Steve Woodfield (université de Kingston) : « Le processus de Bologne est considéré comme trop “étroit” car cantonné à l'Europe »

Propos recueillis par Elisabeth Blanchet, notre correspondante à Londres Publié le
Steve Woodfield (université de Kingston) : « Le processus de Bologne est considéré comme trop “étroit” car cantonné à l'Europe »
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Comment Bologne est-il perçu outre-Manche ? Steve Woodfield , chercheur à l'université de Kingston en politique et management de l'enseignement supérieur, et expert en internationalisation du supérieur, éclaire le rôle du Royaume-Uni sur le développement du processus de Bologne, dix ans après son lancement.

Quels étaient les points forts du Royaume-Uni pour entrer dans le processus de Bologne ?

Notre système d’enseignement supérieur était déjà conforme au cadre européen des diplômes [undergraduate et postgraduate]. Avant 1998, nos formations étaient organisées sur trois cycles. Cela a donc été relativement aisé d'adhérer aux exigences de Bologne. L'évaluation de la qualité de l'enseignement et de la recherche, fondée sur une approche participative et décentralisée, nous a aussi donné un avantage lors des débats sur le processus de Bologne visant à harmoniser les systèmes d'assurance-qualité des différents pays européens.

Cette avance sur les autres pays a-t-elle eu des revers ?

Il est vrai que jusqu'en 2005, année où le Royaume Uni s'est vu attribuer le « Secrétariat de Bologne », le processus n'a suscité que peu d'intérêt et d'implications. Et je dois dire qu'aujourd'hui encore, le sujet « Bologne » n'est pas particulièrement considéré comme excitant. Il est plutôt perçu comme trop « étroit », car cantonné à l'Europe. De plus, les gouvernements du Royaume-Uni, bien qu'ils soient en faveur de la réalisation des objectifs de Bologne, n’apportent aucun moyen financier dans ce sens. L'autonomie des universités les oblige à s'impliquer d'elles-mêmes dans le processus. En conséquence, leur engagement est inégal et certains aspects du processus, comme le « Diploma Supplement » , en pâtissent.

Existe-t-il des points de discorde avec les autres systèmes européens ?

Oui, par exemple, le système du premier cycle de trois années suivi d'une année de master, bien qu'il soit reconnu et apprécié au Royaume-Uni, notamment dans le monde du travail, a du mal à franchir les frontières. Les employeurs européens ont du mal à imaginer que quatre années d'études sont suffisantes, en les comparant au système 3+2. Pourtant, il est important de rappeler que Bologne n'impose rien sur la durée des études, mais met l'accent sur le contenu et la qualité de chaque cursus.

Comment le Royaume-Uni est-il engagé dans la mobilité des étudiants et des enseignants ?
 
L'enseignement supérieur britannique est activement engagé dans le domaine de la mobilité des étudiants et des enseignants. Il accueille de nombreux étudiants et universitaires étrangers, notamment européens. Mais il y a un déséquilibre entre le nombre d'entrants et de sortants. Les étudiants britanniques sont encore globalement réticents à aller étudier ailleurs en Europe, en raison du manque de compétences linguistiques et du coût de la vie en Europe de plus en plus élevé pour eux [le rapport euro/livre s’est dégradé, NDLR]. De nouvelles initiatives visant à encourager la mobilité des étudiants sont en train de voir le jour, notamment via le bénévolat, les stages et en s’impliquant davantage dans le programme Erasmus Mundus.

Qu’est-ce que le processus de Bologne apporte de positif aux Britanniques ?

Le soutien financier des différents programmes de l'Union européenne qui accompagne le développement du processus de Bologne a un impact majeur sur l'enseignement supérieur britannique, notamment dans le domaine de la mobilité et de la coopération en matière de recherche. Par ailleurs, les objectifs de l'Agenda de Lisbonne – ratifié par le Royaume-Uni en 2003 –, qui visent à faire de l'Europe « l'économie basée sur la connaissance la plus dynamique du monde », vont de pair avec l'engagement du gouvernement travailliste d'améliorer la compétitivité internationale du secteur de l'enseignement supérieur, en particulier en concentrant ses efforts sur le développement de l'employabilité et de la mobilité. Enfin, sur le plan national, surtout depuis 2003, nous nous intéressons davantage aux développements européens. Le gouvernement du Royaume-Uni souhaite en effet être en phase avec les réformes européennes de manière à rester internationalement compétitif.

Dans quels domaines le Royaume-Uni est-il écouté ?

Nous sommes bien placés pour apporter notre expertise sur ce qu'une autonomie et une flexibilité accrues (axes clés du processus de Bologne) peuvent impliquer sur la direction et la gestion des universités. Nous pouvons également faire bénéficier les autres de notre expérience d'approches flexibles d'apprentissage, notamment en ce qui concerne la formation continue et centrée sur les besoins et les engagements de chaque étudiant. Enfin, le Royaume-Uni s'investit de plus en plus dans des débats sur la recherche dans l'EHEA [l’espace de l’enseignement supérieur européen]. L'idée est de promouvoir l'approche britannique des études doctorales qui met en valeur la flexibilité et la préparation au monde du travail. Notre expérience en matière d’évaluation de la recherche et d'allocation des fonds aux équipes de recherche comme en matière de collecte de fonds privés influence aussi l’espace européen de la recherche en émergence.

Comment envisagez-vous la compétitivité engagée entre les institutions d'enseignement supérieur en Europe ?

Le processus de Bologne encourage la collaboration et la compétitivité entre les universités européennes. Elles sont en compétition pour recruter les meilleurs étudiants et obtenir des fonds de recherche, tout en devant collaborer pour faciliter la mobilité de leurs étudiants et de leurs personnels, offrir des cursus communs, accéder à des financements. Il y a une véritable volonté d'utiliser collaboration et compétition pour améliorer la qualité et la compétitivité internationales. Quant aux classements, le Royaume-Uni, comme les États-Unis, continue de mener la danse mondialement.

Propos recueillis par Elisabeth Blanchet, notre correspondante à Londres | Publié le