Loi immigration : les acteurs du supérieur dénoncent une sélection par l'argent pour les étudiants étrangers

Pauline Bluteau - Mis à jour le
Loi immigration : les acteurs du supérieur dénoncent une sélection par l'argent pour les étudiants étrangers
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, lors du vote du texte de la CMP sur la loi immigration à l'Assemblée nationale. // ©  Eric TSCHAEN/REA
Dans la soirée de mardi, le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté le projet de loi sur l'immigration. Prévoyant une augmentation des frais d'inscription pour les étudiants internationaux, une caution de retour obligatoire et la justification de l'assiduité, ce texte provoque la colère des syndicats étudiants, des universités et des grandes écoles.

Adoptée par les sénateurs et contre toute attente, rejetée par les députés il y a une semaine, les parlementaires sont parvenus à un accord ce mardi 19 décembre après 24 heures de négociation, et ont adopté le projet de loi pour "contrôler l'immigration et améliorer l'intégration".

Ce texte implique de nouvelles règles de mobilité pour les étudiants étrangers non issus de l'Union européenne. "Une ligne rouge" a été franchie, selon les représentants étudiants. Une opinion que partagent aussi les universités et les grandes écoles, qui redoutent "une sélection par l'argent".

Les étudiants internationaux devront justifier financièrement leur statut d'étudiant

Plusieurs articles ont été adoptés par la commission mixte paritaire puis validés par le Parlement. Des textes principalement issus d'une proposition de loi déposée par plusieurs sénateurs Les Républicains dont François-Noël Buffet et Bruno Retailleau en juin dernier. Y figurent plusieurs conditions pour pouvoir étudier en France en tant qu'étudiant étranger.

D'abord, "le dépôt préalable d'une caution retour pour la délivrance d'un titre de séjour pour motifs d'études". Chaque étudiant devra justifier d'un matelas financier pour étudier sur le sol français. Somme qui lui sera "restituée" au moment où "il quitte la France".

L'article, rejeté par l'Assemblée nationale la semaine dernière, a été précisé par la commission mixte paritaire : "À titre exceptionnel, le ministre en charge de l’Enseignement supérieur peut dispenser de l’exigence de caution […] lorsque la modicité des revenus et l’excellence du parcours scolaire ou universitaire de l’étudiant le justifient." Le montant de la caution doit aussi dépendre "des critères d'éligibilité des étudiants aux bourses".

Concrètement, le gouvernement fermerait définitivement la porte des universités aux étudiants étrangers (l'Union étudiante)

Un deuxième article confirme que les frais d'inscription seront bien majorés pour les "étudiants étrangers en mobilité internationale". Là encore, les députés ne semblent pas avoir obtenu gain de cause, en première lecture, quant à la suppression de cet article.

Les étudiants étrangers devront, par ailleurs, justifier leur assiduité en cours pour conserver leur carte de séjour étudiante.

Enfin, l'accès aux APL (aides personnalisés au logement) qui a fait l'objet de nombreuses discussions ce mardi a été adopté : les étudiants internationaux qui bénéficient d'un visa étudiant peuvent en faire la demande.

Une précarité qui pourrait s'accentuer

L'UNEF évoque un "coup de poignard à l'accès à l'enseignement supérieur en France" et des "décisions irresponsables" qui "auront des conséquences dramatiques". La communauté universitaire craint une accentuation de la précarité de ces étudiants déjà en difficulté financière.

"Ces dispositifs ne feraient que renforcer la marchandisation de l’enseignement supérieur français et accentuer la précarité financière de nos étudiantes et étudiants internationaux, plaide France Universités. Car les étudiantes et étudiants s’inscrivant en France ne sont pas tous bien nés, contrairement à une idée reçue, et le dépôt d’une caution tel qu’envisagé les condamne à regarder ailleurs pour poursuivre leur projet."

Selon l'Observatoire de la vie étudiante, en 2020, 41% des étudiants étrangers ne parvenaient pas à couvrir leurs besoins mensuels (24% pour les étudiants français) et 37% estimaient avoir des difficultés financières importantes ou très importantes (contre 17% des étudiants français).

Des décisions qui ne convainquent pas le monde universitaire

Il faut dire que cette loi ne concerne pas moins de 303.000 étudiants étrangers (chiffres 2021 du ministère de l'Enseignement supérieur), soit 11% des étudiants de l'enseignement supérieur. Les deux tiers de ces étudiants sont inscrits à l'université et la moitié d'entre eux sont originaires du continent africain. "Concrètement, le gouvernement fermerait définitivement la porte des universités aux étudiants étrangers", constate l'Union étudiante.

La FAGE parle "d'incompréhension totale" et souhaite défendre une université accessible à tous "allant aux antipodes de l’orientation du projet de loi".

Même discours du côté de France Universités. "Les présidentes et présidents d’université entendent rappeler leur attachement à la tradition d’ouverture de la France en matière d’accueil des étudiantes et étudiants internationaux et réaffirment leur ambition de faire de la France le premier pays d’accueil de l’Union européenne."

Ces mesures vont nuire significativement à l’attractivité internationale de l’enseignement supérieur français (la CDEFI)

Au-delà de la communauté universitaire, les grandes écoles ont réagi. La CDEFI estime que ces mesures ont vocation à "nuire significativement à l’attractivité internationale de l’enseignement supérieur français en général, et des écoles d’ingénieurs en particulier, dans un contexte de concurrence internationale accrue pour attirer les talents". Même son de cloche du côté de la Conférence des grandes écoles (CGE) pour qui le rayonnement de la France dépend aussi et surtout des "conditions d'accès (aux) établissements" : "En l’état, ce projet de loi soulève de véritables questions pour l’écosystème de l’enseignement supérieur."

L'objectif affiché par le gouvernement avec le plan "Bienvenue en France", en 2018, était d'accueillir 500.000 étudiants internationaux d'ici 2027, - un effectif loin d'être atteignable dans ce contexte, selon les grandes écoles.

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