Aller sur l'Etudiant Newsletter Mon compte

L’Institut Villebon-Charpak, poisson pilote de l'innovation pédagogique

Céline Authemayou Publié le
L’Institut Villebon-Charpak, poisson pilote de l'innovation pédagogique
Les étudiants de l'Institut Villebon-Charpak mènent durant leurs trois années de formation plusieurs projets de groupe. // ©  Institut Villebon-Charpak
Créé en 2013 à l’initiative de plusieurs écoles et universités, l’Institut Villebon-Georges-Charpak diplôme ses premiers étudiants fin juin 2016. La plupart des 31 diplômés vont poursuivre leurs études. Un premier pari remporté par l’établissement, dont l’objectif premier est de redonner l’envie d’apprendre – différemment – à ses étudiants.

Dans la salle de cours, les tables blanches sont surmontées d'installations alambiquées, desquelles émanent une odeur de boue. Les élèves de première année de la licence "sciences et technologies" de l'Institut Villebon-Georges-Charpak travaillent à la conception de biopiles microbiennes. Certaines créations sont sophistiquées, d'autres plus bricolées et bancales. Toutes ont été inventées par les étudiants dans le cadre de leur projet pédagogique, mené depuis plusieurs mois par petits groupes. Partis d'une feuille blanche, ils ont lu des travaux de recherche, mené leur enquête, discuté, expérimenté pour arriver au résultat final.

L'initiative résume la pédagogie de l'Institut Villebon-Georges-Charpak, construite autour de l'apprentissage par le faire, l'entraide et la bienveillance. Créé en 2013 à l'initiative de ParisTech et de sa fondation, de la FCS (Fondation de coopération scientifique) Paris-Saclay et des universités Paris-Sud et Paris Descartes, l'établissement propose une seule licence, codélivrée par les deux universités partenaires.

sortir des sentiers battus

Pluridisciplinaire, la formation permet à des jeunes sortis des sentiers battus de l'enseignement supérieur de rebondir et de renouer avec l'estime de soi... et les études. "Nous nous adressons à des élèves qui, pour la très grande majorité d'entre eux, n'étaient pas excellents sur le plan scolaire au lycée, en raison d'autocensure ou d'accidents de la vie, résume Bénédicte Humbert, directrice de la structure. À nous de les aider à retrouver confiance, pour rebondir."

Les candidats sont issus de filières très diverses : bac général ou technologique, première année de CPGE, L1... Tous sont recrutés sur dossier (prime donnée à la motivation) et sur entretien, couplés à une épreuve collective dite Charpak, durant laquelle les candidats doivent résoudre un problème par petits groupes.

des diplômÉs en route vers un bac + 5

Trois ans après le lancement de la licence, la première promotion arrive en fin de cursus, diplômée en ce mois de juin 2016. Un cap important pour l'institut, mais aussi pour ces étudiants qui auront joué, pendant trois ans, le rôle de poissons pilotes. "Nous avons participé à la construction du cursus de façon très étroite avec les enseignants, constate Zoé Chanau, qui souhaite intégrer SupOptique et est d'ores et déjà admissible à Télécom Saint-Étienne. Nous avons débattu, établi des bilans, rectifié le tir parfois. C'était une façon nouvelle et riche d'appréhender les études supérieures."

Malgré tout, à l'approche du départ de l'institut, les inquiétudes reviennent. "Il est difficile pour nous de nous positionner par rapport aux étudiants de licences plus classiques, note Nourdine Kechiche. Comment connaître notre niveau ? Comment nous évaluer ?"

Les chemins pris par cette première promo seront une première réponse. La plupart des 31 étudiants se projettent dans des études longues, que ce soit en école d'ingénieurs ou en master. "Il faut bien voir que, lorsque nous recrutons les jeunes, ils ne savent pas ce qu'ils veulent faire", rappelle Jeanne Parmentier, responsable de l'innovation pédagogique du programme. Et les ambitions de chacun sont à l'image de l'éclectisme des profils : master urbanisme, agronomie, microbiologie, aéronautique...

Il est difficile pour nous de nous positionner par rapport aux étudiants de licences plus classiques.

