À la veille de la rentrée, les universités se sont retrouvées sous le feu des projecteurs politiques. "Avec leurs budgets, elles devraient faire beaucoup mieux", lançait Emmanuel Macron qui dénonçait un "gâchis collectif", face au vidéaste Hugo Travers, le 4 septembre.
Quelques jours plus tard, la ministre de l'Enseignement supérieur enjoignait les présidents des 74 universités à piocher dans leur fonds de roulement pour financer les mesures relatives au pouvoir d'achat des fonctionnaires, annoncées par son collègue Stanislas Guérini. Sylvie Retailleau chiffre à un milliard d'euros cet "argent public qui dort".
Ces déclarations inquiètent la communauté universitaire qui, depuis plusieurs années, alerte sur la mauvaise santé financière de ces établissements publics. "Contrairement à ce qui a pu être dit, oui, les universités sont bien gérées !", répondent en chœur les présidents interrogés. Tous évoquent des difficultés économiques qui, si elles ne sont pas nouvelles, empirent avec le temps.
Des mesures RH qui demandent des efforts conséquents aux universités
"Nous nous retrouvons en difficulté car on nous demande d'assumer les coûts de décisions prises par l'État, aussi bonnes soient-elles", explique Jean-Marc Ogier, à la tête de l'université de La Rochelle.
"Alors que les budgets sont établis et votés à l'année N-1, souvent en novembre de l'année d'avant, on nous annonce ces changements en plein milieu de l'année. C'est comme si l'on changeait les règles du jeu pendant le match", illustre-t-il.
C'est comme si l'on changeait les règles pendant le match. (J.-M. Ogier, université La Rochelle)
De fait, ces mesures RH décidées par les gouvernements successifs représentent un effort conséquent pour les établissements depuis une quinzaine d'années, ajoute Guillaume Gellé, président de France Universités. "Par exemple, nous devons prendre en charge le GVT [l'indicateur salarial glissement, vieillesse, technicité] qui représente 700 millions d'euros, chaque année pour les universités."
Celui qui est aussi président de l'université de Reims Champagne-Ardenne évoque également auprès d'EducPros la hausse des factures énergétiques dans un contexte d'inflation, qui tend le budget des établissements. "Nous demandons à l'État d'assumer financièrement ses décisions." Un argumentaire qu'il défend d'ailleurs devant l'Assemblée nationale.
Entre un milliard et 600 millions d'euros pour les fonds de roulement
Face à ces nouvelles règles, la plupart des établissements doivent utiliser leurs fonds de roulement, initialement prévus pour les investissements dans l'équipement de la recherche ou pour les travaux de construction dans le cadre de la transition énergétique.
"Ces fonds de roulement s'apparentent à un compte épargne pour les universités. Ils sont donc à destination de gros investissements, et non de dépenses dites courantes", expliquent Claire Calvel et Victor Chareyron, auteurs d'un rapport sur le financement de l'enseignement supérieur en France.
Les fonds de roulement s'apparentent à un compte épargne pour les universités. (C. Calvel et V. Chareyron)
Si la ministre avance le montant d'un milliard d'euros pour les fonds de roulement, "notre estimation est de l'ordre de 600 millions d'euros, soit moins de 10 millions d'euros par établissement", déclare Guillaume Gellé.
"D'autant que ce montant varie d'une université à l'autre", ajoute Laurent Bordes, président de l'université de Pau et des Pays de l'Adour. Son université, épinglée par la Cour des comptes en 2018 pour des difficultés financières avérées, est finalement revenue à l'équilibre depuis 2020.
"Mais notre situation demeure fragile, prévient-il. Si les subventions de l'État baissent ou s'il y a des retards de paiement, nous serons vraiment en difficulté car le montant de notre trésorerie n'atteint pas le budget mensuel de l'établissement pour les salaires."
Une baisse de 12% pour la dépense de l'État par étudiant
Plusieurs études pointent aussi la diminution des dépenses de l'État consacrées aux universités, souligne Victor Chareyron. "Entre 2008 et 2021, le nombre d'étudiants a augmenté de 25% mais le budget de l'enseignement supérieur a progressé de moins de 10%. Selon les calculs de l'économiste Thomas Piketty, cela représente une baisse de 12% de la dépense par étudiant."
Face à ces difficultés, les établissements se tournent vers la recherche de ressources propres.
"Personnellement, cela ne me heurte pas, mais les marges de manœuvre demeurent limitées, regrette Jean-Marc Ogier, à La Rochelle. En développant l'apprentissage ou la formation continue, nous restons dans nos missions mais l'argent récolté va, en premier lieu, à ce service. On ne peut pas demander aux entreprises de payer pour des formations et mettre les sommes ailleurs."
La subvention pour charge de services publics en question
Des questions perdurent autour de la subvention pour charge de service publics, cette dotation que l'État octroie chaque année à chacune des universités. "Cette dotation est reconduite à l'identique, sans prendre en compte l'augmentation des effectifs étudiants, pointe Laurent Bordes. Et des disparités existent entre établissements, sans que l'on comprenne les raisons". Cette dotation étant souvent liée à l'histoire de l'établissement et ses relations avec le ministère.
La subvention pour charge de service publics est reconduite à l'identique, sans prendre en compte l'augmentation des effectifs étudiants. (L. Bordes, UPPA)
Pour France Universités, "l'enseignement supérieur et la recherche sont un investissement pour l'avenir de notre pays, pas une variable d'ajustement budgétaire, défend Guillaume Gellé. Que dirait-on si, pour des raisons budgétaires, demain, les universités étaient contraintes de former moins de médecins, alors qu'on en manque déjà cruellement ?"
PLF 2024 : les universités craignent de devoir renoncer à certaines missions et demandent la prolongation du fonds d’intervention
France Universités "demande la compensation par l'État de l’intégralité des mesures sociales et salariales à destination des agents de l'État, la compensation du surcoût de l’énergie par la prolongation du fonds d’intervention, lancé en 2022, en 2024 (et au-delà), et l'application effective de la clause de revoyure de la Loi de programmation de la recherche", écrit l’association représentant les universités françaises, le 19 octobre 2023.
Cette prise de position intervient après qu’Élisabeth Borne, première ministre, a utilisé le 49-3 pour faire adopter la première partie du projet de loi de finances 2024, le 18 octobre 2023.
France Universités estime que les établissements vont devoir, dans l'état actuel du PLF, "financer 120 millions d’euros, soit par prélèvement sur leurs fonds de roulement, soit par réduction de leur campagne d'emplois. Cela équivaut à 1.500 emplois de maîtres de conférences en moins. Cette situation, totalement injustifiable, obérera leurs missions de formation, de recherche et d’innovation, ainsi que leur capacité à investir et à mettre en œuvre les projets de décarbonation".
Les universités appellent "donc le Gouvernement et la représentation nationale au réexamen des crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors des débats à l'Assemblée nationale puis au Sénat".