Guerre en Ukraine, répression politique en Iran, prise de pouvoir des talibans en Afghanistan… L'actualité internationale de ces dernières années a mis en lumière la fragilité des chercheurs et chercheuses des pays en crise et les menaces pesant sur leurs libertés académiques.
Pour "[renouer] avec la tradition d'accueil de la France en faveur des intellectuels", les ministères de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur ont donc créé en 2017, avec le soutien du collège de France, un programme d'accueil d'urgence des scientifiques et artistes en exil (PAUSE).
Depuis sa création, 584 personnes, dont 525 scientifiques, ont été accompagnées dans 129 établissements français.
Un nombre croissant d'universitaires accueillis
La plupart des chercheurs sont pré-sélectionnés par leur établissement d'accueil, qui fournit et finance 40% de leur contrat de travail dans un laboratoire. Le programme assume les 60% restants.
À l'université Paris-Saclay, par exemple, "le chercheur en exil est intégré en tant que collaborateur au sein d'une équipe pour des activités de recherche et éventuellement d'enseignement".
PAUSE dispose d'un comité scientifique pour évaluer les dossiers en fonction du statut des candidats, éligibles à partir du doctorat, de la menace à laquelle ils font face et du projet d'accueil de l'établissement partenaire. Concernant la menace, des spécialistes de la zone sont sollicités pour "mettre en perspective les situations", explique Laura Lohéac, directrice de PAUSE.
Fortes de six ans d'expérience, les universités présentent désormais des candidatures ciblées et les refus sont rares. "Sur la dernière session, un seul dossier sur 105 a été refusé", indique Laura Lohéac. PAUSE accompagne aussi des candidatures "isolées" et se charge d'aider les candidats à trouver un établissement.
La France par rapport à ses voisins internationaux
Comme la France, l'Angleterre avec le réseau CARA et l'Allemagne avec le programme Philipp Schwartz apportent des aides à l'accueil universitaires en exil. Deux réseaux aux États-Unis existent également : Scholars at Risk, qui place des chercheurs sans financement et possède des antennes européennes, et Scholar Rescue Fund qui co-finance des recherches.
"On travaille avec d'autres fonds parfois, on est en lien étroit", affirme Laura Lohéac, du programme français PAUSE qui s'inscrit aussi dans un consortium européen engagé sur le sujet. En 2022, le Parlement européen a créé un "forum des libertés académiques", pour mieux les défendre.
Les financements du programme PAUSE
En 2023, 174 financements ont été accordés à des scientifiques pour une somme totale de sept millions d'euros, contre quatre millions d'euros annuels avant 2022. La crise ukrainienne avait alors permis de débloquer des fonds d'urgence, comptant pour la moitié du budget 2022.
Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche finance 80% des fonds. Les ministères de la Culture, des Affaires étrangères et le CNRS participent également. Des fonds privés sont également récoltés à hauteur de plus de 500.000 euros, en 2022.
"On dépend de l'actualité internationale, qui est incertaine. Et les crises se succèdent", note Laura Lohéac, directrice exécutive de PAUSE.
Le programme devra aussi faire sans un fonds européen qui était disponible jusqu’en 2021 et cherche depuis à "diversifier les financements et mécènes privés". Objectif pour 2024 : lever un million d’euros supplémentaire pour financer environ 200 personnes.
Faire face aux difficultés d'installation
Pour les scientifiques, les aspects administratifs sont facilités par la présence du ministère de l'Intérieur et des Affaires Étrangères dans le programme et une situation de migration régulière puisque les chercheurs ont un contrat à l'université.
Néanmoins, des difficultés persistent à l'installation, comme le rapporte l'université Paris-Saclay, qui accueille 14 chercheurs et chercheuses en exil. Sur le plan personnel : fragilité psychologique due à leurs parcours de vie, éloignement des proches parfois restés dans une zone de conflit… Et l'accès au logement, par exemple, s'avère compliqué, surtout en région parisienne.
"L'enjeu, c'est aussi l'après-programme", souligne Laura Lohéac. Le financement n'est accordé que pour une durée déterminée, avec un ou deux renouvellements, le tout dans un monde académique très concurrentiel.
PAUSE aide donc aussi à la formation, la publication et à préparer l'après. Sur 192 sorties du programme, 69 personnes ont eu de nouvelles opportunités, 14 ont regagné leur pays et 79 personnes sont en transition ou en recherche d'emploi ou de financement. . Quelques réussites : cinq lauréats ont obtenu des postes de maitre de conférences ou travaillent au CNRS, "une minorité qui donne de l'espoir", d'après Laura Lohéac.
Des universités développent leurs propres programmes d'accompagnement
Tous les universitaires en exil n'ont pas l'opportunité d'enseigner. Pour combler ce besoin, le Campus Condorcet a lancé, depuis la rentrée 2023, "l'Université en exil" (UXIL), avec l'aide de PAUSE.
En 2023-2024, 11 chercheurs et artistes participeront, en donnant des séminaires en anglais, français et espagnol. "Les chercheurs et chercheuses sont invités pour parler de leur sujet de recherche, et non de leur exil", insiste Pascale Laborier, vice-présidente de l'université Paris-Lumière.
D'autres initiatives existent, comme le programme HOSPES à l'université Paris-Lumière qui permet depuis 2021 d'apporter un soutien à des artistes et des archéologues contraints à l'exil.
Du côté des étudiants réfugiés et en exil, le réseau MeNS compte 52 établissements qui proposent, notamment, un diplôme universitaire (DU) "Passerelle" pour aider à la reprise d'études en France.
La liberté académique au cœur des préoccupations
Pour France Universités, qui a confié à Sciences po Paris une mission sur la liberté académique, "les attaques contre la science et contre des chercheuses et chercheurs, dans de nombreux pays, y compris des régimes démocratiques, appellent à la plus grande vigilance de la part des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, mais aussi à l'action".
Sciences Po communiquait également, à la rentrée 2023, sur un projet de "maison de la liberté académique" pour offrir "un lieu permanent" d'accueil de dizaines étudiants et chercheurs exilés ou persécutés.