L'université allemande à l'épreuve de la concurrence

De notre correspondante en Allemagne, Marie Luginsland Publié le
L'université allemande à l'épreuve de la concurrence
Université de Francfort // © 
L’Allemagne a renoncé au principe séculaire de l’égalité entre ses universités. Neuf d’entre elles ont déjà bénéficié de la manne financière du gouvernement dans le cadre de l’Initiative d’excellence lancée en 2006. Et le processus d’autonomie progresse sur le terrain. La concurrence entre universités allemandes s’illustre principalement dans deux domaines : leurs nouvelles méthodes de recrutement des étudiants et les coopérations qu’elles instaurent avec les milieux économiques.

En Allemagne, seule 37 % d’une classe d’âge entre aujourd’hui à l’université, contre 39 % en 2003. En cause ? L’introduction des frais d’inscription dans nombre de Länder et, plus généralement, une désaffectation des jeunes bacheliers pour les études supérieures. Deux phénomènes qui contribuent à raréfier le vivier dans lequel puisent les universités.

Opération séduction des universités

Pour y faire face, la communication des établissements d’enseignement supérieur s’apparente souvent à des opérations de charme. Alors que, par le passé, l’attribution des places à l’université était décernée aux bacheliers par une institution fédérale et donc centralisée, le processus d’autonomie implique que les universités recrutent désormais « leurs » étudiants, à l’issue d’un mode de sélection qui leur est propre. Il s’agit aujourd’hui de recruter de façon active et, surtout, dans le contexte de compétitivité, de sélectionner les meilleurs éléments.

Cours aux lycéens, crèches, services...

Certaines universités s’y prennent en amont, offrant, comme la Young Business School d’Heidelberg, la possibilité aux lycéens de suivre des cursus universitaires qui seront sanctionnés par un diplôme dès l’obtention de l’Abitur (équivalent du bac).

D’autres misent sur l’amélioration des conditions d’études. C’est ainsi que huit universités ont été sélectionnées et soutenues financièrement par le CHE (Centrum für Hochschulentwicklung) dans leurs efforts en faveur des étudiants ayant des enfants. La mise à disposition de crèches, phénomène récent en Allemagne, pèse autant dans le choix de ces jeunes parents que la qualité des services des « Crous » locaux et du restau U pour les autres étudiants.

Attirer l'attention des entreprises

En retour, les universités peuvent se féliciter d’une identification croissante des étudiants à leur établissement : l’apparition de gadgets (tee-shirts, tasses, matériels de cours) en témoigne, même si l’on est encore loin du modèle des campus américains. Cette volonté de gagner en visibilité joue également un rôle crucial dans les rapports avec les milieux économiques.

En mai 2008, l’université de Francfort ouvrait en grande pompe la « House of Finance ». 26 professeurs et près de 200 scientifiques enseigneront dans un ensemble architectural moderniste aux futurs cadres de la finance allemande. Ce nouvel institut universitaire doit contribuer à polir l’image de la Johann-Wolfgang-Goethe-Universität au sein des milieux économiques et dans le paysage universitaire allemand. Cette inauguration spectaculaire est représentative du climat de compétitivité qui anime désormais le monde universitaire allemand. Dans cette course à l’excellence, c’est à l’établissement du supérieur qui suscitera le plus l’intérêt des entreprises.

Peser à l’international

« La réputation, notamment à l’international, est devenue un facteur de succès », assène Margret Winter mantel, présidente de la HRK (Hochschulrektorenkonferenz, la conférence des présidents d’université). Aussi, les universités ne reculent devant aucun moyen. Le processus d’autonomie leur a conféré davantage de marge de manoeuvre pour coopérer avec l’industrie. Et elles en profitent. C’est ainsi qu’elles se présentent sur les salons professionnels et les foires réputées comme celle de Hanovre dans le but de drainer des contrats de recherche avec les entreprises. À l’international, elles sont soutenues par le programme Gate (Guide to Academic Training and Education), une initiative de la HRK et du DAAD (Deutscher Akademischer Austauschdienst, Office allemand d’échanges universitaires), qui oeuvrent à la visibilité des universités allemandes à l’étranger.

Cet activisme n’est pas du goût de tous

Des professeurs comme Christoph Butterwegge dénoncent la marchandisation de l’enseignement. « Cette folle compétitivité néolibérale conduit à une course éliminatoire entre les facs, mais aussi entre les filières et même au sein des disciplines elles-mêmes », met en garde cet enseignant en sciences politiques à Cologne, craignant un « darwinisme » entre les universités qui disposeront d’importants moyens financiers et les autres, promises à la faillite.

Le supérieur allemand en chiffres

Les étudiants : 1 979 445 à la rentrée 2006-2007, dont 344 967 nouveaux inscrits. Leur âge moyen : 25,4 ans. Ils sont 265 704 à avoir été diplômés au cours du semestre 2006-2007, dont 24 287 doctorats. En 2006, 39,7 % des bacheliers se sont inscrits au premier semestre universitaire suivant l’obtention de leur Abitur. En 2006, 43,4 % d’une classe d’âge a obtenu l’Abitur ou équivalent (donnant droit à l’entrée à l’université).
Les établissements : 383 établissements du supérieur au total, dont 103 universités, 6 instituts de formation des maîtres ou équivalents, 15 centres de formation théologique, 53 écoles d’arts plastiques, 176 technische Hochschulen (équivalents des IUT) et 30 écoles d’administration. Le budget des universités (fonctionnement et investissements) s’établissait à 31 milliards d’euros en 2005.
Le personnel universitaire : 503 876 personnes, dont 37 694 professeurs (sur un nombre total d’habitants de 82,5 millions).

Source : Destatis.

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