Éducation : l'alternance est-elle la solution magique ?

Publié le
Éducation : l'alternance est-elle la solution magique ?
Patrick Guès // © 
L’alternance a été présentée cette année par les responsables politiques et patronaux comme LA solution à beaucoup de maux de la jeunesse. Pas si simple souligne Patrick Guès , spécialiste de l'alternance, dans une tribune publiée en exclusivité sur EducPros. Ce formateur et ancien directeur de CFA, aujourd’hui cadre à l’Union nationale des Maisons familiales rurales, plaide pour une alternance ambitieuse, qui donnerait un nouveau souffle à l’éducation.

Face à la crise économique et scolaire, de nombreux responsables politiques, syndicaux, patronaux et différents spécialistes de l'éducation préconisent le développement des formations par alternance en France. 600.000 jeunes et adultes en contrat d'apprentissage et de professionnalisation et quelques milliers d'élèves ou d'étudiants en formation scolaire bénéficient déjà, chaque année, de ce système de formation qui s'est progressivement mais difficilement institutionnalisé depuis la fin des années 1980.

L'enseignement alterné est-il une des solutions pour répondre aux défis éducatifs du pays ?

Non, si, au-delà de ses vertus intrinsèques, qu'il est impossible d'ignorer – socialisation des personnes, apprentissage des savoir-être et des savoir-faire –, l'alternance est réduite au rang d'un simple instrument socioéconomique qui régule le marché du travail. Non, si, pire encore, elle est regardée comme une mesure de circonstance qui compense les carences de l'école en prenant en charge les jeunes qui en sont exclus – difficultés scolaires, adaptation laborieuse aux conventions des parcours traditionnels, entraves culturelles, financières ou autres.

Non, si, durant le séjour en « stage », le jeune ou l'étudiant ne peut pas prendre en compte la globalité d'une profession et si on – l'entreprise, l'école – ne lui permet pas de prendre le recul nécessaire pour observer, réfléchir, exercer son jugement, structurer sa pensée et assimiler des connaissances.

Non, si l'apprentissage d'un métier n'est pas également le support d'une formation humaine et citoyenne et n'induit pas des valeurs comme le professionnalisme, la solidarité, l'initiative, l'envie d'entreprendre, la créativité ou encore la responsabilité.

Non, s'il n'existe pas de possibilités de rupture, comme l'internat et les stages à l'étranger, qui favorisent, pour les jeunes et les moins jeunes, la prise de distance face aux choses, au métier, à l'espace familial. L'alternance, et c'est là une de ses principales utilités, rapproche les adolescents de leurs parents, les aide à intégrer la société des adultes et évite les déchirures et les coupures avec le milieu de vie. Or, elle n'est véritablement efficace que si elle autorise régulièrement un éloignement temporaire dans des lieux où vont se jouer de nouveaux apprentissages collectifs et une saine et nécessaire analyse du milieu de vie.

Non, si nous sommes dans l'incapacité de proposer, avant même l'entrée en formation par alternance, quel que soit le niveau, des parcours scolaires qui préparent progressivement à l'immersion dans l'entreprise.

Non, s'il n'y a pas une volonté portée par les élus de clarifier les dispositifs, les financements, les responsabilités qui régissent la voie professionnelle. Apprentissage ? Formation sous statut scolaire ? Contrat de professionnalisation ? Lycée professionnel ? CFA ? Conseils régionaux ? État ? Partenaires sociaux ? Branches professionnelles ?... Il n'y a pas eu suffisamment de réflexion globale sur le développement de l'alternance en France. Par touches successives, des sous-systèmes se sont progressivement élaborés en marge du système éducatif et stratifiés en couches multiples.

Or, il y a, nous semble-t-il, des modalités incontournables pour réussir un enseignement alterné de qualité. Celui-ci ne peut pas se réduire à quelques stages, à une alternance fourre-tout ou à une alternance-ghetto. L'alternance ne s'improvise pas. Elle se réfléchit. Elle s'organise. Elle demande un certain état d'esprit. Mais qui a pris réellement conscience des exigences de l'alternance ?

L'enseignement alterné est-il donc une des solutions pour répondre aux défis éducatifs du pays ?

Oui, si l'alternance est considérée comme un véritable temps plein de formation et si les séjours en entreprise et les séjours au centre de formation sont étroitement associés, dans un heureux dépassement dialectique de la contradiction travail manuel/travail intellectuel.

Oui, si les périodes en entreprise permettent au jeune ou à l'étudiant de s'impliquer dans une action en vraie grandeur, d'être suivi par un adulte attentif et référent, de traduire cette action en pensée, de réfléchir à cette expérience, seul et en groupe, de raisonner à partir de celle-ci et de la dépasser. C'est une des conditions primordiales pour que la période dans le milieu professionnel soit enrichissante, dans le sens d'un accroissement des potentialités de la personne qui en bénéficie.

