Les universités allemandes s'offrent au marketing

De notre correspondante en Allemagne, Marie Luginsland Publié le
Les universités allemandes s'offrent au marketing
TU de Munich, Bernhard Maier // © 
Processus d'autonomie, course à l'excellence, classements et déclin démographique des étudiants contraignent les universités allemandes à se vendre avec les méthodes des entreprises. Marques, logos, slogans et même campagne de pub se mettent à fleurir outre-Rhin avec quelques excès.

Gang et Dong, deux étudiants asiatiques au look du Mephisto des films des années 1920, sèment la pagaille dans les amphis de l'université de Leipzig. Leur odyssée aboutit à un slogan : « Fais tes études en Extrême-Orient », un jeu de mots bâti sur l'équivalence en allemand entre « Est » et « Orient ». Bien que très controversé,ce clip diffusé au cinéma et sur Youtube est le clou d'une campagne de dix millions d'euros . Celle-ci a été financée par l'État fédéral pour redorer le blason des cinq universités de l'ex-RDA, notamment auprès des bacheliers de l'Ouest du pays qui boudent les nouveaux Länder.

Mais à l'ouest aussi, les universités redoublent d'imagination pour vanter leurs mérites. À l'écran, Karslruhe se compare au Massachusetts Institute of Technology et, à l'affiche, Braunschweig à... un paquet de soupe instantanée !

Le déclin démographique met le marketing au défi du recrutement

Les services de communication des universités sont invités à se convertir en département marketing afin de développer une stratégie, voire une marque propres. Quand ils ne font pas appel aux services d'agences privées de communication, comme l'agence berlinoise Scholz & Friends. Car une université allemande ne se vend plus sur son seul passé historique et sur les grands noms qui y ont étudié. L'Initiative d'excellence, qui dote de subventions les meilleures d'entre elles, ainsi que l'impact des classements internationaux ont engagé une concurrence jusqu'alors inconnue au sein du paysage universitaire allemand.

Il faut y ajouter l'introduction des bachelors et des masters qui ont conduit à une grande confusion auprès du public. « C'est particulièrement vrai pour les entreprises, qui souvent méconnaissent les filières et donc la nature exacte des diplômés que forment les universités », renchérit Dirk Zupancic, professeur à la Heilbronn Business School (GGS).

Pour les établissements, il s'agit aujourd'hui de se forger un profil, mais aussi de recruter car le déclin démographique menace. « Notre région a perdu 40 % de bacheliers en deux ans, et nous devrions atteindre le fond du gouffre en 2020 ! » s'alarme Torsten Evers, responsable du marketing de l'université de Halle-Wittenberg.

« En tant qu'université technique, nous devons avoir une politique de marketing plus offensive que les universités classiques, plus connues des bacheliers », soutient de son côté Elisabeth Hoffmann, chargée du marketing à la TU de Braunschweig. Une université dont le dernier coup de marketing a été la production d'un million de bouteilles d'eau minérale à son effigie.

A la recherche d'un nom, d'une identité

Ces stratégies marketing ne peuvent faire l'économie de la création d'une marque et d'un logo propres. Tandis que le slogan est estimé moins important en raison d'une portée plus fugace. « Un slogan devant être ancré dans le présent, sa durée de vie est donc plus limitée », confirme Torsten Evers. Il en est tout autrement de la marque dont la conception se maintient parfois plusieurs années. La plus connue du grand public était jusqu'à présent celle de Berlin, créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sous le sigle FU pour Freie Universität.

Ces dernières années, des marques ont surgi se réclamant de l'Histoire, comme si cette dernière pouvait conférer une légitimité supplémentaire. L'université de Francfort a ainsi profité de son nouveau statut de fondation en 2008 pour se refaire un nom sous l'appellation « Goethe-Universität ». « L'université portait certes depuis toujours le titre de Johann Wolfgang Goethe Universität, mais il n'était pas mis en avant comme l'est aujourd'hui sa version raccourcie. Cela nous confère une plus grande aura à l'international, car qui connaît à l'étranger les prénoms de Goethe ? » explique son porte-parole, Olaf Kaltenborn.

L'université de Halle-Wittenberg, qui s'est dénommée « MLU » – pour Martin-Luther-Universität –, mise sur le souvenir du prestigieux réformateur. À Munich, c'est le prince-électeur Maximilian et son fils le roi Ludwig qui servent de parrains à la LMU (Ludwig-Maximilians Universität). La marque agit autant comme un facteur de corporate identity auprès des étudiants et des enseignants que comme image auprès du grand public.

Pour autant, l'exemple d'universités d'excellence comme Aix-la-Chapelle baptisée RWTH, pour Rheinisch-Westfälische Technische Hochschule, prouve que la renommée peut aussi précéder une marque peu glamour ! D'ailleurs, Helge Löbler, professeur de marketing et communication à Leipzig, ne croit pas à l'action surfaite d'une campagne. « Si une université est bonne, cela se saura forcément », déclare-t-il, lapidaire. Il fustige le marketing empreint de superficiel : « Il faut communiquer sur la réalité et rester authentique », et qualifie la récente campagne de pub des universités de l'Est de « catastrophique ».

