La défiscalisation des frais de scolarité sera-t-elle le nouveau cheval de bataille des business schools ? Alice Guilhon, présidente du Chapitre des écoles de management et directrice générale de Skema, l’a annoncé : après avoir soumis l’idée au ministère du Travail qui, pour l’heure, n’a pas donné suite, elle envisage de présenter cette piste de réflexion au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Une telle mesure permettrait aux parents d’étudiants en écoles de management de déduire – une partie au moins – des droits d’inscription de l’impôt sur le revenu, de l’ordre de 10.000 à 15.000 euros par an pour les programmes grandes écoles par exemple.
"Il faut recontextualiser cette proposition. La plupart des écoles de management ont un business model privé. Elles reçoivent peu de fonds publics. Et il y en aura de moins à moins à redistribuer", justifie Alice Guilhon.
La diminution de la taxe d’apprentissage à compenser
D’autant plus que le gouvernement réfléchit actuellement à réduire le versement de la taxe d’apprentissage aux établissements d’enseignement supérieur, privant ainsi les écoles de management de revenus conséquents.
"Avec la réforme du financement de l’apprentissage, nos ressources seront restructurées. La taxe d’apprentissage venait rééquilibrer les budgets. Sa diminution entraînera sans doute une nouvelle augmentation des frais de scolarité dans nos établissements. Pour compenser cette perte de revenus, l’idée d’un dispositif de défiscalisation est intéressante. Ce serait un geste fort pour montrer que nous, business schools, comptons aussi", développe-t-elle.
Un geste d’autant plus fort que les établissements de management revendiquent un impact social et économique considérable sur le territoire, en créant des emplois, en favorisant la croissance et en contribuant à l'attractivité du territoire. Dans son étude de mai 2018, intitulée "Les impacts des business schools sur la France : constats et ambitions", la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) a estimé le poids financier des écoles de commerce et des IAE à plus de 15 milliards d’euros dans l’Hexagone.
"Le principe de base de la défiscalisation consiste à préparer l’avenir. Investir dans les formations des étudiants peut aider à la compétitivité et au développement du pays", argumente Sébastien Tran, directeur de l’EMLV (École de management Léonard-de-Vinci).
Une double peine à contourner ?
"Aujourd’hui, il existe une multitude de niches fiscales. Vous pouvez défiscaliser le financement de PME innovantes [en souscrivant par exemple des parts dans le FPCI (Fonds commun de placement dans l’innovation)]. Pour quelle raison ne serait-ce pas le cas pour l’enseignement supérieur ?" interroge le directeur de l’EMLV. "Pourquoi ne pas créer de crédit d’impôt au même titre que ceux soutenant l’aide à domicile ou le soutien scolaire ?" se demande Léon Laulusa, directeur académique d’ESCP Europe.
Une requête qui semble d’autant plus légitime aux yeux des établissements de management qu'ils estiment que les parents des étudiants en école de commerce sont doublement pénalisés, en payant les frais de scolarité extrêmement élevés de leurs enfants et ceux des étudiants de l’enseignement supérieur public via la fiscalité générale.
Pourquoi ne pas créer un crédit d’impôt au même titre que ceux pour l’aide à domicile ou le soutien scolaire ?
(L. Laulusa)
"Dans un pays où l’on explique que l’accès à l’éducation est gratuit, il est difficile pour les parents de comprendre pourquoi ils payent des frais de scolarité de 10 à 15.000 euros alors que de nombreuses écoles d’ingénieurs sont gratuites. Nous, nous finançons nos bâtiments, notre recherche tout en faisant face à une compétition internationale extrêmement rude", soutient Alice Guilhon.
L'iniquité créée par la défiscalisation
Une explication contestée en partie par Robert Gary Bobo, professeur au CREST (Center for Research in Economics and Statistics) et à l’Ensae (École nationale de la statistique et de l’administration économique). "C’est d'abord un choix des parents d’envoyer leurs enfants dans des établissements coûteux, estime l’enseignant-chercheur, observateur des réformes de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, l’impôt finance les universités, mais aussi les hôpitaux, la police… Le financement de l'enseignement supérieur n’en est qu’une partie."
