Le Conseil d'Etat entérine les frais d’inscription différenciés pour les étudiants internationaux

Pauline Bluteau Publié le
Le Conseil d'Etat entérine les frais d’inscription différenciés pour les étudiants internationaux
Le Conseil d'Etat a validé les frais d'inscription différenciés pour les étudiants extra-communautaires. // ©  Sebastien CALVET/REA
C’était une décision très attendue de la part de la communauté universitaire et étudiante : le 1er juillet 2020, le Conseil d’Etat a rendu son verdict concernant l’application de frais d’inscription différenciés pour les étudiants internationaux. La juridiction estime que ces frais "modiques" ne viennent pas enfreindre "l’exigence constitutionnelle de gratuité".

Le sort des étudiants internationaux est désormais scellé. Après en avoir référé au Conseil constitutionnel en octobre 2019, le Conseil d’Etat a statué l’application des frais d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires. D’après l’institution, ces frais ne vont pas à l’encontre de "l’exigence de gratuité" qui s’applique aux établissements supérieurs publics, d’une part car les sommes sont jugées "modiques" et d’autre part car les dispositifs d’exonérations permettent de "garantir l’égal accès à l’instruction".

Entre 2.770 et 3.770 euros de frais d’inscription exigés

La mesure avait été annoncée en novembre 2018 par Edouard Philippe à l’occasion de la présentation de la stratégie Bienvenue en France. Le 19 avril 2019, un arrêté ministériel venait officialiser l’augmentation de ces frais d’inscription pour les étudiants internationaux. Depuis la rentrée 2019, les établissements supérieurs publics peuvent donc contraindre leurs étudiants étrangers à payer des frais d’inscription atteignant 2.770 euros en licence et 3.770 euros en master. Une décision qui avait alors été contestée par les universités elles-mêmes ainsi que par les associations étudiantes. Mais un an plus tard, elles ne sont pas parvenues à obtenir gain de cause.

D’après le Conseil d’Etat, ces frais sont jugés "modiques" compte tenu du coût réel des formations préparant à des diplômes nationaux. "Les droits d’inscription fixés par l’arrêté attaqué, (...) peuvent représenter 30% voire 40% du coût de la formation. Ces droits d’inscription respectent donc l’exigence rappelée par le Conseil constitutionnel, à supposer que ces étudiants puissent s’en prévaloir", précisent les juges.

Une décision décevante mais attendue

Du côté des associations étudiantes, la décision ne passe pas. Mélanie Luce, présidente de l’Unef, l’affirme : "C’est scandaleux, cet argent c’est parfois un an de nourriture, un an de loyer… c’est tout simplement notre vie sur un an. On ne peut pas faire d’études si on doit payer autant d’argent." Même constat pour la Fage qui estime que cette décision "rend possible une sélection sociale par l’argent". "Les sommes de 2.770 et 3.770 euros n’ont rien de modiques", détaille le communiqué.

Le risque est de voir une augmentation du nombre de contentieux pour chaque type de formation. (Y. Bisiou)

Un argumentaire partagé par Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé à l’université Paul-Valéry à Montpellier. D’après lui, le Conseil d’Etat n’a fait que "couvrir le ministère". "Le Conseil constitutionnel a été hypocrite en laissant le Conseil d’Etat fixer les critères. Il n’y a pas de droit dans cette décision, elle est complètement opportune. C’est décevant mais ce n’est pas non plus surprenant."

Des recours possibles au cas par cas

Maintenant que le Conseil d’Etat a statué, la question des droits d’inscription est entérinée. Du moins, pour l’instant. D’après Yann Bisiou, des recours seraient encore possibles : "Ce que les étudiants concernés peuvent faire, c’est demander à leur établissement les coûts réels de leur formation pour pouvoir aller devant le Conseil d’Etat en pointant du doigt le fait que les frais d’inscriptions versés sont tout sauf modiques".

En effet, pour valider sa décision, le Conseil d’Etat s’est basé sur le coût moyen des formations du supérieur fixé à 11.670 euros. Mais comme l’ont démontré l’Inspection générale de l’Education et la Cour des comptes dans leurs différents rapports, ce montant dépend du niveau d’étude et du domaine de formation. "Quand la ministre prétend que les droits restent modiques, elle ment. Non seulement les droits ne sont pas 'modiques', mais ils peuvent représenter 115% du coût de la formation", assure Yann Bisiou.

Les associations étudiantes se disent quant à elles inquiètes d’une généralisation de l’augmentation des frais d’inscription aux étudiants européens et français. "La décision vient d’ouvrir une porte très dangereuse pour (ces) étudiants", juge la Fage. Une crainte à nuancer selon le maître de conférences. "La gratuité vise les formations préparant aux diplômes nationaux mais certains établissements, comme Paris-Dauphine, ne sont donc pas concernés et pourraient décider d’augmenter les frais d’inscription de tous les étudiants."

Jusqu’à présent, la majorité des universités ont fait en sorte de ne pas appliquer cette mesure. En effet, la loi prévoit que les établissements puissent exempter au maximum 10% de leurs inscrits or la plupart des universités accueillent moins de 10% d'étudiants étrangers. Cependant, selon les prévisions de Campus France, cette limite de 10% ne pourra plus être respectée par sept universités à la rentrée 2020, puis 18 en 2021 et 27 en 2022. Interrogée en mai dernier à ce sujet, la CPU avait affirmé qu’en raison de la crise sanitaire, la remise en cause des frais différenciés n’était pas une priorité mais serait remis à l’ordre du jour dès la rentrée.

Pauline Bluteau | Publié le