Les écoles d'ingénieurs ont accueilli 160.000 apprenants en cycle ingénieur en cette rentrée 2023, soit une hausse de 1,6%. "Nous n’avons pas eu de difficulté majeure pour remplir nos écoles mais il y a une tension sur le vivier", reconnaît Emmanuel Duflos, nouveau président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), lors de sa conférence de presse de rentrée ce lundi 18 septembre.
Néanmoins, l’inquiétude est grandissante dans les écoles sur leur capacité à répondre au besoin de former davantage d’ingénieurs en raison d’un contexte budgétaire fragile. La non-compensation du point d'indice, l'inflation, la hausse du coût de l'énergie, sont autant de sujets de tension dans les établissements. Beaucoup dépendent d'ailleurs d'une université, elle-même en tension, à l'heure où Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur, demande des efforts budgétaires supplémentaires aux universités.
"Dans cette situation, comment les écoles vont-elles contribuer aux politiques publiques ? Les solutions ne sont pas évidentes et les moyens donnés ne sont pas là non plus", poursuit le président, tout en soulignant la mise en péril de certains investissements liés aux programmes pluriannuels.
Une tension de plus en plus forte sur le vivier
Les écoles d’ingénieurs ont pour injonction d'augmenter leur vivier de recrutement, notamment en post-bac, pour répondre aux grands enjeux de réindustrialisation du pays. "On est au bout de la pédale d’accélération. Il n’y a pas de mou derrière", déplore Emmanuel Duflos. La Conférence a lancé une nouvelle commission dédiée à l’orientation et l’accompagnement des étudiants pour répondre à cette problématique.
Face à cet enjeu crucial d'attractivité dans les écoles d'ingénieurs, la CDEFI s’implique dans différents dispositifs liés à l'orientation, notamment le nouveau programme "Tech pour toutes" qui vise à accompagner 10.000 jeunes femmes dans leur formation aux métiers du numérique d’ici 2027.
Le président de la CDEFI rappelle que la réforme du bac a eu un impact sur le niveau de recrutement des écoles d’ingénieurs. "Les écoles perçoivent la baisse de niveau dans le domaine des sciences et des technologies. Il faut réinvestir le champ des sciences dans les politiques publiques et que les sciences physiques se retrouvent au cœur des programmes, et ce dès le plus jeune âge", insiste-t-il en ajoutant que le retour des maths dans le tronc commun en première n'est pas suffisant.
La CDEFI appelle à une régulation de l'enseignement supérieur privé
La CDEFI a par ailleurs partagé ses craintes sur l’enseignement supérieur privé, qui fait en ce moment l’objet d’une mission parlementaire. "L’enseignement privé a de nombreux atouts : il a contribué à former de nombreux diplômés avec une progression constante. Mais le revers de la médaille c’est qu’on constate une insuffisance, voire une absence totale de régulation", souligne Dominique Baillargeat, vice-présidente de la CDEFI.
"Une école peut se créer facilement, il n’y a pas de contrainte ou de frein aujourd’hui, quel que soit le diplôme fourni. Il y a une multiplicité de formations avec une terminologie assez floue. On parle de certification, de visa, de grade, de titre, de diplôme. Il est très compliqué pour les non-initiés de s’y retrouver", continue-t-elle.
Ainsi, la création d’un nouveau label de qualité pour les formations, évoquée par la ministre Sylvie Retailleau, est soutenue par la CDEFI. "Il faut qu’on puisse faire la différence entre les formations, et un label de qualité est un bon point. S’il y avait une seule terminologie qui permettrait de dire que cette formation amène un diplôme reconnu, de qualité, avec de l’employabilité, ce serait intéressant."
Inquiétude sur l'apprentissage
La question de la taxe d’apprentissage pour soutenir entre autre la croissance des effectifs est également à l’ordre du jour. Pour rappel : les étudiants en apprentissage représentent 16% des effectifs dans les écoles d'ingénieurs.
"Les niveaux de prise en charge ne couvrent que 67% du coût réel de la formation d'un ingénieur. Il y a une crainte de voir les niveaux de prise en charge diminuer dans un contexte budgétaire déjà compliqué, et ce quel que soit le statut de l’école", affirme Romuald Boné, vice-président de la CDEFI, qui rappelle à son tour le besoin de dotations publiques.
"L’apprentissage est un outil de mobilité sociale, un outil pour apprendre différemment. Un grand nombre de formations en apprentissage se font dans des villes de taille moyenne. Cela permet aux petites et moyennes entreprises d’avoir des apprentis ingénieurs", soutient-il.
Remettre l'Europe au cœur des enjeux
Autre sujet prégnant : la place des écoles d'ingénieurs dans l'Europe avec la montée en puissance des universités européennes. "Les universités européennes prennent un rôle important. Nous avons 6.000 étudiants issus de la communauté européenne, c’est très peu. Si l’Europe veut être un pays à l’égal de la Chine ou des Etats-Unis, il est urgent que cela change.", s'exprime Christian Lerminiaux, président du conseil d’orientation stratégique de la CDEFI.
L’Europe occupe également une place prépondérante en matière de recherche. "Notre recherche ne serait pas là où elle en est sans les financements européens. Il faut qu’on se préoccupe de l’Europe et faire reconnaitre les spécificités du diplôme ingénieur au niveau européen. Nous avons un vrai problème de circulation des compétences" explique-t-il.