La défiscalisation n’œuvre d’ailleurs pas totalement pour plus d’égalité. "On peut rétorquer que ceux qui n’envoient pas leurs enfants dans l’enseignement supérieur public et qui sont imposables payent aussi pour les autres. Même si les frais de scolarité dans les établissements privés et notamment dans les écoles de management sont défiscalisés, il y aura toujours un problème d’équité", rappelle Robert Gary Bobo.
S'inspirer de l'étranger
En évoquant cette possibilité, les écoles de commerce s’appuient sur les modes de financement en vigueur à l'étranger. Aux États-Unis, un dispositif de crédit d’impôt, calculé sur les deux premières années d’études supérieures du contribuable, de son épouse ou de ses enfants à charge est disponible. Le "Hope Scholarship Credit" est plafonné à 1.500 dollars maximum par étudiant éligible et par an.
Les écoles de commerce sont encore perçues comme des établissements réservés aux enfants de catégories socio-professionnelles aux revenus assez élevés.
(S. Tran)
"Aux Pays-Bas, les frais d’études sont déductibles des revenus à hauteur de 15.000 euros par an. En Irlande, les étudiants disposent d'un allègement fiscal. En Allemagne, les intérêts liés aux frais de scolarité sont déductibles", détaille Léon Laulusa, directeur académique d’ESCP Europe.
La défiscalisation des frais de scolarité pose cependant un problème d’acceptabilité sociale. "Jusqu’à présent, cette proposition n’a pas donné de résultats. Non pas pour des raisons techniques mais plutôt pour des raisons politiques. Aux yeux du grand public, les écoles de commerce sont encore perçues comme des établissements réservés aux enfants de catégories socio-professionnelles aux revenus assez élevés", analyse Sébastien Tran.
"Cette image de nos institutions a vingt ans. L’éternel débat opposant le public et le privé n’a plus lieu d’être avec le rapprochement des acteurs des deux secteurs", répond Alice Guilhon.
Une mesure à destination des classes moyennes
Malgré les efforts des écoles pour collaborer avec les universités, notamment au sein des Comue, et pour accueillir de plus en plus d’étudiants boursiers et à faibles revenus, le cliché persiste. Destinée d’ailleurs uniquement aux foyers imposables, une telle mesure pourrait être cependant considérée comme une faveur accordée aux ménages les plus aisés.
"Les revenus des foyers de certains étudiants se situent juste au-dessus des seuils nécessaires pour bénéficier des bourses octroyées par les écoles. La défiscalisation permettrait de les aider financièrement et fait donc sens", souligne Sébastien Tran.
Mais même en visant en les classes moyennes, la défiscalisation avantagerait tout autant les catégories aisées. Léon Laulusa, directeur académique d’ESCP Europe, imagine, lui, un autre système, un peu plus équitable. "Aujourd’hui, une grande majorité de nos étudiants contracte un emprunt. On pourrait alors envisager la mise en place d’intérêts déductibles de l’impôt sur le revenu, comme cela se fait ailleurs en Europe", précise-t-il. Ainsi, seuls les foyers ayant besoin de recourir à un emprunt pourraient bénéficier d’une telle mesure.
Le risque d’une augmentation des frais de scolarité ?
Mais, quelle que soit la forme que prendra la défiscalisation, ne faut-il pas craindre une envolée des frais de scolarité ? "Il y a un seuil psychologique que nous ne pouvons pas dépasser. Dans nos écoles, nous connaissons le coût de fabrication du talent que nous allons accompagner. Il varie selon les programmes, mais se situe autour de 13 à 14.000 euros, voire 20.000 euros", rapporte Alice Guilhon.
"Par ailleurs, la majorité des business schools sont encore des associations loi 1901, elles ne versent pas de dividendes et sont suivies par une commission aux comptes. Beaucoup d'établissements ont un statut d'EESPIG (établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général). Nous avons donc un engagement vis-à-vis de nos gouvernants", poursuit-elle.
Il s’agit aussi de bien concevoir le déploiement d’une telle mesure. "Les déductions fiscales devront bien sûr être plafonnées et le mode de calcul de ce plafond soigneusement pensé. Il ne faudrait pas que la défiscalisation des frais de scolarité soit plus avantageuse que le versement des bourses. C’est donc un dossier à étudier en détails", conclut Sébastien Tran.