Succession Descoings : les chantiers du futur directeur de Sciences po

Camille Stromboni Publié le
Succession Descoings : les chantiers du futur directeur de Sciences po
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Sans surprise. Le conseil d'administration de la FNSP a fait son choix lundi 29 octobre 2012 pour la succession de Richard Descoings à la direction de Sciences po. Ce sera Hervé Crès. Prochaine étape : le conseil de direction, et surtout le décret de l'Etat, pas avant fin novembre. Au-delà des problématiques de gestion et d'organisation interne de l'institut, soulevées par la Cour des comptes, quels seront les défis du prochain directeur ?

"L’enjeu est maintenant de consolider et d’aller au bout des transformations initiées par Richard Descoings, tout en conservant la dynamique d’innovation qu’il a insufflée et en promouvant une gouvernance plus coopérative et inclusive, souligne Guillaume Klossa, président du centre de réflexion européen EuropaNova et candidat à la direction de l’IEP. Ce sont les conditions pour réussir la transformation de Sciences po en université de référence mondiale en sciences humaines et sociales."

Car si l'ancien directeur a mis en place une avalanche de réformes,– doublement des effectifs, voie CEP, internationalisation, etc. – hissant l'institut dans la cour des grands, plusieurs chantiers restent inaboutis.

 

Le PRES Sorbonne Paris Cité : mission de haut vol

Premier challenge de taille : l’intégration de l’IEP dans le pôle Sorbonne Paris Cité, avec les universités Paris 3, Paris 5, Paris 7 et Paris 13 (1). Richard Descoings s’était fortement impliqué dans ce projet, qui a remporté un IDEX avec pour objectif la création d’une université unique d’ici à 2016. Un rapprochement stratégique pour l'Institut, jusqu'ici plutôt isolé, pour atteindre une certaine force de frappe, surtout en recherche. Une mission ardue alors que le PRES vit d'importantes tensions, avec une contestation d'une partie de la communauté universitaire.

 

Mettre les services aux étudiants au niveau

Autre enjeu pour le nouveau directeur : "consolider les services proposés aux élèves qui représentent aujourd’hui autant un facteur de choix que l’offre de cours", estime un professeur. L’accès à la restauration, le développement des activités sportives, l’aide à la recherche de stage ou d’emploi, le réseau d’anciens… autant de sujets où l'IEP doit profondément évoluer s'il veut être à la hauteur de son image de prestige.

Stabiliser les procédures d'entrée de l'IEP

Le temps est peut-être venu aussi d’endiguer le flot de réformes, en commençant par stabiliser les procédures d’entrée de l’IEP, qui n’ont cessé d’être modifiée - deux réformes conséquentes en moins de cinq ans pour l'entrée en première année, une nouvelle procédure d'entrée en master – souvent au détriment des candidats les moins informés. La première édition du nouvel examen d’entrée, qui prend en compte le parcours et la motivation du candidat via le dossier et l’oral, se déroule en 2013.

Plusieurs candidats à la direction de l'IEP envisagent un rétablissement de l'épreuve de culture générale - comme Dominique Reynié ou Jean-Michel Blanquer, d'autres une suppression du nouvel oral de langues vivantes, institué par la dernière réforme, pour son caractère discriminant socialement... Un sujet à trancher au plus vite.

 

Ouverture sociale : trouver de nouvelles pistes

Si le pari de l'ouverture sociale a été en grande partie tenu par Richard Descoings, avec un résultat de taille : le passage du pourcentage de boursiers de 6% à 26% en dix ans [soit un chiffre bien plus élevé que dans les autres grandes écoles les plus prestigieuse], le chantier reste entier.

La très grande majorité des étudiants de l'IEP restent en effet issus des classes sociales les plus favorisées. Le nouveau directeur devra, si l'égalité des chances demeure l'une des priorités de l'institut, trouver d'autres solutions pour parvenir à un véritable mélange.

 

Les campus en région sont-ils viables …

Une mission délicate, pour le futur directeur, sera celle des campus en région de l'IEP, dont la viabilité financière est en question. Richard Descoings a mis en place 6 campus délocalisés, chacun spécialisé sur une aire géographique internationale (3), avec des étudiants de première et deuxième année de l'IEP [environ deux tiers d'étrangers, un tiers de Français], qui rejoignent ensuite le site parisien en master. Une extension rendue possible grâce à d'importantes subventions de la part des collectivités territoriales, qui commencent à se tarir.