Séduire les futurs étudiants sur leur terrain

Reste en effet à savoir si une université doit se vendre comme un produit de consommation courante ou si l'inscription d'un bachelier résulte davantage d'un processus mûrement réfléchi. Convaincu de cette seconde option, Torsten Evers inscrit son action marketing dans une relation B to B. « Un cursus d'études ne peut pas se vendre comme un vulgaire produit, il faut certes susciter l'émotion, mais aussi rester les pieds sur terre », expose-t-il. Il compare davantage la démarche du candidat à l'inscription à celle d'un industriel qui investit dans un bien de production.

Certes, son université a engagé un budget de 200.000 € dans des actions classiques de marketing (marque, objet, campagnes de pub...), mais elle privilégie aujourd'hui sa promotion sur les réseaux sociaux tels que Facebook, MySpace ou Twitter.

Elle a par ailleurs mis en place pour ses 18 filières une équipe d'ambassadeurs rémunérés 7,50 € l'heure. Chacun de ces étudiants intervient de façon personnalisée auprès des lycéens ou bacheliers intéressés via un système informatisé conçu spécialement. Ils répondent à leurs questions, les relancent, leur soumettent des offres de loisirs correspondant à leur profil, comme le ferait n'importe quel key accounter d'une entreprise de services. Un dispositif qui permet à Halle-Wittenberg d'augmenter ses inscriptions de 10 à 12 % chaque année, et surtout de compter parmi ces nouveaux inscrits 40 % de bacheliers de l'Ouest.

Trois questions à Elisabeth Hoffmann, responsable de la communication de l'université technique de Braunschweig et présidente de la Fédération de la communication universitaire.

Les universités ont-elles besoin de marketing ?
Absolument. Les universités ne doivent pas seulement recruter des étudiants, elles doivent aussi récolter des fonds et attirer de bons professeurs et des chercheurs. Mais le marketing universitaire n'est qu'en partie comparable à celui de l'industrie. Nous ne devons en aucun cas faire des promesses que nous ne pourrons tenir. Les étudiants comme les scientifiques s'en rendraient rapidement compte. Là aussi, on peut se rendre ridicule.

En quoi consiste un marketing universitaire ?
Il doit être authentique. Tout le monde veut être le meilleur dans l'enseignement et dans la recherche. Mais il faut créer une image qui corresponde à son profil propre, à son cœur de cible et à son propre segment de prestations. Est-ce que je veux vraiment recruter des étudiants avec les meilleurs résultats au bac ? Est-ce que je communique sur le plan de l'humour et de l'émotion, ou est-ce que je mets l'accent sur la performance et l'assiduité

La création d'une marque propre relève-t-elle d'une stratégie marketing ?
Oui, et ce de manière décisive. Les universités ont besoin d'une marque tout comme d'un corporate design. Il s'agit de véhiculer les valeurs de l'université de façon émotionnelle mais aussi concrète, et une marque fait partie de cette démarche. Toutefois, il n'est pas toujours facile de créer une image homogène pour l'ensemble d'une université. Certains professeurs considèrent cela comme superflu et préfèrent utiliser le logo de leur institut ou de leur faculté.

TU Munich : le salaire de la gloire

En décembre 2009, Wolfgang Herrmann, président de l'université technique de Munich, a été élu meilleur manager universitaire d'Allemagne par le Financial Times et par le CHE (Centre de développement universitaire) pour son talent entrepreneurial. De fait, sous sa gouvernance, la TUM (Technische Universität München) s'est imposée comme une marque dans le paysage universitaire allemand.

L'université bavaroise doit cette image forte à plusieurs actions conjointes : son élection au premier round de l'Initiative d'excellence en 2007 et sa proactivité dans le fundraising, une activité qu'elle a développée il y a plus de dix ans, en précurseur et avec un grand professionnalisme. Aujourd'hui, l'un profite à l'autre, et la collecte de fonds s'accélère – 170 millions d'euros recueillis en douze ans –, 2009 ayant été la meilleure année en dépit de la crise. « Il est certain qu'une marque forte est un atout précieux pour notre levée de fonds car la confiance des entreprises ou des donateurs privés est là, nous n'avons pas à la gagner ! Et il n'est pas rare que ce soient les pourvoyeurs de fonds qui viennent nous trouver ! » se félicite Frank Friess, directeur du département de fundraising de la TUM. Selon lui, la notoriété d'une université ne se bâtit pas sur quelques éléments marketing, mais sur un profil forgé au fil des ans.

Ainsi, la TUM a su s'attacher une identité mettant l'accent sur la recherche : « Nous sommes les seuls en Allemagne et parmi les rares universités en Europe à combiner, par exemple, sciences de l'ingénieur et sciences de la vie dans notre portefeuille de filières. » Inutile de préciser que, dans ces conditions, la TUM, à l'inverse de nombreuses autres universités allemandes, n'a pas de problèmes de recrutement d'étudiants.

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