Refonder l’école ou la fonder ? La chronique de Benoît Falaize avec France Culture

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Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission de Louise Tourret, Rue des écoles , sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) met en perspective les travaux actuels de concertation sur l’école : «Est-ce le moment historique dont parle Vincent Peillon, qui ouvrirait une troisième période, décisive pour l’école de la République ?»

«Les commissions qui se réunissent en ce moment même, et jusqu’à fin septembre, pour répondre à l’invitation de réforme de Vincent Peillon sont-elles là pour “refonder l’école” comme cela est annoncé, ou pour la “fonder” ? Provocation qui peut paraître absurde, tant l’histoire de l’école républicaine est connue ; mais acceptez que nous envisagions le fait qu’elle reste à fonder, avec une série d’hypothèses, et notamment une, qui n’est pas la moindre, celle qui viserait à montrer que l’école commune, pour tous, qui donne sa chance à chacun, pourrait enfin voir le jour.»

Pourquoi ? L’école de la Troisième République n’était pas pour tous ?
En dehors du fait qu’elle avait des enseignements longtemps sexués, ce qu’on oublie souvent, on sait que l’école de l’Instruction publique vivait sous trois ordres d’enseignement, le primaire, le secondaire et le technique, et que c’est dans ces ordres d’enseignement que les destins sociaux s’inscrivaient. Le secondaire, réservé prioritairement à la bourgeoisie ; le primaire, massivement celui du peuple. Jean Zay tentera une démocratisation de l’école, mais sans y réussir pleinement et immédiatement (cf. la conjoncture), et il n’est pas exagéré de dire que le chemin vers une école unifiée passe par la réforme Berthoin de 1959 (qui fait porter l’obligation scolaire à 16 ans, effective dans le milieu des années 1960), comme l’ensemble des évolutions des années 1960 et 1970 doivent beaucoup à ce moment de démocratisation scolaire porté par le Front populaire. Un temps long donc, contrairement à une mythification nostalgique sur «l’école de Jules Ferry».
    
Mais pourtant, le collège unique, c’était une école pour tous ? C’est là le début de la culture commune ?
Alors que la création du collège unique en 1975 aurait pu constituer la fondation d’une école ouverte à tous, permettant à chacun d’évoluer selon ses talents, ses capacités et ses goûts, il se trouve qu’on ne lui a pas donné les moyens (1), ni au collège dit unique, ni à l’ambition giscardienne de faire une culture commune de bon niveau général pour tous les enfants, assortie de l’obtention d’un savoir minimal. Or, une autre division insidieuse va s’installer, peu travaillée jusqu’à présent, si ce n’est par Abdelmalek Sayad, sociologue et ami de Pierre Bourdieu, et, plus récemment, par Smaïn Laacher, dans L’Institution scolaire et ses miracles (2).

Il se trouve qu’au même moment, dans les années 1970 – qui n’est pas n’importe lequel dans l’histoire française, où l’école commence à évoquer l’école commune, l’école pour tous, la culture commune, les fondamentaux communs, la «culture commune qui renvoie à l’idée d’unité culturelle» comme le dit VGE –, se développent deux discours parallèles dont l’analyse mériterait une vraie et belle thèse : d’un côté, le discours sociologique qui, depuis les années 1960, critique l’école, ses inégalités, ses mécanismes d’exclusion scolaire, institutionnelle et symbolique ; de l’autre, un discours qui va pointer les insuffisances dans la maîtrise de la langue par tous les enfants issus de l’immigration, mettre en valeur la culture et la langue d’origine, faisant de la scolarisation des élèves immigrés ou «issus de l’immigration» une question nationale.

S’organise ainsi une tension entre une volonté de dire le commun, «exprimant», comme VGE le dit et comme le rappelle Claude Lelièvre (3), «notre civilisation particulière» et la prise en charge des enfants issus des regroupements familiaux, dans un contexte de mixité scolaire, de crise économique et sociale, d’intégration européenne et de deuil postcolonial (4)... Comme si l’urgence était de faire en sorte de réaffirmer la civilisation française face aux enfants des travailleurs immigrés installés en France.

Un rapport fixe explicitement cette problématique : «La société française a été peu à peu constituée par l’amalgame de diverses ethnies régionales, plus ou moins fondues dans un creuset unique dépendant d’une capitale, Paris, et d’une idéologie, le jacobinisme. Cette centralisation et de communes destinées, notamment pendant les récentes guerres, ont véritablement créé une mentalité collective française. Celle-ci est-elle capable de s’adapter à de nouvelles dimensions, à de nouvelles ouvertures ? Le fait d’être européen, celui de recevoir des minorités non européennes nous obligent à prendre en considération qui sont nos voisins européens, qui sont ceux qui vivent avec nous, parmi nous, et dont les enfants fréquentent les mêmes établissements scolaires. Qui sont ces “autres” ? Et comment apprendre à les accueillir, à les estimer, et faire qu’eux-mêmes, ou tout au moins leurs enfants, sachent qui nous sommes ? Problème grave, délicat et grandissant.» (5)

C’est lourd comme contexte...
C’est très lourd, et cela explique que, malgré les ZEP mises en place en 1981, malgré les efforts faits pour relancer les réflexions sur le commun (rapport Bourdieu/Gros, initiatives de F. Bayrou et socle commun de F. Fillon), on en soit à un moment où tous les partenaires, corps d’inspection, experts, praticiens et syndicats, partagent les mêmes interrogations : quel socle commun, quelle école commune ? Et cela va nécessiter deux questions à mon sens, l’une déjà posée en son temps par Abdelmalek Sayad : de quelle culture parlons-nous ? (6) Et j’ajouterai : de quel commun parlons-nous ? Pourquoi ne parlons-nous que du commun aujourd’hui ? Est-ce parce qu’enfin, nous comprenons que tous les enfants scolarisés en France sont et seront français et sont l’avenir de la France ? Dès lors, est-ce le moment historique dont parle Vincent Peillon, qui ouvrirait une troisième période, décisive pour l’école de la République ?»

Benoît Falaize, université de Cergy Pontoise, coauteur avec Elsa Bouteville de L’Essentiel du prof des écoles (Didier/l’Etudiant, 2011).


(1) Vincent Troger, «La fin du collège unique ?», in Sciences humaines, n° 136, mars 2003, «Les nouveaux visages des inégalités».
(2) S. Laacher, L’Institution scolaire et ses miracles, La Dispute, 2005.
(3) Voir par exemple Claude Lelièvre, «Un socle commun pour un collège unique», in Cahiers pédagogiques, n° 439, janvier 2006.
(4) B. Falaize, «Identités, histoire et mémoires scolaires : les enfants descendants de travailleurs nord-africains en France», in Identités en construction, identités en interaction, s/dir. P. Nagy, P. Sahin-Toth, Presses universitaires de Rouen (PURH)/ELTE, Budapest, 2006.
(5) R. Girault, «Libres propos sur un rapport», Colloque national sur l’histoire et son enseignement, Montpellier 1984, Paris, MEN, 1985.
(6) A. Sayad, La Double Absence, Seuil, 1999.

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