L’un des nombreux effets collatéraux du Covid-19 sera-t-il d’avoir poussé davantage de jeunes vers le décrochage scolaire ? Près de 18 mois après le début du premier confinement, qui a vu le pays s’arrêter ou presque, il reste compliqué de répondre à cette question, et donc tout aussi complexe de faire le bilan de la réponse des institutions à cette situation.
Selon des chiffres évoqués en juin 2020 par le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, 8% des élèves, tous niveaux confondus, étaient "manquants" au début du confinement, et 4% deux mois plus tard. Pour l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal évoquait en février dernier une faible hausse du nombre d’étudiants absents aux examens du premier semestre, de l’ordre de 3% par rapport à la même période en 2020, preuve selon la ministre qu’il n’y avait pas eu d’abandons massifs de leurs études par les étudiants.
Pas d'explosion du décrochage
Un constat optimiste que nuance Olivier Gaillet, chargé de mission à l’Union nationale des missions locales (UNML), un réseau d’associations implantées partout en France et dédié à l’insertion professionnelle et sociale des 16-25 ans : "Certes il n’y a pas eu d’explosion du décrochage en 2020 comme nous pouvions le redouter. Mais, dans les missions locales, le nombre de nouveaux jeunes accueillis a tout de même augmenté de 50% sur un an. Évidemment, tous ne sont pas des décrocheurs scolaires. L’année dernière, les demandes concernaient surtout des problèmes d’accès au logement, aux soins, et à l’aide alimentaire".
Impossible pour l’instant d’être plus précis sur les profils de ces nouveaux venus : "Nous notons tout de même une hausse du nombre de jeunes diplômés, bac+2 ou plus, souligne Olivier Gaillet. C’est nouveau, car ils ne constituent pas l’essentiel de notre public habituel, composé à 70% de jeunes avec un niveau bac ou infra bac. Une tendance à surveiller, car c’est seulement dans 1 ou 2 ans que nous pourrons vraiment mesurer l’impact de la crise sanitaire sur le décrochage".
Repérer les décrocheurs, un défi
Mais même si le nombre de décrocheurs scolaires ne semble pas avoir explosé, pour l’instant, leur repérage reste complexe. En première ligne pour les identifier, les enseignants du secondaire. Certains d’entre eux, notamment dans les lycées professionnels, ont passé beaucoup de temps l’année dernière à tenter de contacter les jeunes qui avaient "disparu" pendant le confinement.
Si les chiffres du décrochage évoqués par le ministre ont été divisés par deux, c’est grâce à eux. Mais, quand ces tentatives de contact n’aboutissent pas, revient alors aux responsables d’établissements d’établir les listes des jeunes manquants à l’appel.
Dans les missions locales, le nombre de nouveaux jeunes accueillis a tout de même augmenté de 50% sur un an. (O. Gaillet, UNML)
Hasard du calendrier, c’est à la rentrée de septembre 2020 qu’est paru le décret instituant l’obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans, qui vise directement les jeunes décrocheurs. Et ce sont les missions locales qui sont désormais chargées de contrôler le respect de cette obligation de formation, en se basant sur les listes de décrocheurs fournies par l’éducation nationale : "C’est un changement de philosophie pour nous, car si nous avions l’habitude d’aller à la rencontre des jeunes, c’était à eux de manifester leur envie d’être accompagnés par nos conseillers, explique Olivier Gaillet. Désormais nous les convoquons, avec la famille, et si nous n’arrivons pas à établir un lien, nous devons en informer le département".
Problème : entre le repérage d’un décrocheur par un établissement, et la mise en place de son accompagnement par un conseiller, il peut se passer de longs mois. Ainsi entre septembre et décembre 2020, les missions locales n’ont pas pu accéder aux listes de décrocheurs de l’éducation nationale.
Aiguiller les jeunes vers les bonnes ressources
Localement, d’autres initiatives se mettent en place. Ainsi la région Ile-de-France a engagé en 2019, 2020, et 2021 une vaste campagne d’appel des jeunes perdus de vue, via un prestataire extérieur. Coût annuel : 450.000 euros.
"Il a été compliqué de récupérer ces listes de décrocheurs auprès du ministère, souligne Marie-Carole Ciuntu, vice-présidente de la région Ile-de-France, en charge des lycées. Et pourtant seuls 7% d’entre eux étaient contactés par l’éducation nationale, il fallait faire quelque chose".
Dans ce cas précis, la région joue un simple rôle de passeur d’information : une fois contacté, le jeune est orienté vers la mission locale ou le CIO le plus proche. Un travail d'aiguillage qui serait bien accueilli, selon Marie-Carole Ciuntu : "Les jeunes apprécient globalement la démarche, ils sont même surpris qu’on s’intéresse à eux". Et parfois la conversation se termine rapidement : ainsi en 2020, la moitié des jeunes contactés par la région avait réussi à trouver par eux-mêmes une formation, ou un emploi. Comme un pied de nez au Covid.