Face au besoin d'ingénieurs, les écoles engagent une diversification des voies d'admission

Clément Rocher Publié le
Face au besoin d'ingénieurs, les écoles engagent une diversification des voies d'admission
Avec l'arrivée de nouveaux profils, les écoles d'ingénieurs doivent adapter leurs contenus pédagogiques. // ©  DEEPOL by plainpicture/Pancake Pictures
Un besoin croissant d’ingénieurs conduit de nombreuses écoles d'ingénieurs à diversifier leurs voies d’admission. Une stratégie qui s’est accélérée, à cause de la baisse du vivier traditionnel. Cette ouverture à de nouveaux publics demande néanmoins des moyens financiers et humains supplémentaires de la part des ministères de tutelle.

Le monde professionnel manque de 20.000 ingénieurs diplômés par an. Face à cette tension sur le recrutement, les écoles d’ingénieurs se retrouvent en première ligne. L’Institut Mines-Télécom (IMT), qui compte sept écoles d'ingénieurs et rassemble déjà 13.600 élèves, prévoit par exemple d'augmenter de 20% le nombre de ses étudiants d'ici 2027.

Augmenter ses effectifs demande néanmoins de trouver de nouveaux viviers, ce qui rend la question de la diversification des voies de recrutement de plus en plus prégnante au sein des établissements.

"Il y a une volonté d’aller chercher des candidats qui ne venaient pas forcément vers les écoles d’ingénieurs parce que la classe préparatoire aux grandes écoles comme voie d’accès n’était pas celle qu’ils souhaitaient", avance Emmanuel Duflos, président de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs).

Une ouverture tout azimuts à l'IMT

À l'IMT, certaines écoles d’ingénieurs qui recrutaient principalement des élèves de CPGE proposent désormais des parcours pour les bacheliers.

C'est le cas de Mines Saint-Étienne qui ouvrira en 2025 une formation sur l’ingénierie de la santé, avec la faculté de médecine de l’université Jean Monnet Saint-Étienne. Ce cursus se donne pour objectif de féminiser ses effectifs et donc de recruter une population que les écoles d'ingénieurs ont encore du mal à convaincre aujourd'hui. Elles ne représentent que 28% des élèves dans ces établissements, un chiffre qui stagne depuis des années.

"De même, tout ce qui relève de la transition écologique et l’international permettra d'attirer plus de femmes. On n’a pas encore élaboré de formation sur le sujet mais cela fait partie des choses que l’on va travailler", confirme Gabrielle Landrac, directrice des formations de l’IMT.

D'autres stratégies sont moins ciblées. Dès la rentrée 2024, IMT Mines Alès, l'Institut national Universitaire Champollion, l’école d’ingénieurs Informatique et Systèmes d’Information pour la Santé de Castres et IMT Mines Albi s’associent pour proposer un cycle universitaire préparatoire aux grandes écoles (CUPGE), une licence en trois ans qui permet d'intégrer une école d'ingénieurs.

"L’idée, c’est de ne pas marcher sur les plates-bandes des CPGE mais plutôt de mettre en place des dispositifs qui ouvrent sur de nouveaux viviers", poursuit Gabrielle Landrac.

Les écoles de l'IMT ne sont pas les seules des 200 écoles d'ingénieurs à se mettre sur les rangs. Contactée sur le sujet, ParisTech, qui rassemble AgroParisTech, Arts et Métiers, Chimie ParisTech - PSL, l'École des Ponts ParisTech, l'ESPCI Paris - PSL, l'Institut d'Optique Graduate School et Mines Paris - PSL confirme que sa commission enseignement mène également une réflexion sur le sujet de la diversification des voies d’admission, sans fournir davantage de précisions.

Le besoin d'augmentation d’ingénieurs se fait d'autant plus pressant qu'une baisse démographique de la population étudiante est attendue d'ici 2030. "Il y a une prise de conscience que le vivier classique va aller en diminuant. On doit se réinterroger et aller chercher d’autres types de profil", assure Emmanuel Duflos.

Repenser la pédagogie

La diversification des profils d'élèves implique une évolution des pratiques pédagogiques. "On va chercher des élèves qui ont eu un mode d’apprentissage un peu différent. Cela demande donc une réflexion sur la manière dont on enseigne", soutient le président de la CDEFI, même si ce n'est pas une nouveauté. "Jusqu’à présent, l’expérience a montré qu’on forme de très bons ingénieurs", poursuit-il, prenant l'exemple des élèves issus de BTS, de BUT, de licence.

IMT Nord Europe propose ainsi un programme d’intégration ingénieur en apprentissage pour les étudiants attestant d’un niveau bac +2 scientifique ou technique afin qu’ils puissent développer leur projet professionnel en vue d’intégrer une filière en apprentissage.

Par ailleurs, les écoles d’ingénieurs mettent en place des dispositifs afin de s’assurer que ces nouveaux intégrés ont acquis les connaissances scientifiques de base, en proposant des heures de remédiation ou encore en repensant les programmes de première année.

"Cela nécessite de l’encadrement supplémentaire, une pédagogie beaucoup plus fine et plus d’accompagnement. Donc il faut de l’organisation, mais aussi des moyens humains supplémentaires", assure Emmanuel Duflos.

Une inégalité dans les moyens alloués aux écoles

On pourrait donc s'attendre à une augmentation des subventions de la part des ministères de tutelle. "On nous dit qu’il faut plus d’ingénieurs, mais il n’y a pas de vision interministérielle sur le sujet, poursuit le président de la CDEFI. Force est de constater qu’aujourd’hui, il n’y a pas eu d’écoute au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur. On n’est pas sur un pied d’égalité entre toutes les écoles."

En effet, du côté de Bercy, le ministère de l’Économie a décidé d'accompagner l’IMT dans ses objectifs, notamment en termes de création d'emploi. Le groupe prévoit 70 emplois nouveaux pour former davantage d'élèves ingénieurs.

Clément Rocher | Publié le