Suspendre son compte X, une question "éthique" pour certains établissements du supérieur

Sarah Nafti Publié le
Suspendre son compte X, une question "éthique" pour certains établissements du supérieur
Les universités de Rennes 2 et Aix-Marseille Université, en désaccord avec la ligne éditoriale, ont quitté le réseau social X. // ©  Jess rodriguez/Adobe Stock
Depuis le changement de ligne éditoriale du réseau X (ex-Twitter), certains établissements du supérieur ont choisi de mettre leur compte en veille, quitte à modifier leur stratégie de communication. Une décision qui n'est pas simple à prendre et à mettre en place.

Partir ou rester ? Le réseau social X (anciennement Twitter), est de plus en plus décrié. Depuis son rachat par Elon Musk il y a un an, de nombreuses décisions éditoriales ont modifié l'utilisation du réseau social.

D'abord, il y a eu le licenciement des modérateurs puis la monétisation de la pastille bleue, validant l'authenticité d'un compte, ou encore le retrait du code européen de bonnes pratiques contre la désinformation.

Des établissements du supérieur quittent X (ex-Twitter)

Plusieurs établissements du supérieur, dont deux universités ont fait le choix de mettre en veille leur compte. L'université d'Aix-Marseille (AMU) l'a annoncé le mardi 17 octobre après 11 ans de présence. "La dégradation de la ligne éditoriale, les contenus haineux diffusés, la baisse drastique de la modération rendent X incompatible avec nos valeurs, avec la diffusion du travail des chercheurs", explique la direction de la communication.

La décision prise par X du retrait du code européen des bonnes pratiques puis l'annonce de la suppression prochaine de la fonction de blocage ont accéléré la prise de décision de l'AMU, d'autant que certains chercheurs de l'université ont été concernés par des situations de harcèlement.

Face à ce constat, la présidence a choisi de ne plus "associer l'image de l'université" à l'activité de X. "La décision a été partagée avec l'ensemble des doyens, qui l'ont suivie, et la plupart des composantes ont également cessé leurs activités sur ce réseau".

La direction de la communication fait état de "beaucoup de soutien en interne, notamment des enseignants".

Quitter le réseau social, une décision éthique

Avant AMU, c'est l'université Rennes 2 qui avait annoncé le 31 août sa décision de mise en veille de son compte X. "La question se posait depuis le rachat, détaille Reine Paris, directrice de la communication. Nous avons fait de la lutte contre les discriminations et les violences une priorité de notre projet d'établissement. Cette décision est avant tout éthique."

En outre, "on ne peut plus lutter efficacement, car la voix des experts n'est plus audible". D'ailleurs de nombreux scientifiques, à commencer par les climatologues, quittent massivement le réseau.

La décision de la présidence a aussi rencontré l'adhésion de la communauté pédagogique. Reste désormais à convaincre les autres composantes, dont certains laboratoires qui utilisent le réseau social comme moyen de communiquer sur leurs travaux.

Comment faire porter la parole des établissements du supérieur dans l'espace public ?

La réflexion autour de l'usage du réseau social est partagée, "mais il n'y a pas de consensus dans la réponse à apporter", constate Armelle Tanvez, présidente de l'association Communication publique.

Elle remarque que les établissements "suspendent" mais ne suppriment pas leur compte, qui reste un outil de veille, surtout que la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) y est très présente.

"Les institutions publiques ont une parole à porter dans l'espace public, sinon, elles laissent la place à d'autres, estime-t-elle. Les citoyens sont demandeurs. Et ce n'est pas parce qu'on utilise un canal qu'on est d'accord avec sa politique éditoriale."

Au sein de Communication publique, les responsables communication échangent leurs expériences. Le constat partagé est qu'il n'existe pas encore d'alternatives à X, très utilisé notamment par les politiques et les journalistes. Les autres réseaux n'ont pas les mêmes usages.

Revoir sa stratégie de communication digitale

"Quitter définitivement X est une décision qui n'est pas anodine, car actuellement aucun des autres canaux ne peut absorber efficacement le flux d'informations permis par ce media social", remarque l'Arces, association qui regroupe les professionnels de la communication de l'ESR, dans un communiqué sur le sujet.

Choisir cette voie nécessite "une refonte de leur communication digitale" avec "une stratégie éditoriale plus sobre".

À ce stade l'Arces, qui "défend fermement la promotion du respect, de l'inclusion, de la diversité et de l'échange constructif" ne souhaite pas se retirer ou mettre en veille son compte mais se dit prête à revoir sa position "si, à moyen terme, nous constatons davantage encore d'éloignement entre ces valeurs et certains contenus et comportements sur le réseau social X".

Investir d'autres canaux de communication

Pour l'instant, l'IMT Atlantique a choisi de se contenter d'Instagram pour s'adresser aux étudiants et de Linkedin pour le reste de la communauté. "Je reste attentive aux évolutions de tous les réseaux sociaux", précise Nathalie Le Calvez, qui ne veut pas "se précipiter sur d'autres réseaux" car "la question n'est pas de remplacer X". *

De son côté, l'université de Rennes 2 mise sur des outils internes. X était "un canal de communication mais n'a jamais été le seul", souligne Reine Paris. L'université a lancé "les nouvelles de Rennes 2" dans lequel elle publie des articles et des interviews de chercheurs.

En interne "nous avons refondu l'intranet pour un meilleur partage d'informations vers les étudiants et le personnel".

Pour AMU, X servait surtout à communiquer sur son activité institutionnelle, et l'université se concentre désormais sur son site, Instagram et Linkedin, "même si on réfléchit, à moyen terme, à l'éventualité d'ouvrir un compte BlueSky ou Mastodon", précise la direction de la communication.

Sarah Nafti | Publié le