Primes aux chefs d'établissement : Education et Devenir dénonce une décision "imbécile " de Luc Chatel

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La nouvelle prime pour les chefs d'établissements est-elle une mesure "imbécile" ? C'est en tout cas ce que pensent les signataires de la tribune que nous publions en exclusivite de la décision annoncée par le ministre de l'Education nationale, Luc Chatel.

Prime aux chefs d’établissement : une décision imbécile

Imbécile parce que décider d’attribuer une prime sans fixer au préalable les critères de son attribution, c’est courir le risque d’en faire une « prime de servilité ». C’est mettre les chefs d’établissement aux ordres de leurs autorités hiérarchiques directes, c’est renforcer les tendances naturelles à la prudence excessive et surtout limiter leur capacité d’initiative. Elle est donc contre productive au regard  des objectifs de performance de l’Ecole. Faire réussir le plus grand nombre d’élèves implique la prise en compte de la diversité, l’adaptation des politiques d’établissement  au contexte local. En conséquence, cela requiert le développement de la capacité d’initiative, la mise en place de solutions innovantes aux problèmes qui se posent, la prise de risques… Au lieu de quoi, nous risquons d’avoir des chefs d’établissement soucieux de la conformité ; et quand ils ne le seront pas, ils seront soupçonnés de l’être !

Imbécile parce qu’elle est antinomique de la spécificité du rôle du chef d’établissement, qui porte dans son établissement la double casquette de chef de l’exécutif des décisions prises par son conseil d’administration et de représentant de l’Etat. Par l’existence de cette prime, les acteurs de l’établissement ne verront plus en lui qu’une courroie de transmission des décisions ministérielles.

Imbécile parce qu’elle prétend renforcer l’autorité du chef d’établissement alors qu’elle l’affaiblit puisqu’elle isole le chef d’établissement des personnels en ouvrant la voie du soupçon. Chacun sait que les chefs d’établissement qui  parviennent à une certaine efficacité sont ceux qui savent établir la confiance,  organiser un  travail  d’équipe. Jouer l’autorité des chefs d’établissement contre les enseignants représente une grave erreur de management, illustrant une fois de plus à quel point le ministère ignore les réalités du niveau local. Imaginez un chef d’établissement prenant la décision, à l’issue des conseils de classe, de faire passer tel ou tel élève en classe supérieure. Il est déjà difficile, aujourd’hui, dans certaines salles des professeurs, de faire passer ce type de décision en avançant des arguments pédagogiques. Demain, quoiqu’il dise dans ce genre de situation, le chef d’établissement sera soupçonné d’être guidé par l’appât de la récompense… Bonjour l’ambiance et  les dégâts collatéraux !

Imbécile aussi  parce qu’elle est une grossière erreur de pilotage du système éducatif : après la prime aux recteurs, elle renforce la capacité de contrôle de l’Etat central sur les unités de formation, alors qu’on attend plutôt de celui-ci qu’il donne le sens de l’action à conduire. On attend qu’il impulse celle-ci en faisant accompagner les acteurs du terrain par ses échelons intermédiaires. Au lieu de quoi, on fait de l’Etat et de ses services des instruments de contrôle et on « enrégimente » à tout-va !

Plus grave encore : cette prime est un lourd obstacle à la mise en œuvre d’un « pilotage pédagogique partagé » dans les établissements. Il s’agit pour nous de la seule forme de pilotage susceptible de faire progresser l’Ecole dans sa            mission de démocratisation : elle vise à développer le travail d’équipe, au sein de l’équipe de direction certes, mais aussi au niveau de l’ensemble d’un établissement, en d’autres termes à développer « le jeu collectif ». Le pilotage pédagogique partagé permet en particulier d’attribuer des rôles spécifiques au plus grand nombre d’enseignants, pour en faire les cadres qu’ils doivent être. Au lieu de quoi, la prime revient au seul chef… On ne travaillera plus avec lui, on roulera pour lui !

A cet égard, il faut bien voir dans cette décision un forte dimension politique : elle est la marque d’une droite autoritaire, soucieuse de contrôle et de formatage des esprits, moins  préoccupée  par le souci d’une réelle performance que par l’affichage d’un volontarisme qui ne recule devant rien. Droite qui donne à l’argent des vertus, à l’envers des valeurs que nous avons la mission d’inculquer.

Autant il est dérisoire de parler de récompense ou de reconnaissance des mérites dans ce langage si éloigné de la culture de l’enseignement, autant il serait  courageux et juste de donner, dans la clarté, les moyens techniques aux établissements, de rémunérer les personnels engagés dans des actions innovantes qui demandent inventivité, formation personnelle, engagement différent… Il serait courageux et juste de rémunérer les personnels qui prennent en charge de nouvelles missions : orientation, aide, projets transversaux, formation à l’interne, vie dans l’établissement… Il serait courageux et juste de rémunérer les chefs de projets, coordonnateurs, responsables d’échanges de pratiques, référents culturels... Aujourd’hui, il est impossible de reconnaître le travail de toutes ces personnes qui vont bien au-delà de leur simple service, impossible de verser des heures supplémentaires aux AED, aux CPE, aux professeurs-documentalistes[1]. Difficile de verser aux enseignants des heures correspondant à une mission sans faire un exercice d’équilibrisme administratif. Ne parlons pas des obstacles pour rémunérer des intervenants ou des formateurs extérieurs, pour les rembourser de leurs frais de déplacement, etc.

Il ne faudrait pour régler tous ces problèmes que du bon sens administratif, une vraie connaissance des difficultés et surtout une réelle volonté politique. Il suffirait d’un peu de souplesse et d’autonomie aux établissements, dans un cadre national fermement affirmé pour trouver des solutions et redonner confiance à des équipes d’enseignants pour la plupart animées d’une vocation généreuse. Au lieu de quoi, on nous propose d’ignorer le dévouement des enseignants, on laisse penser que les chefs d’établissement seraient seuls les artisans de l’atteinte des objectifs. Et pour le leur prouver, au moment où l’ensemble des personnels de direction estimeraient juste d’obtenir une revalorisation de leur salaire, on voudrait, avec un peu de l(i)ard(s) accordé aux « meilleurs des meilleurs », retirer à tous les moyens d’être légitimement entendus de leurs équipes !

Education & Devenir  

Françoise Clerc, Professeur honoraire, université Lyon II

Marie Claude Cortial, Professeur d’histoire et géographie, Verneuil sur Avre, Présidente d’E&D

Isabelle Klépal, Proviseur du lycée André Malraux, Montataire

Claude Rebaud, Proviseur honoraire ancien Président d’E&D

José Fouque, Proviseur du lycée Vauvenargues, Aix en Provence, ancien Président d’E&D


[1] Les AED n’ont droit à rien. Les CPE et documentalistes ne peuvent toucher que des HTS très faiblement rémunérées. Cependant le nombre total d’heures accordées aux établissements est en nombre fini quel que soit le montant correspondant à l’heure versée.

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