"Cela fait peut-être chic d'avoir un "Sciences po" mais ce n'est plus possible d'aider aussi fortement si peu d'étudiants" A. Blanc

La région Poitou-Charentes, qui accompagnait le campus de Poitiers à hauteur de près de 457.000 € par an, a déjà décidé, à compter de 2011, de diviser par deux cette somme.

"Cela fait peut-être chic d'avoir un "Sciences po" mais ce n'est plus possible d'aider aussi fortement si peu d'étudiants [environ 200], qui ne sont, en plus, que de passage à Poitiers pour deux ans", note Alexis Blanc, vice-président "enseignement supérieur" de la Région. "Nous avons aussi remarqué qu'une partie conséquente du budget du campus - équivalente à notre subvention de l'époque – repartait à Paris en "frais de siège". Notre rôle n'est pas de financer l'IEP parisien", note le responsable.

A Reims également, l'idée de diminuer le financement a fait son chemin chez les trois collectivités territoriales qui soutenaient fortement le campus de l'IEP. "Nous sommes à la limite de l'équilibre budgétaire. Il n'est plus possible de verser [chacune] 1.000 € par étudiant, sans compter nos investissements [une vingtaine de millions d'euros] pour des jeunes qui ne sont pas Marnais, et ne vont pas non plus s'insérer chez nous", estime Charles de Courson, vice-président du conseil général de la Marne. Le département, la région et la ville ont décidé, début octobre 2012, de diviser par trois leur participation.

Un ensemble de défis qui s'ajoutent à la première urgence que devra traiter le nouveau directeur de Sciences po : assainir les procédures de management et de gestion au sein de l'IEP, et son organisation. Avec pour consignes les préconisations de la Cour des comptes. Des sujets suivis de près par l'Etat...

 

(1) Le PRES réunit les universités Paris 3, 5, 7 et 13, Sciences po Paris, l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), l'EHESP (Ecole des hautes études en santé publique), l'INPG (Institut de physique du globe de Paris)
(2) Six campus en région (Dijon sur l’Europe centrale et orientale - Le Havre sur l’Europe et l’Asie, Menton sur le Moyen-Orient, la Méditerranée et le Golfe, Nancy sur l’Allemagne et le monde germanophone, Poitiers sur l’Amérique latine, l’Espagne et le Portugal) et un "campus" à Paris sur l'Europe-Afrique.

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L'insertion des diplômés à développer

La transformation des masters en écoles, engagée par Richard Descoings afin de mieux organiser les filières de manière visible et efficace, est elle aussi inaboutie. Quatre écoles existent aujourd’hui : en droit, communication, affaires internationales et journalisme. Enjeu stratégique à venir : la construction de l’école des affaires publiques, européennes et urbaine, prévue à l’horizon 2014.

"Il faut également réfléchir encore au “qui fait quoi” entre les écoles, les départements disciplinaires et les centres de recherche", relève un chercheur. Car de l’efficacité de cette structuration dépend aussi l’insertion professionnelle des diplômés. Si celle-ci est déjà de bonne qualité, un tiers des diplômés poursuivent tout de même leurs études ou préparent un concours à l’issue de leur cursus.

"Quand on fait Sciences po, mieux vaut être très diplômé pour sortir du lot. Il est de bon ton de faire un master supplémentaire, un peu plus en phase avec le monde de l’entreprise", confirme François-Marie Delétoille, responsable de Michael Page Education (composante de Michael Page public & parapublic).

"D’une manière générale, les diplômés de Sciences po arrivent juste après ceux des écoles de commerce les plus réputées dans les grilles de rémunération, et ils progressent moins vite, relève-t-il également. Ce qui est logique : les meilleures écoles de commerce restent la voie royale pour aller vers les métiers classiques de l’entreprise. Leurs dirigeants en sont issus. En outre, si les anciens de HEC ou de l’ENSAM [École nationale supérieure des arts et métiers] se cooptent pour un emploi, c’est moins le cas des diplômés de Sciences po, qui n’ont pas vraiment cette tradition de réseau. Peut-être parce que ce sont, par culture, des esprits libres, moins solubles dans une corporation."

 Lire aussi

- Notre article : Sciences po Paris : l'héritage de Richard Descoings
- La chronique d'Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de L'Etudiant "Sciences po renouera-t-elle avec la bonne gouvernance qu’elle enseigne ?"

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Le billet de Pierre Dubois : Sciences Po Paris Hors-la-loi

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