Les premiers résultats sont encourageants : un étudiant a obtenu une place à l'École des mines de Nantes, bon nombre sont admissibles en école d'ingénieurs. Un élève rejoindra quant à lui l'Ensta ParisTech, dans le cadre d'un partenariat tissé entre l'école et l'institut. "Nous entamons cette collaboration de façon prudente, précise Élisabeth Crépon, directrice de l'Ensta ParisTech. Notre formation est très scientifique, alors que l'institut offre un tronc commun pluridisciplinaire. L'enjeu est donc de réussir cette intégration." L'étudiant concerné, sélectionné dès décembre 2015 durant sa L3, a suivi un semestre de tutorat personnalisé, pour préparer au mieux son arrivée au sein de l'école d'ingénieurs.

"Ce type de partenariat nous permet de développer des méthodes d'accompagnement pour un public autre que celui issu de CPGE, avoue Élisabeth Crépon. C'est pour nous une façon d'apprendre, d'adapter nos techniques pédagogiques pour pouvoir diversifier, à terme, nos recrutements." 

un "Laboratoire vivant de pédagogie"

Outre sa mission de formation, l'Institut Villebon-Charpak prend ses marques pour devenir un lieu de référence en matière d'innovation pédagogique. Des enseignants viennent y chercher des conseils et des ressources, d'autres franchissent les portes de la structure pour tester des cours qu'ils ne peuvent pas mettre en pratique dans un amphi de 500 étudiants. 

"Nos enseignants réinvestissent chez nous ce qu'ils ont mis en pratique à l'institut, témoigne François Balembois, directeur général adjoint à l'enseignement de SupOptique. Deux professeurs de l'école d'ingénieurs parisienne consacrent chaque année une centaine d'heures à l'enseignement au sein de Villebon-Charpak. "C'est pour nous un véritable laboratoire vivant de pédagogie."

"Les promos de 30 élèves offrent une certaine liberté de mouvement, confirme Jeanne Parmentier, qui enseigne les mathématiques et n'hésite pas à utiliser la danse ou le théâtre dans ses cours. C'est toujours très difficile de changer la pédagogie à grande échelle. On applique ici les méthodes de l'industrie : tenter des choses sur des petites lignes de production."

Début 2016, l'Institut Villebon-Charpak s'est associé au laboratoire de recherche dédié aux neurosciences et à l'apprentissage LaPsyDÉ, de Paris Descartes. Des tests vont être effectués avec les élèves pour étudier les évolutions de leur apprentissage au cours de leurs trois années d'études. Le but étant d'avoir un croisement fructueux entre recherche et formation. "L'innovation est en réalité plus une amélioration de la pédagogie, souligne Bénédicte Humbert. Les nouveaux outils apportent-ils un réel plus aux étudiants ? Cela doit rester la question centrale de toute notre démarche."

Financement : apprendre à vivre sans l'Idefi
Si le modèle pédagogique semble faire ses preuves sur les petites promotions de l'institut, reste à régler la question, cruciale, du financement du projet. À l'heure actuelle, 40 % du budget provient de l'Idefi décroché en 2012 – fournisseur de 2,5 millions d'euros sur cinq ans – et de l'Idex Paris-Saclay. 10 % sont fournis par les entreprises partenaires. Le reste, 50 %, émane des établissements partenaires.

Avec la fin de ParisTech sous son format d'origine, le modèle devrait connaître quelques remous. Désormais, c'est SupOptique qui assure le support administratif de l'institut. L'école d'ingénieurs collecte les contributions des établissements membres et rémunère ensuite les intervenants extérieurs.

De plus, la participation de certains membres va évoluer.
Ainsi, l'École polytechnique pourrait se désengager de l'institut : l'établissement fournissait 5.000 € et envoyait ses étudiants en tutorat. "Si la dissolution de ParisTech, qui était le vecteur de la participation de l'X à l'institut, a pu créer un malentendu, rien n'a été acté pour le moment", tient à préciser l'école.

Quoi qu'il en soit, "à partir de 2020, le modèle économique devrait être stabilisé pour vivre sans l'Idex et l'Idefi, précise Bénédicte Humbert. Cela devrait passer par une implication plus grande des membres, tout comme par le développement des liens avec les entreprises."

Céline Authemayou | Publié le