Oui, si nous avons une ambition pour l'alternance : la vieille mais belle utopie de réunir les univers de l'école, de la famille, de l'entreprise et le rêve d'éduquer et de former des esprits libres, et tout à la fois des femmes et des hommes de métier, intégrés dans leur environnement.

Oui, si nous avons une conception de l'alternance généreuse, une conception où tous les acteurs de la société seraient partie prenante du système de formation, où il ne s'agirait pas seulement d'apporter des savoirs ou des techniques rapidement dépassés, mais de former, dans toutes leurs dimensions, des hommes responsables, attentifs au monde et aux autres. Oui, si nous retrouvons en effet un sens et une direction à l'alternance.

Oui, si l'alternance aide les jeunes à devenir acteurs de la société dans laquelle ils vivent. Combien de jeunes des banlieues, des villes et des villages prouvent, chaque jour, leur motivation et leur dynamisme lorsqu'ils sont mis en situation de façonner leur avenir, d'apporter leur pierre à la vie de la cité, avec à leurs côtés des adultes qui les écoutent, les considèrent et les accompagnent !

Oui, si nous arrivons grâce à l'alternance à faire le lien entre l'éducation personnelle et l'éducation sociale. L'école n'est pas une communauté à part, réservée à des êtres à part. Elle devrait être un levier au service de son territoire. « L'enfant développera au maximum sa personnalité au sein d'une communauté rationnelle qu'il sert et qui le sert », disait déjà le grand Célestin Freinet (1).

Oui, si nous savons gérer les étranges et complexes mais si passionnants paradoxes éducatifs de l'alternance : rupture/continuité, production/éducation, travail manuel/travail intellectuel, pratique/théorie, action/réflexion, entreprise/école, question/problématisation, jeune/adulte, formation professionnelle/formation générale, projet personnel/engagement collectif, formateur/famille...

Oui, si nous savons encore découvrir des chemins qui remettent en cause les savoirs traditionnels, la façon de les transmettre et la pensée binaire. Oui, si nous trouvons de nouveaux itinéraires qui investissent la réalité et la culture populaire, qui privilégient les apprentissages construits et les savoirs partagés, qui refusent les cloisonnements stériles, qui se tournent résolument vers l'avenir.

Oui, si l'alternance invente une nouvelle génération de formateurs qui soient davantage des accompagnateurs de projets et des accoucheurs de savoirs à partir des situations vécues sur le terrain, dans une logique pluridisciplinaire et systémique, plutôt que des professeurs instruits à la pédagogie frontale. Oui, si nous avons des patrons et un secteur public qui jouent le jeu, qui défendent l'idée de l'entreprise citoyenne, qui s'engagent auprès des jeunes.

Plaidons donc, sans complexe, pour une alternance qui bouscule les contraintes administratives et pédagogiques ! Plaidons avec passion pour une alternance qui secoue les certitudes du monde scolaire ! L'éducation nouvelle, disait Ferrière, doit rompre avec la routine séculaire. Plaidons sereinement pour une alternance qui prenne en compte tous les talents, qui mette les élèves, les adolescents, les étudiants dans une dynamique foisonnante de création, qui explique aux formateurs qu'ils ne pourront pas réussir seuls, qui redonne aux parents une place essentielle, qui fasse des forces économiques et sociales des acteurs incontournables de l'éducation ! Bref, faisons preuve un tant soit peu d'anticonformisme et n'ayons pas peur de changer radicalement nos modes de pensée si nous voulons que cette voie réussisse et s'impose durablement ! « Peut-être est-ce impossible », disait Bertrand Schwartz (2). Qui ajoutait aussitôt : « Mais il n'est pas moins impossible de laisser le système en l'état actuel. Peut-être est-ce le moins impossible des impossibles ! »

Ainsi, l'alternance peut être une solution parmi d'autres, à condition de ne pas rester enfermée dans la mécanique réglementaire ou financière des dispositifs, à condition que nous ayons un tant soit peu de courage et de volonté, un tant soit peu le sens du devoir à accomplir pour les générations futures, à condition que nous sachions proposer une éducation impertinente et sans cesse renouvelée où chacun sera professeur, quels que soient son âge, son statut, sa fonction, où chacun sera un élève en devenir.

Patrick Guès, cadre à l'Union nationale des maisons familiales rurales.


(1) In L'École moderne française, 1944.

(2) In Une autre école, 1977.

Patrick Guès est l’auteur d'un blog sur le site des Maisons familiales rurales .

| Publié le