges entre chercheurs et entre équipes, vouloir en restreindre le champ et les définir au nom de critères bureaucratiques est aussi illusoire que dangereux. De nombreuses expériences malheureuses sont là pour en attester.

"S’il s’agit de promouvoir l’excellence, il est préférable d’introduire une concurrence entre les universités"

S’il s’agit de promouvoir l’excellence, il est préférable d’introduire une concurrence (ou une émulation si l’on juge que ce terme est moins polémique) entre les universités, plutôt que de créer des mastodontes qui risquent de manquer de cohérence et d’être difficiles à gérer.

Dans ce cas, on conviendra qu’il est préférable de ne pas désigner par avance les vainqueurs de la compétition. C’est-à-dire, qu’il faut assurer une concurrence équitable entre les universités (leurs départements d’enseignement, leurs équipes de recherche) et leur permettre de développer des projets pédagogiques et scientifiques originaux, plutôt que d’installer des monopoles avec les rentes qui les accompagnent : une trop grande concentration n’est sûrement pas un gage de créativité.

Il est bon de mieux doter les universités les plus performantes, mais si l’on change les règles du jeu, en confiant aux établissements certaines responsabilités jusque-là centralisées (politiques de recrutement, affectation des moyens, conception de nouveaux diplômes...), il faut laisser assez de temps aux universités pour qu’elles construisent et mettent en œuvre leurs stratégies. Si l’on fige dès aujourd’hui la carte universitaire, on se privera d’une bonne part des transformations que l’on cherche à obtenir.

"Le modèle qui répondrait le mieux aux objectifs d’excellence (...) reposerait sur une spécialisation et des coopérations librement choisies entre universités"

Dès lors, il nous semble que le modèle qui répondrait le mieux aux objectifs d’excellence, tout en protégeant une certaine variété des établissements (et en respectant certaines des particularités de notre système), reposerait sur une spécialisation et des coopérations librement choisies entre universités. Car il ne peut certainement pas exister quatre-vingt-dix, ni même trente universités couvrant avec une même qualité toutes les disciplines. Par contre, il est très probable que l’on peut trouver en France une trentaine, ou même une quarantaine d’universités capables de développer des enseignements et des recherches d’excellence dans un certain nombre de disciplines.

"Un tel schéma (...) éviterait de rétrograder une trop forte proportion des établissements actuels au rang de collèges universitaires ou d’universités de seconde catégorie"

Un tel schéma aurait le mérite de concilier un enseignement supérieur compétitif avec une suffisante diversité et une répartition équilibrée sur le territoire. Il éviterait de rétrograder une trop forte proportion des établissements actuels au rang de collèges universitaires ou d’universités de seconde catégorie. Car, même si les préoccupations d’aménagement du territoire semblent aujourd’hui passées de mode (ce qui est du reste très contestable), on ne peut ignorer l’aspect structurant de la présence d’une université de plein exercice, sur son environnement économique et social : par l’accès facilité à l’enseignement supérieur, les rapports entre laboratoires et entreprises, l’impact sur la vie culturelle…

Or, ces avantages seraient perdus si l’image d’une majorité d’universités se trouvait dévalorisée. Et cela se joue sur la présence d’équipes de recherche reconnues, sur la délivrance de diplômes de haut niveau et particulièrement de doctorats, même si cela ne doit concerner qu’un ensemble restreint de disciplines. De fait, l’existence ou non de laboratoires reconnus et de formations à la recherche constitue la ligne de partage entre les universités à part entière et les autres. Cette différenciation est nécessaire et possède un vrai contenu. Toute autre forme de hiérarchie est, en revanche, inopportune.

"Il est décidément bien difficile de trouver une justification sérieuse à la mise en place de ces PRES, au-delà du partage de certains services administratifs et peut être de quelques équipements"

Naturellement, ce schéma suppose une coordination entre établissements afin de définir des spécialisations, pour éviter les redondances inutiles et pour développer des collaborations scientifiques sous des formes plus ou moins exigeantes (réseaux, fédérations, fusions d’unités…). Mais à vrai dire, il n’y a rien là de bien original, car ce type de coopération a toujours existé. Ce qui serait plus nouveau serait de borner arbitrairement l’espace de ces relations. Ce n’est évidemment pas souhaitable.

Et en particulier, il n’y a aucune raison pour qu’elles se nouent exclusivement, ou même principalement, au sein des PRES, c’est-à-dire entre des universités géographiquement proches. D’ailleurs, on ne voit pas pourquoi ces coopérations devraient avoir les mêmes contours d’une discipline à l’autre. L’important est qu’elles soient fécondes, et il serait absurde de les contraindre pour des raisons d’esthétique bureaucratique.

Il est décidément bien difficile de trouver une justification sérieuse à la mise en place de ces PRES, au-delà du partage de certains services administratifs (communication, relations internationales...) et peut être de quelques équipements. Et même sous cette forme très modeste, il n’est pas exclu que cela génère des difficultés de gestion parfaitement inutiles.

"La carte universitaire devrait comporter trois types d’établissements"

En définitive, la carte universitaire devrait comporter trois types d’établissements :

– Des universités ou pôles universitaires disposant de laboratoires reconnus et de formations à la recherche dans un large ensemble de disciplines.

– Des universités spécialisées dans un nombre de champs plus restreint, mais disposant en ces domaines d’une reconnaissance suffisante pour prétendre à l’excellence et être attractives au plan international.

– Enfin, des universités, ou plutôt des centres universitaires délivrant des diplômes de premier cycle et peut être des masters professionnels sur quelques créneaux ciblés.

En savoir plus

Universités : nouvelle donne, sous la direction de Jean-Paul Pollin
Collection Les cahiers du cercle des économistes
128 pages
Prix : 15 euros
Parution le 25 mars 2009 www.puf.com

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